Bulletin 55, mars 2013
Israël a récemment annoncé la création de 3000 nouveaux logements sur le site de E1. Les protestations contre cette décision se sont fait entendre partout dans le monde, mais n’ont entraîné aucune sanction réelle à l’encontre d’Israël. Un rapport publié par 22 organisations européennes souligne les incohérences de l’Union européenne et des ses Etats membres et les invite à agir de manière conséquente.
Le 30 novembre 2012, au lendemain de la reconnaissance de la Palestine comme Etat observateur non membre à l’ONU, le gouvernement israélien annonçait la construction de 3000 nouveaux logements dans la zone E1, entre Jérusalem-Est et la colonie de Maale Adumim située en Cisjordanie. Tous les observateurs ont analysé la décision comme une mesure de représailles à l’initiative palestinienne à New York. Les chancelleries ont à l’unanimité condamné Israël pour cette énième marque d’arrogance. Les Etats-Unis et l’Allemagne eux-mêmes, pourtant généralement très prudents sur ce terrain, ont clairement marqué leur désapprobation.
La zone E1, un projet israélien de longue date
Le plan israélien élaboré pour cette zone ne date pas d’hier. Il a été signé en 1994 par le Premier ministre travailliste Yithzak Rabin et a été repris par tous les gouvernements israéliens depuis lors. Il prévoit 3500 logements, une zone industrielle, des commerces, des hôtels, une université. Cependant, ce plan n’a jamais pu être réalisé du fait d’une stricte opposition des Etats-Unis au projet. La zone concernée est en effet particulièrement sensible puisque la construction d’une colonie y empêcherait tout développement futur des quartiers arabes de Jérusalem-Est et relierait la ville à la colonie de Maale Adumim, coupant ainsi définitivement la Cisjordanie du nord de celle du sud. L’administration Bush, pourtant très soucieuse de ses bonnes relations avec Israël, s’y était opposée elle aussi, comprenant que ce projet réduirait à néant la viabilité d’un futur Etat palestinien.
Qu’est-ce qui a changé la donne aujourd’hui ? Qu’est-ce qui permet alors à Israël d’accorder aujourd’hui les permis de construction sur cette zone ? Sans doute sa certitude maintes fois avérée qu’au-delà de quelques condamnations verbales et regrets polis de la communauté internationale, aucune sanction ne lui sera jamais imposée. L’Etat d’Israël jouit de facto d’une impunité totale.
Les incohérences de l’UE
Mais ce n’est pas tout. L’UE a ainsi une attitude complètement incohérente, condamnant en théorie la colonisation et l’encourageant objectivement par ailleurs par un renforcement de ses relations avec Israël. C’est ce qu’a récemment démontré un rapport publié par 22 organisations européennes, dont la Fédération internationale des Droits de l’homme et Broederlijk Delen. Sorti le 30 octobre 2012, et préfacé par l’ancien Commissaire européen aux relations extérieures, Hans van den Broek, le rapport « La paix au rabais : comment l’Union européenne renforce les colonies israéliennes » annonce la couleur dès son intitulé. Selon cette analyse, les Palestiniens sont doublement victime, et l’UE encouragerait cet état des choses.
Le rapport montre comment deux économies se côtoient en Cisjordanie : celle des colonies et celle des territoires palestiniens. L’économie des colonies est en grande partie subventionnée par l’Etat, via des aides à la production ou à l’exportation. Parallèlement, l’économie palestinienne est, quant à elle, réduite comme une peau de chagrin du fait de l’occupation israélienne. Le vol des terres, la colonisation et les évictions et démolitions de maisons qui l’accompagnent, l’exploitation des ressources hydriques, les restrictions de la mobilité, tous ces faits ont contribué à anéantir l’économie palestinienne. Alors que les exportations représentaient plus de la moitié du PIB palestinien dans les années 80, elles sont aujourd’hui tombées en dessous des 15%.
L’UE a, pour sa part, conclu des accords commerciaux préférentiels avec Israël et avec les Palestiniens. Mais l’effondrement de l’économie palestinienne pour les motifs cités plus haut rend ces accords peu opérants pour les Palestiniens, alors que le marché européen représente le premier marché d’exportation pour les produits israéliens. Or l’accord entre l’UE et Israël n’inclut ni interdiction, ni obligation d’étiquetage distinctif des produits issus des colonies. Ce qui permet donc aux Israéliens d’exploiter la terre, l’eau et la main-d’œuvre des territoires palestiniens occupés, tout en bénéficiant, pour les produits issus des colonies, d’un accès privilégié au marché européen au même titre que les produits proprement israéliens.
