Aux origines d’une autorité captive : les accords d’oslo

Signés en septembre 1993 entre Israël et l’OLP, les Accords d’Oslo se sont effilochés sept ans plus tard, en octobre 2000. Pour Pascal Fenaux, journaliste à La Revue nouvelle et au Courrier international, cet effondrement était, si pas certain, en tout cas prévisible, vu les nombreux non-dits de ces accords.

Dès septembre 1993, que ce soit dans l’ancien hebdomadaire La Cité ou dans le mensuel La Revue nouvelle, vous vous montriez sceptique quant à la réussite des Accords d’Oslo. Je ne vais pas jouer au plus malin. Comme tout le monde, j’estimais que le lancement de négocia- tions directes et officielles entre Israéliens et Palestiniens et, évidemment, la poignée de mains entre Yitzhak Rabin (Premier ministre travailliste de l’État d’Israël) et Yasser Arafat (président Fatah de l’Organisation de Libération de la Palestine, OLP) sur le parvis de la Maison Blanche, constituaient un moment historique et une possible « bonne nouvelle » pour les deux peuples. Malgré de nombreuses lacunes, il fallait laisser le bénéfice du doute et ne pas jouer trop vite les Cassandre. Bref, j’étais ému. Dubitatif mais ému.

Vous parlez de lacunes et de scepticisme. Sur quoi vous basiez-vous? Les Accords d’Oslo constituaient un triptyque. Premièrement, le 9 septembre 1993, après plusieurs mois de négociations secrètes hébergées par le gouver- nement norvégien, Israël et l’OLP échangeaient des « lettres de reconnaissance » mutuelles. D’une part, l’OLP reconnaissait l’État d’Israël et son « droit à l’existence dans des frontières sûres et reconnues », tout en abandonnant la lutte armée. D’autre part, l’État d’Israël reconnaissait l’OLP comme « le représentant du peuple palesti- nien ». Pour la première fois, dans un document officiel, un gouvernement israélien écrivait les mots hébreux « le peuple palestinien » (ha-am ha-falastini). Mais il n’était nulle part question d’un droit réciproque, le droit du peuple palesti- nien à accéder à l’autodétermination dans le cadre d’un État de Palestine. Une broutille pour certains, ce distinguo introduisait néanmoins une asymétrie qui, comme on le verrait par la suite, allait peser sur le processus de paix.

Vous parlez de triptyque. Quels étaient les deux autres volets? Le deuxième volet fut le plus mé- diatisé, et pour cause. Il s’agissait du documentcosigné en grande pompe à Washington par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin le 13 septembre 1993. Ce document, appelé « Déclaration de Principes » (DOP en anglais), dressait le cadre du processus de paix. Il prévoyait la négociation d’un « statut intérimaire » de cinq ans durant lesquels serait mis sur pied un « régime d’auto- gouvernement palestinien dans les Territoires ».
Durant cet intérim, « les parties » étaient censées s’abstenir de toute initiative unilatérale, tandis que les questions les plus brûlantes du conflit israélo-palestinien (Jérusalem, le statut des réfugiés palestiniens et l’avenir des colonies de peuplement en Cisjordanie et dans la bande de Gaza) étaient renvoyées à cinq ans plus tard, lorsqu’Israël et l’OLP entameraient des négocia- tions sur un « statut permanent ».

En quoi, selon vous, cette Déclaration était-elle problématique? Dans toute négociation, sous quelque latitude que ce soit, le diable se cache dans les détails. Dans le cas de la DOP, il était question d’un « autogouvernement palestinien DANS les Territoires » et non d’un « autogouverne- ment DES Territoires palestiniens ». Concrètement, tous les accords d’application négociés par la suite excluaient les colonies de peuplement en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et, bien sûr, à Jérusalem-Est. Et, de fait, la construction dans les colonies n’allait jamais cesser, Israël estimant que cette dernière s’inscrivait dans des plans de secteur arrêtés de longue date.

Venons-en au troisième volet du triptyque. Ce troisième volet allait se décliner en une suite d’accords dits « d’application » de la DOP. Le premier accord d’application fut l’Accord du Caire du 4 mai 1994, plus connu sous le nom de « Gaza et Jéricho d’abord ». Tout en conservant la maîtrise ultime de l’ensemble des territoires occupés, Israël (plus précisément le Gouverne- ment militaire et l’Administration civile) se redéployait hors de quelques territoires transférés à un « autogouvernement palestinien » (l’Autorité palestinienne, AP) administré par l’OLP et héritant des compétences civiles et de police jusqu’alors exercées par l’armée israélienne. Concrètement, à titre d’essai, en Cisjordanie, Israël transférait la ville de Jéricho et deux faubourgs à l’AP et, dans la bande de Gaza, se repliait sur la ligne de démarcation internationale, tout en continuant à assurer la sécurité des blocs de colonies. Appelé « Autorité nationale palesti- nienne » par l’OLP, cet « autogouvernement » était plus sobrement nommé « Autorité palestinienne » par Israël, l’adjectif « nationale » étant omis.

