Coordination sécuritaire israélo-palestinienne : la sécurité pour qui ?

Au fil des années, l’Autorité palestinienne est devenue un partenaire de premier plan d’Israël dans la répression de la résistance en territoire occupé.

« Parler de “coopération” israélo-palestinienne… c’est utiliser rien moins qu’un terme impropre. Ce n’est pas, cependant, simplement parce que “le résultat de la coopération entre un éléphant et une mouche n’est pas difficile à prévoir”, comme l’écrit si justement Chomsky… mais parce que sous Oslo, la “coopération” n’est souvent que très peu différente de l’occupation et de la domination qui l’ont précédée. La “coopération”, dans ce contexte, est avant tout un signifiant acceptable et plaisant sur le plan international qui obscurcit la nature des relations israélo- palestiniennes au lieu de l’élucider. »
Jan SELBY, Dressing Up Domination as ‘Cooperation’, 2003

KESAKO, LA COORDINATION SÉCURITAIRE ?

En 1993, les Accords d’Oslo promettent la création d’un État palestinien mais en échange, l’Autorité palestinienne, créée par la même occasion, s’engage à collaborer avec Israël pour la sécurisation des territoires palestiniens. En 1994, lors de l’accord « Gaza-Jéricho », cette coopération est détaillée et une force de sécurité palestinienne est créée.

Ces accords stipulent que « Les deux parties adopteront toutes les mesures nécessaires à la prévention d’actes de terrorisme, de délits et crimes ou d’activités hostiles dirigées l’une contre l’autre », ce qui implique une coordination entre services de sécurité israéliens et palestiniens et l’échange d’informations. Les forces de sécurité palestiniennes ont pour devoir de « prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher tout acte d’hostilité à l’encontre des implantations, des infrastructures les desservant et de la zone d’installation militaire » tandis que l’armée israélienne doit « empêcher les actes d’hostilité émanant des implantations et dirigés contre les Palestiniens » 1.

En 1995, les Accords d’Oslo II divisent la Cisjordanie en trois zones et définissent les compétences, notamment au niveau sécuritaire: zone A (18%) gérée par l’AP, zone B (21%) que l’AP gère conjointement avec Israël sauf pour la sécurité dévolue à Israël et zone C (61%) gérée par Israël. Ce qui impliquait une coopération sécuritaire.

Lors de la 2e Intifada (2000-2005), cette coopéra- tion est interrompue. Mais en 2005, le président Mahmoud Abbas, nouvellement élu, la renouvelle déclarant qu’elle était « le pilier de la construction d’un futur État palestinien ».

Dans cette optique, l’ancien premier ministre Salam Fayyad (2007-2013) a entamé une réforme des services de sécurité, soutenue, financée et pilotée par les États-Unis et l’UE. Un programme de restructuration, d’extension et de modernisation des forces de sécurité a été mis en œuvre et, avec l’aval d’Israël, ont été créées et armées des unités spéciales, dédiées notamment à la lutte antiterroriste.

Au total, l’Autorité palestinienne consacre de 30 à 45% de son budget à la sécurité, soit plus que les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’agriculture réunis.

Au total, l’autorité palestinienne Consacre de 30 à 45% de son budget à la sécurité, soit plus que les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’agriculture réunis.

UN ACTEUR MAJEUR : L’USSC (U.S. SECURITY COORDINATOR FOR ISRAEL AND THE PALESTINIAN AUTHORITY)

Créé en 2005 dans le cadre de la Feuille de route de l’administration de Bush, l’USSC est « l’agence principale du gouvernement américain pour la synchronisation des efforts de soutien international et l’engagement en faveur d’un partenariat durable entre Israël et l’Autorité palestinienne 2. » Il s’agit d’une équipe conjointe, internationale et inter agences. Si l’équipe internationale comprend des représentants du Royaume-Uni, du Canada, des Pays-Bas, de l’Italie, de la Turquie, de la Pologne et de la Bulgarie, ce sont les États-Unis qui la dirigent. Parmi les objectifs déclarés: aider à mettre fin à la violence grâce à des services de sécurité palestiniens efficaces, faciliter la coordination et la coopération en matière de sécurité mutuelle. L’USSC prétend dans le cas de crise – comme par exemple, actuellement, à Jénine– offrir « une voix stable, impartiale et plus objective, ce qui contribue à apaiser les tensions » (sic). Pratique- ment, c’est l’USSC, sous le commandement du général Dayton (2005-2010), qui a formé et entraîné en Jordanie les forces de sécurité de l’AP, qui a créé des forces spéciales et renforcé la garde présidentielle. Dayton déclarait : « avec le temps, les Palestiniens seront capables de maintenir un contrôle de sécurité sur la Cisjordanie et seront en mesure de freiner les attaques contre Israël. »

