bulletin n°92 : conseils de lecture

Les éditions Antidote publient coup sur coup deux courts essais(un troisième est annoncé pour l’automne) sur le Sumud, un mot qui traduit la philosophie de la résistance palestinienne.

Par Michel Brouyaux

Sumud, une philosophie palestinienne de la confrontation dans les prisons coloniales, Lena Meari, illustrations d’Ahmed Frassini, décembre 2021, 120 pages

Avec la collaboration de Samidoun et de plusieurs collectifs de soutien à la Palestine

L’ouvrage présente l’étude de Lena Meari, de l’université de Bir-Zeit.

Les prisonniers sont une des composantes les plus honorées de la société palestinienne. De plus en plus, ils sont apparus comme une voix de la conscience et comme des novateurs de la pensée politique et culturelle. Ils ont transformé les cellules de prison en écoles de la révolution. (Charlotte Kates)

On estime qu’un million de Palestiniens ont été emprisonnés par le régime israélien depuis la Nakba, en 1947-48. L’emprisonnement est une technique coloniale censée isoler les prisonniers de la société, y-compris internationale, et atténuer l’impact de leur prestige.

Six prisonniers morts de leur grève de la faim et six évadés d’une prison de haute sécurité à l’aide de simples cuillers : ce qui les relie s’appelle le sumud.

Traduire sumud n’est pas chose aisée, tant le mot peut revêtir de significations différentes : résistance, confrontation, détermination, fermeté, résilience. Le mot n’a pas une signification figée, mais recouvre une multiplicité de sens et de pratiques dont le dénominateur commun est le refus de la reddition, de la soumission au pouvoir violent du colonisateur. On pourrait affirmer qu’il s’agit d’une façon d’être, une manière d’envisager l’inévitable confrontation avec l’ennemi colonial dont le pouvoir violent n’est pas nié, mais auquel on refuse de se soumettre.

Le sumud, en effet, s’il est un processus créatif infini, est aussi une arme invincible parce qu’il accepte l’éventualité de la mort. Quand vous acceptez de mourir, vous êtes capable d’absorber tout ce qui est moins que cela. Comme l’écrit Amin, « imaginer ma mort pour ne pas avoir fait des aveux ouvrait mes possibilités au lieu d’y mettre un terme. »

Si l’on passe en revue les techniques d’interrogatoire et la façon dont toutes ces techniques peuvent être vaincues, les fondements du sumud sont la lutte intérieure « afin de surmonter les moments de faiblesse et de libérer le soi du cercle de l’individualité (…) pour le diriger vers le cercle collectif. » Le samed est celui qui se sacrifie pour les autres », celui dont le sacrifice « protégera la patrie et la cause juste ».

2/ Sumud : paroles de résistance des prisonnières palestiniennes, collectif éditorial Myriam De Ly, Luk Vervaet, Nadine Rosa-Rosso et Eric Hulsens, avril 2022, 180 pages

Dans une première partie, les profils et les témoignages de détenues ou anciennes détenues sont présentés : Khalida Jarrar, féministe, avocate et membre du comité palestinien qui a adhéré au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Dareen Tatour, poétesse de Nazareth, détenue pour un poème, Khitam Saafin, militante des droits des femmes, Rima Tannous et Thérèse Halasa, militantes des années 70, qui avaient participé au détournement d’un avion de la Sabena et Israa Jaabis, gravement brûlée et laissée sans soins dans la prison.

Le livre distingue les deux phases vécues par les prisonnières : l’interrogatoire, phase évidemment la plus dure, puis la détention, qui peut être renouvelée à l’issue d’une première période, voire durer des années.

La deuxième partie présente un extrait du livre de Nahal Abdo, qui a elle-même été emprisonnée, dans lequel elle donne la parole à d’anciennes détenues politiques et livre une analyse pointue de l’occupation, de la colonisation et de l’incarcération.

Les femmes prisonnières étant moins nombreuses que les hommes, il est plus facile de les isoler. Outre l’isolement, les mauvais traitements, les moyens de torture, des plus sauvages (coups) aux plus pervers (agressions sexuelles, insultes à caractère sexuel), rien n’est épargné aux munadelat.

Durant la phase d’« interrogatoire », qui peut durer des mois, et en violation de toutes les lois, les visites familiales sont interdites, sauf quand la famille peut être utilisée comme moyen de pression pour briser la résistance de la détenue (la torture d’un frère, par exemple).

Mais la résistance ne s’arrête pas aux portes des prisons . Nahla Abdo décrit les méthodes de lutte des détenues : grèves de la faim, refus de sortir de leurs cellules, désobéissance aux ordres des gardiens, revendications constantes de leurs droits, grève de l’hygiène… Les méthodes de lutte sont aussi variées que celles de leurs tortionnaires. Et elles sont souvent couronnées de succès, par exemple quand est conquis de haute lutte le droit à l’éducation, le droit à obtenir du papier, des stylos, des livres, ou le droit des plus instruites à enseigner aux autres.

Nahla Abdo, en conclusion, nous donne leurs noms et suggère toute une série d’actions concrètes pour les soutenir : par exemple leur écrire, à la prison de Damon.

Une certitude en tous cas : un peuple capable d’un tel sumud ne sera jamais vaincu !

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