Par Michel Brouyaux
Quitter Psagot, Yonatan Berg, Éditions de l’Antilope, traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz, 2020, 256 pages.
Psagot : une colonie peuplée de Juifs ultra-orthodoxes. Une bourgade engluée dans l’immobilisme et dans le déterminisme social.
Quand on vit à Psagot, pourtant située à 200 mètres d’un camp de réfugiés jouxtant la ville de Ramallah, on n’a aucun contact avec les Palestiniens. Un des objectifs du mur de séparation était de rendre impossible tout contact entre Palestiniens et Juifs israéliens : c’est chose faite, nous dit l’auteur.
On peut difficilement éprouver de l’empathie pour des gens qu’on ne connaît pas.
C’est cette situation qui éclate aux yeux de Yonatan Berg, un jour où, sortant de la synagogue, son meilleur ami lui demande : « Comment expliques-tu que les gens d’ici passent tranquillement en voiture malgré le camp de réfugiés qu’ils ont sous les yeux ? » Ces mots ont réveillé le monstre d’une conscience qui sommeillait là sans faire de bruit.
Le changement mental qui démarre chez l’auteur ne s’arrêtera plus, et l’amènera finalement à rompre avec son milieu fermé sur lui-même. Cette évolution sera aussi accentuée par les voyages à l’étranger que l’auteur, comme beaucoup de jeunes Israéliens, entreprend après ses trois années de service militaire. Comment ne pas penser au très beau livre du Sud-Africain blanc André Brink, « Mes bifurcations », dans lequel il se souvient du choc ressenti quand, à Paris, il rencontre pour la première fois des Noirs qui ne sont pas des domestiques ?
L’apartheid israélien pourrait-il encore susciter son contraire, un sursaut moral, y compris chez de jeunes Israéliens parmi les plus conditionnés à accepter le système ? On ne pourrait que s’en réjouir…
La révolution palestinienne et les Juifs, Le Fatah, Éditions Libertalia, Collection ORIENT XXI, juin 2021, 96 pages.
Très tôt après la Guerre de juin 1967 et la défaite des pays arabes, qui provoque le déracinement de 300 000 Palestiniens qui rejoignent les camps des réfugiés de 1948, les Palestiniens comprennent qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Après quelques succès militaires de la Résistance, et notamment la bataille de Karameh, les organisations palestiniennes et surtout la principale d’entre elles, le Fatah, sont amenées à reconsidérer leur stratégie.
C’est en 1970 qu’est publié leur texte-manifeste présenté dans ce livre.
Dans une remarquable préface qui contextualise le document, Alain Gresh rappelle que c’est Jérôme Lindon, directeur des Éditions de minuit – connues du grand public surtout par la publication du Silence de la mer, de Vercors, pendant la Seconde Guerre mondiale – qui accepte avec enthousiasme de le publier. Extraits :
Après Karameh, la victoire est redevenue possible pour les Palestiniens et alors nous avons vu (…) les Israéliens pour la première fois. Et nous nous sommes demandé : qu’allons-nous faire d’eux ?
Plus loin :
Notre révolution palestinienne tend la main à tous ceux qui veulent combattre avec elle pour vivre dans une Palestine tolérante et démocratique, sans discrimination de race, de couleur ou de religion.
Nous ne sommes pas les ennemis du judaïsme comme religion, pas plus que nous ne sommes les ennemis de la race juive. Notre bataille est contre l’entité colonialiste, impérialiste et sioniste qui a occupé notre patrie. Nous affirmons qu’Israël est une tête de pont pour le colonialisme américano-impérialiste dans le monde arabe.
La proposition d’une Palestine démocratique et non confessionnelle, d’un État où coexisteraient musulmans, juifs et chrétiens, implique des difficultés que le texte ne cache pas. L’utopie devra être précisée, mais elle est la seule solution qui apportera une paix durable et la justice.
L’intérêt de la réédition de ce texte et des propositions qu’il contient n’échappera à personne, alors que la « solution à deux États » prévue par les accords d’Oslo a totalement échoué.
Après tout, le projet d’un seul État démocratique n’est pas plus chimérique, nous dit Alain Gresh, que le pari de l’ANC sud-africain imaginant la fin de la domination blanche avec son programme de société « arc-en-ciel ».