En conséquence, il est clair que la réforme et la modernisation des forces de sécurité palesti- niennes, conduites par les États-Unis (USSC) notamment 3, sont contrôlées de l’extérieur et motivées par les besoins de sécurité d’Israël. La divulgation des Palestinian Papers donne une idée de la mentalité des hommes formés par l’USSC. Un haut fonctionnaire palestinien aurait dit, s’adressant à une classe de diplômés en Jordanie: « Vous n’avez pas été envoyés ici pour apprendre à combattre Israël (…), mais plutôt pour apprendre à maintenir la loi et l’ordre, à respecter le droit de tous nos citoyens et mettre en œuvre l’État de droit afin que nous puissions vivre en paix et en sécurité avec Israël.» 4

LE VER ÉTAIT DANS LE FRUIT

À partir du moment où une entité sous occupation a, pour condition à la réalisation de son indépen- dance, la tâche de faire respecter l’ordre pour le bien des occupants avec le concours des occupants, des États-Unis et de l’UE, on pouvait prévoir que l’exercice de coopération sécuritaire serait déséquilibré et inéquitable.

Comme le dit bien un responsable du camp de Jénine en 2017 : « Je n’ai pas de problème avec ça [la coordination sécuritaire] tant que c’est réci- proque. Or ce n’est pas le cas. Ce sera une toute autre histoire lorsque l’AP pourra demander à Israël d’arrêter un colon et de protéger la sécurité du peuple palestinien. Il n’y a aucun souci de la coordination, seulement de la domination.» 5

Sans État palestinien, avec l’augmentation du nombre et de la violence des colons en Cisjordanie, la majorité de la population palesti- nienne s’oppose à la coopération sécuritaire: pour elle, les forces de sécurité palestiniennes sont devenues un « sous-traitant » de la sécurité et de l’occupation israéliennes.

LE PIRE EST ARRIVÉ

Depuis la division palestinienne (2006), forte de l’existence de troupes bien entraînées, l’AP a pris un virage autoritaire et se sert des forces de sécurité pour conserver son pouvoir. On ne compte plus les opérations de répression contre les opposants, qu’ils appartiennent au Hamas, au Jihad islamique, au FPLP ou même au Fatah. Non seulement des manifestations sont réprimées violemment – y compris quand il s’agit par exemple de manifester sa solidarité avec Gaza– mais encore des militants sont arrêtés, torturés ou même tués (voir Nizar Banat). Pire encore: les forces de sécurité de l’AP donnent des informations à l’armée israélienne pour l’arrestation de militants, y compris en zone A. La résistance se trouve criminalisée et réprimée sous prétexte qu’elle créerait l’anarchie. Déjà en 2010, Samah Jabr écrivait que la Cisjordanie était devenue un État policier. « On peut se demander : à qui servent les forces de sécurité? Où disparaissent-elles lorsque les soldats de l’occupation israélienne envahissent nos villes et villages pour enlever, blesser et tuer des Palestiniens? Intimident-elles d’autres personnes que les Palestiniens? Attaquent-elles des bases militaires israéliennes ou uniquement des institutions caritatives du Hamas ? Ont-elles déjà arrêté ou interrogé des colons israéliens attaquant des villageois en Cisjordanie ? Les interrogatoires, les arrestations et la torture ne sont-ils qu’un privilège pour les Palestiniens ? »

En conclusion, la coordination sécuritaire était un piège de plus dans les Accords d’Oslo. Les États-Unis, comme l’UE, sont des acteurs actifs de l’oppression et de la répression des Palestiniens: en consolidant les forces de sécurité de l’AP, ils creusent la division palestinienne et entravent la lutte de libération. Néanmoins, la résistance actuelle à Jénine et Naplouse montre que les Palestiniens ne sont pas prêts à baisser les bras. Ce qui inquiète Israël, prête à aider l’AP6.

1/ Ines Gil, « La coopération sécuritaire entre Israël et l’Autorité palestinienne », 30 juin 2017, www.lesclesdumoyenorient.com
2/ “About Us United States Security Coordinator for Israel and the Palestinian Authority”, www.state.gov
3/ Et l’UE: programmes EUROBAM et EUROPOL COPPS 4/ Alaa TARTIR, « Les “Forces de sécurité” de l’Autorité Palestinienne : la sécurité de qui ?», 23 mai 2017, www.chroniquepalestine.com
5/ Alaa TARTIR, “Criminalizing Resistance: The Cases of Balata and Jenin Refugee Camps”, JPS, Journal of Palestine Studies Volume 46, 2017.
6/ Omar H. Rahman, “Why Israel’s plan of subcontracting the occupation is failing”, 27 septembre 2022, www.972mag.com
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