
Mahmoud, issu d’un village proche de Bethléem, témoigne ici des raisons qui l’ont poussé à faire le choix difficile de travailler en Israël, et sur la dureté des conséquences que ce choix implique.
Diplomé en 2009 en programation informatique, j’ai exercé plusieurs types de métiers. Mais jamais dans mon domaine d’étude, à cause de l’état du marché de l’emploi en Palestine, de la dégradation de l’économie et de l’absence d’opportunités d’embauche, ce qui engendre un surplus de diplômés.
Ma situation s’est un peu stabilisée quand j’ai commencé à travailler dans le social avec des organisations de la société civile. J’ai trouvé ce travail très enthousiasmant, ce qui m’a permis un développement personnel sur plusieurs aspects, sauf l’aspect financier. Et je suis loin d’être le seul dans cette situation. A un certain âge, je me suis lié à une personne que j’aime et me suis marié malgré les difficultés financières rencontrées, ce qui n’est pas rare parmi les jeunes.
J’ai commencé à sentir les responsabilités de cette nouvelle étape de ma vie. Le salaire que je gagnais à ce moment-là n’était malheureusement pas suffisant. Il ne dépassait pas les 2500 shekels (600 dollars) par mois quand tout allait bien, jusqu’à ce que ma femme doive accoucher. Un ami m’a alors proposé de faire une demande de permis pour aller travailler en Israël et pouvoir gagner plus afin de couvrir les frais de l’accouchement et du bébé. Ce que j’ai fait. Une semaine de travail pouvait alors me rapporter 1500 shekels. Prendre soin de ma nouvelle petite famille a exacerbé ma responsabilité et j’ai décidé d’abandonner le titre de fonctionnaire, pour devenir ouvrier en Israël.
J’ai commencé alors à chercher une personne pouvant me faciliter l’octroi d’un permis, car il faut un garant et je n’ai pas les moyens de payer 2500 shekels pour acheter un permis chaque mois. C’est un système mis en place par l’Etat colonial pour faire gagner de l’argent à des « trafiquants de permis ». En l’absence de relation pouvant m’aider pour cela, on m’a présenté à un entrepreneur de Bethléem qui travaille avec un homme d’affaires arabe de Jérusalem dans le domaine de la construction en sous-traitance pour le compte d’une entreprise israélienne de Tel-Aviv.
Je me lève donc chaque matin à 3h30 pour arriver au checkpoint entre Bethléem et Jérusalem. Au bout de 10 minutes, commence alors la souffrance: c’est parti pour 1h de file pour faire un kilomètre de distance à cause des altercations causées par les soldats israéliens pour humilier tout Palestinien qui veut passer. On nous demande de nous arrêter et d’attendre notre tour. Les soldats font exprès de trainer pour maintenir l’état de malheur des Palestiniens avec des injures et des insultes racistes contre les Arabes. Tu y vas chaque matin et tu te dis que sur un simple coup de tête, un soldat peut te tirer dessus pour un rien parce que tu ne fais pas ce qu’il demande ou que tu n’as pas compris ce qu’il a dit. Après tant de haine et de mépris, tu passes enfin ce checkpoint de l’animosité où des formes de tortures diverses se perpétuent chaque jour.
Au moment ou j’arrive de l’autre coté, je dois attendre 30 minutes l’arrivée d’un bus navette pour nous emmener à Tel-Aviv. L’aller prends une heure, le retour deux heures. Toutes ces conditions paraissaient normales à tout le monde sauf à moi, jusqu’au moment où j’ai commencé à comprendre que je n’étais là-bas que pour un travail strictement encadré. Sortir du lieu de travail pour se balader dans un parc ou un jardin est considéré comme une infraction. On n’a pas le droit non plus de travailler pour une autre entreprise que celle qui nous a embauchés, et les jours non prestés ne sont pas payés. Tout ce cadre forme pour nous une sorte de mafia du marché de l’emploi en Israël. Bien que je gagnais le double de ce que je gagnais de l’autre côté du Mur, tout ceci avait un prix. En moyenne, pour travailler 8 heures, je dois partir à 3h30 et rentrer à 18h00, soit un total de 14 heures.
En Israël, tu dois être conscient des lois qui te sont appliquées en tant qu’Arabe dans les moindres détails, car les regards sont rivés sur toi, surtout de la part de l’armée au passage du checkpoint. Toute erreur ou infraction peut te coûter la perte du permis de travail. En plus des abus des employeurs et des hommes d’affaires qui sont hors la loi et contre qui on ne peut rien.
En définitive, je ne suis qu’un travailleur parmi d’autres. Je rêve du jour où je pourrai avoir ma propre affaire pour avoir une vie digne qui pourra me permettre de subvenir aux besoins de ma famille.