La signature de l’Accord du Caire, aussi modeste fût-il, écriviez-vous jadis, ne se fit pas sans mal. C’est le moins que l’on puisse dire. Prise de court et manquant d’expertise juridique et de terrain, l’OLP « de l’extérieur », c’est-dire basée à Tunis, avait mis sur pied une équipe de négociateurs dont seule une minorité provenait « de l’intérieur », c’est-à-dire de la bande de Gaza et de Cisjordanie. Les négociateurs « de l’inté- rieur » se retrouvèrent rapidement mis dans une position intenable : négocier avec leurs alter egos israéliens tout en mettant en garde leur comman- ditaire, l’OLP, contre les apories des textes en cours de négociation. Financièrement acculée et menacée par la montée en puissance d’un concurrent, le Hamas, la direction de l’OLP voulait aboutir à un accord, à n’importe quel prix. Les négociateurs de l’intérieur allaient, les uns après les autres, rendre leurs tabliers. Et laisser Yasser Arafat signer, seul et sous la pression de l’Égypte et des États-Unis, ledit « Accord du Caire», après avoir découvert, et un peu tard, la teneur de cet accord et, surtout, ses implications futures.

De quelles implications s’agissait-il? Je parlais tout à l’heure de la nuance entre « autogouverne- ment palestinien DANS les Territoires » et « autogouvernement DES Territoires palestiniens ». Selon les termes de l’Accord du Caire, lesquels allaient dicter les négociations ultérieures, les colonies israéliennes de peuplement se retrou- vaient dans un statut d’extraterritorialité. Pour prendre un exemple, si, en Cisjordanie ou à Gaza, un « simple» accident (mortel ou pas) impliquait un automobiliste israélien dans une zone administrée par l’AP, ce dernier échappait à la juridiction palestinienne. Il était confié à l’armée israélienne et exfiltré vers le territoire internationa- lement reconnu sous souveraineté de l’État d’Israël. Après l’assassinat de Yitzhak Rabin par un militant ultranationaliste religieux, de nouveaux accords d’application allaient être négociés entre le Premier ministre intérimaire Shimon Peres et Yasser Arafat. Ces accords créent trois zones: une Zone A sous administration et police de l’AP, une Zone B « mixte » sous administration conjointe de patrouilles mixtes de l’armée israélienne et de la police palestinienne et enfin, une Zone C
(61% de la Cisjordanie) relevant de la seule et unique armée israélienne et formant un « glacis» continu autour des colonies de peuplement.

“FINANCIÈREMENT ACCULÉE ET MENACÉE PAR LA MONTÉE EN PUISSANCE D’UN CONCURRENT, LE HAMAS, LA DIRECTION DE L’OLP VOULAIT ABOUTIR À UN ACCORD, À N’IMPORTE QUEL PRIX.”

Avec le recul de trois décennies, les Accords d’Oslo étaient-ils amendables ou réformables? Y avait-il une duplicité israélienne ? Avec une véritable volonté politique et avec une ligne de conduite fermement défendue par Israël et l’OLP, oui, certainement. Mais, des deux côtés, il y avait des conflits internes. J’ai évoqué les tensions entre OLP de « l’extérieur » et de « l’intérieur ». Le gouvernement travailliste israélien de l’époque était lui-même profondément divisé. Avec le temps, j’en suis arrivé à considérer que les tensions entre personnalités censément alliées avaient autant de poids que les différends politiques et idéologiques.

Que se passait-il au sommet de l’État d’Israël ? Yitzhak Rabin, Premier ministre travailliste israélien, et Shimon Peres, son collègue aux Affaires étrangères, s’étaient toujours cordiale- ment détestés. Surtout, Peres, contrairement à Rabin, était un fervent soutien de la colonisation juive de peuplement. Rabin fut mis face au fait accompli d’Accords d’Oslo négociés dans son dos. Et, sous la pression d’une armée alors dirigée par Ehoud Barak, pour qui la question était « comment mener des négociations alors qu’il n’y a que nous qui puissions faire des concessions », il a voulu reprendre la main. Mais il convient de dire que, si Rabin était un chaud partisan d’un « compromis territorial » aussi réduit soit-il, Peres, bien qu’architecte d’Oslo, n’envisageait pas la création d’un État palestinien.

Vous ne parlez pas des vagues d’attentats suicides revendiqués par le Hamas avant et pendant la Deuxième Intifada. Parce que cela tombe sous le sens. Les attentats commis par le Hamas avaient pour but de faire dérailler un processus diplomatique déjà mal en point.

Y a-t-il une suite possible aux Accords d’Oslo? Je suis devenu un pessimiste indécrottable. Côté palestinien, il n’existe aucune source de consensus, quel qu’il soit, tandis que l’AP n’est plus qu’une bureaucratie nécrosée. Côté israélien, le prochain gouvernement, probablement formé autour du Likoud de Binyamin Netanyahou, avec l’appoint d’un cartel d’extrême droite suprémaciste héritant de ministères-clés pour la Cisjordanie occupée, n’augure rien de bon.

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