C’est l’apartheid, puisque B’tselem le dit

“This is apartheid” ( “C’est l’apartheid” ). Ainsi s’intitule le dernier rapport de B’tselem qui conclut à l’existence d’un régime de suprématie juive du Jourdain à la mer Méditerranée. Le rapport a fait mouche, suscitant le débat aux quatre coins de la planète… et conférant à la qualification d’apartheid une crédibilité que les organisations palestiniennes ne sont jamais parvenues à obtenir.

Publié le 12 janvier dernier, le rapport de B’tselem dresse un constat sévère : Israël accorde aux Palestiniens un ensemble de droits différents selon qu’ils vivent à Gaza, en Cisjordanie, à Jérusalem-Est ou en Israël. “Il n’y a pas un seul centimètre carré entre le Jourdain et la mer dans lequel un Palestinien et un Juif sont égaux” souligne ainsi Hagai El-Ad, le directeur exécutif de l’organisation. B’tselem, qui limitait jusque-là ses rapports à la situation en Cisjordanie, élargit pour la première fois son cadre d’analyse à l’ensemble du territoire sur lequel Israël exerce son contrôle.

Le rapport « This is Apartheid » détaille ainsi quatre principales méthodes utilisées par le régime israélien pour accroître la suprématie juive. Deux d’entre elles sont appliquées de manière similaire dans toute la région, il s’agit de la limitation de l’immigration des non-juifs et de l’accaparement des terres au profit des seuls Juifs. Les deux autres, décrites dans le rapport, s’appliquent, quant à elles, en particulier au territoire occupé : il s’agit des restrictions draconiennes à la circulation des Palestiniens n’ayant pas la citoyenneté israélienne et de la négation de leurs droits politiques.

Yesh Din, une autre organisation israélienne de défense des droits humains, avait déjà publié un rapport, signé par l’avocat Michael Sfard, décrivant le régime imposé à la Cisjordanie comme de l’apartheid. Mais B’tselem est la première à inclure le territoire israélien dans son cadre d’analyse, suscitant par conséquent des débats passionnés, en particulier en Israël. La réaction ne s’est d’ailleurs pas fait attendre du côté du gouvernement israélien qui, trois jours après la sortie du rapport, a annoncé par la voix de son ministre de l’Education, une interdiction pour B’tselem de se rendre dans les écoles.

Mais si le rapport de B’tselem a fait beaucoup de bruit, il a aussi fait grincer des dents. Nombreuses ont en effet été les voix qui ont souligné que cela fait déjà longtemps que les Palestiniens eux-mêmes font le constat de l’existence d’un régime d’apartheid. Mais une fois de plus, des voix israéliennes confèrent à cette analyse un label d’objectivité refusé aux Palestiniens. « Pour que notre expérience vécue soit reconnue comme légitime aux yeux de la communauté internationale, elle doit être dite par quelqu’un d’autre que nous. Et de préférence par un Israélien » relève ainsi Yara Hawari du think tank palestinien Al Shabaka, dans un tweet le 25 janvier dernier. Hawari relève également les lacunes du cadre d’analyse géographique adopté par l’organisation israélienne qui entrainent l’absence de prise en compte des réfugiés palestiniens.

Une autre critique intéressante à souligner est celle de la chercheuse palestinienne Lana Tartour, partagée dans un épisode du podcast Rethinking Palestine produit par Al Shabaka. Cette dernière invite à se rappeler le rôle joué par le mouvement de décolonisation dans la généalogie de la Convention internationale sur l’élimination et la répression de la lutte contre l’apartheid, mouvement dans lequel l’Afrique du Sud mais aussi l’OLP ont joué un rôle majeur. C’est ainsi qu’adopter le cadre de compréhension de l’apartheid ne doit donc pas, selon elle, faire oublier que le sionisme est une idéologie coloniale et raciste. Or le rapport de B’tselem présente le problème de l’apartheid comme une question de libertés et de droits civils en oubliant ses fondements structurellement coloniaux et racistes. Selon Tartour, une telle interprétation, aussi réductrice qu’erronée, n’en serait d’ailleurs jamais donnée par une voix palestinienne. D’où la nécessité, de nouveau, de donner la primauté à la parole des colonisés.

 

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