L’attitude européenne est non seulement contraire au droit international puisqu’elle conforte ainsi une violation par Israël du droit international (IVe Convention de Genève, art.49 ; Règlements de La Haye, art. 55), elle est aussi en contradiction flagrante avec les moyens engagés par l’UE dans l’édification d’un Etat palestinien et avec sa condamnation ferme de la colonisation.
A l’annonce du feu vert du gouvernement Netanyahou à la construction de 3000 nouveaux logements sur le site E1, le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE a encore tenu un discours en conformité avec ses positions sur la colonisation : « L’UE est profondément consternée et s’oppose fermement aux plans israéliens visant à étendre les colonies en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et en particulier les plans pour développer la zone E1. Le plan E1, s’il est appliqué, porterait sérieusement atteinte aux perspectives d’une résolution négociée au conflit en mettant en danger la possibilité d’un Etat palestinien voisin et viable, ainsi que de Jérusalem comme capitale de deux Etats. Il pourrait aussi entrainer des transferts forcés de populations civiles. A la lumière de son principal objectif qui est celui de parvenir à une solution à deux Etats, l’UE suivra de près la situation et ses implications plus larges, et agira en fonction. L’UE répète que toutes les colonies sont illégales en vertu du droit international et constituent un obstacle à la paix » (Conseil de l’UE, Affaires étrangères, 10 décembre 2012).
De nombreux moyens d’action
Mais en fait, que pourrait réellement faire l’UE? Le rapport des 22 organisations démontre que les moyens d’action de l’UE sont nombreux.
Il propose premièrement un minimum : l’UE et ses Etat membres peuvent exiger un étiquetage distinctif sur les produits provenant des colonies israéliennes et cela, afin que le consommateur puisse agir de manière éclairée. Mais comme nous l’avons rappelé dans le précédent Palestine (n°54, novembre 2012), demander un étiquetage revient se fier à l’honnêteté d’Israël et de ses entreprises. Or on sait à quoi s’en tenir si l’on considère la découverte faite récemment par l’organisation Corporate Watch dans la colonie de Beqa’ot située dans la Vallée du Jourdain de caisses Mehadrin étiquetées « Produits d’Israël ». Au-delà de ça, permettre la présence de produits de provenance illégale sur nos marchés et dans nos supermarchés, même dûment étiquetés, revient en fait à leur conférer une certaine légitimité. Enfin, pourquoi laisser le juste choix au consommateur, alors que le respect du droit international est d’abord du devoir de l’Etat ? Le rapport « La paix au rabais » propose alors une démarche plus cohérente qui est d’interdire d’accès au marché européen ces produits illégaux. Et tant que la mesure ne fait pas consensus au niveau européen, il reviendra aux Etats membres de la mettre en pratique au niveau national.
Outre l’arrivée de produits israéliens sur le marché européen, de nombreuses entreprises multinationales européennes opèrent également dans les colonies comme c’est le cas d’Alstom, Veolia et G4S. Là aussi, bien que n’étant pas eux-mêmes directement responsables de violations des droits humains, les Etats européens pourraient dissuader leurs entreprises de poursuivre des relations commerciales et des investissements dans les colonies israéliennes.
Les Etats ont encore la latitude d’exclure les entreprises impliquées dans la colonisation de tous les accords ou appels d’offres de l’UE. L’accord ACAA sur la conformité et l’acceptation des produits devrait ainsi inclure une clause qui fasse la distinction entre les produits issus des colonies et ceux provenant du territoire israélien.
En ce qui concerne les transactions financières, le rapport suggère enfin que les Etats prennent l’initiative de retirer de leurs régimes de déduction fiscale toutes les organisations qui financent les colonies ou de bloquer les transactions financières venant en soutien des colonies, qu’elles émanent de citoyens, d’entreprises ou d’organisations.
L’UE a beau se déclarer « profondément consternée », elle n’a jamais rien fait pour signifier concrètement sa désapprobation au gouvernement israélien. Bien au contraire, en tissant avec Israël des liens de plus en plus étroits, elle l’encourage à persévérer dans sa politique de colonisation. On peut donc considérer qu’en ce sens, l’UE a sa part de responsabilité dans le feu vert de Netanyahou à la construction de 3000 nouveaux logements sur le site E1. Aujourd’hui, il est temps que les choses changent, que l’UE assume enfin ses obligations et manifeste le minimum de courage politique nécessaire pour prendre des initiatives qui aboutiraient à ce qu’Israël réalise qu’il ne peut agir indéfiniment en toute impunité.
Nathalie Janne d’Othée