Se marier et vivre ensemble au pays de l’apartheid israélien

Dans le régime ségrégué de domination israélienne, les mariages et projets de vie communs qui concernent les Palestiniens sont soumis
à de multiples contraintes. Sous couvert de considérations sécuritaires, ces dernières visent en réalité à contenir leur expansion démographique.

 


La loi sur la nationalité et l’entrée en Israël,
 ordonnance 5763-2003

Cette loi, promulguée en 2003 à titre temporaire pour des « raisons de sécurité », a été reconduite d’année en année. Pratiquement, elle oblige tout citoyen israélien ou résident en Israël à solliciter auprès du ministère de l’Intérieur un regroupement familial pour son conjoint non juif ou les autres membres de la famille non juifs qui n’ont pas la citoyenneté israélienne afin que ce(s) dernier(s) puisse(nt) vivre en Israël ou à Jérusalem. Les hommes de moins de 35 ans et les femmes de moins de 25 ans qui résident en Cisjordanie ou à Gaza en sont exclus. Les autres sont soumis au pouvoir discrétionnaire des autorités et leur demande est refusée le plus souvent sous le prétexte d’« activités hostiles ».

En 2007, sont soumis aux mêmes restrictions les ressortissants d’Iran, du Liban, de Syrie et d’Irak.

Situation de discrimination et d’apartheid évidente puisque les Juifs du monde entier peuvent selon la Loi du retour s’établir en Israël même s’ils n’y ont pas de famille.

 

La réalité

En clair, s’il épouse Mme Y, résidente de Palestine occupée,  Mr X, citoyen israélien de plus de 35 ans, doit, s’il veut vivre avec elle, avoir une permission spéciale pour qu’elle puisse vivre légalement en Israël ou à Jérusalem annexée. Et il en va de même pour leurs enfants. Le même système s’applique à Mme Y, citoyenne israélienne de 25 ans, si elle épouse un résident de Palestine occupée, et à leurs enfants.

Tant que le regroupement familial n’est pas accordé, il faut au résident de Palestine occupée un permis militaire de visite qui ne lui donne pas le droit de travailler, ni de bénéficier des prestations en matière de santé ou en matière sociale, ni non plus de conduire ou d’ouvrir un compte bancaire !

Dès lors, les conjoints doivent faire un choix cornélien : pour les Palestiniens  de Cisjordanie et Gaza, vivre illégalement en Israël ou, pour les citoyens israéliens, aller vivre dans le territoire occupé.

Si on vit illégalement en Israël, cela signifie pratiquement qu’on ne sort pas de chez soi de peur d’être arrêté et expulsé. Si le choix est de vivre dans le territoire occupé, on enfreint la loi israélienne qui défend aux Israéliens d’entrer en territoire palestinien et on risque de perdre ses droits de citoyen israélien. Bref, quelle que soit la solution choisie, c’est l’enfer.


Vivre avec ceux qu’on aime

Tayseer Khatib raconte : « Pour la Saint-Valentin, je n’ai qu’une peur : être séparé de ma femme. Ma vie de famille dépend de l’Etat d’Israël et des caprices de fonctionnaires trop zélés. Et, tant que la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël n’est pas abrogée, cette peur continuera à nous hanter, parce que l’Etat n’a qu’à la faire appliquer pour nous séparer.

Lana, ma femme, vient de Jénine, dans le Territoire occupé. Elle est diplômée en économie de l’université de Naplouse. Notre histoire d’amour a commencé à Jénine en 2002, après la destruction par Israël du camp de réfugiés lors de la seconde Intifada. Lana est venue vivre avec moi en Israël en 2005. Nous avons deux enfants, Adnan, 4 ans et demi, et Yousra, 3 ans et demi. Ma famille est tout pour moi et pourtant notre existence en Israël ne tient qu’à un fil, parce que je n’arrive pas à obtenir la citoyenneté israélienne pour ma femme.

Malgré la puissance de frappe du gouvernement israélien, tant que notre amour vivra, rien ne pourra nous décourager, Lana et moi. Que ce soit sous l’apartheid, en Afrique du Sud, ou dans le Sud raciste, aux Etats-Unis, l’amour a toujours été le plus fort. Nous connaissions les risques lorsque nous nous sommes mariés, en 2003, la loi venant de passer. Mais nous étions déterminés à ne pas laisser cette loi qui dénie tous les droits aux Palestiniens nous empêcher de nous aimer.

Lana peut rester avec moi à condition de renouveler tous les ans son permis de séjour. Or ces renouvellements sont soumis à l’arbitraire du ministère de l’Intérieur d’Israël et de ses services de sécurité. Lana ne bénéficie d’aucun droit. Elle n’a pas accès aux remboursements des soins de santé, elle n’a ni le droit de travailler ni celui de conduire. C’est une citoyenne de seconde classe.

Lana était une femme indépendante quand je l’ai connue. Elle travaillait depuis quatre ans au ministère de la Santé palestinien à Jénine. Mais aujourd’hui, dans cet Israël qu’on dit moderne, elle est complètement dépendante de moi. Et, au lieu d’être son refuge, notre foyer est devenu sa prison. Elle y est coincée sans aucune perspective de libération. Et c’est, pour elle comme pour moi, une source permanente de frustration. “J’ai le sentiment d’avoir été dépossédée de ma liberté par cette loi raciste, dit-elle. Peu importe l’endroit où je vis, l’Etat d’Israël contrôle ma vie et me refuse tous les droits, pour la seule raison que je suis palestinienne.”[2]

Pour avoir une idée de l’ampleur du problème, entre 2000 et janvier 2005, 120 000 demandes de réunification familiale ont été laissées sans réponse…

La sécurité ou l’éviction des Palestiniens de leur terre ?

Les Israéliens juifs peuvent épouser qui bon leur semble. Parfois même avec un-e Palestinien-ne citoyen-ne d’Israël, même si c’est chose rare et qui rencontre l’hostilité, évidemment.

Mais un-e Palestinien-ne a à peine le droit d’épouser une personne de nationalité étrangère et de vivre avec elle en Palestine car c’est Israël qui donne les visas d’entrée. Ainsi, les conjoints de Palestiniens de Cisjordanie (ou Gaza avant le blocus) ne reçoivent que des visas de séjour de 27 mois maximum (en théorie) -mais le plus généralement de 6 mois- à renouveler en sortant du pays. Or, quand la personne re-rentre en Israël, il n’est pas rare qu’elle ne reçoive qu’un visa de 3 mois voire moins, à renouveler. Il en résulte que beaucoup restent sur place et ne sortent plus du pays de peur de ne pouvoir y retourner. Il est en effet de plus en plus courant que les personnes étrangères mariées à des Palestien-nes  se voient refuser l’entrée en Israël.

Là encore, comme le dit l’avocat d’un Palestinien marié à une Allemande, les raisons du refus sont claires : « «On soupçonne que la véritable raison de la décision est une décision raciste et démographique. À savoir, empêcher l’inclusion de nouvelles personnes dans le registre de la population des territoires et en encourager d’autres, comme le demandeur, à quitter la Cisjordanie. »[3]

« Les autorités israéliennes doivent abroger la Loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël, texte discriminatoire qui continue à priver des milliers de Palestiniens de l’accès au regroupement familial. Près de 14 ans après l’adoption de cette loi à titre de disposition temporaire, les autorités israéliennes ne sauraient continuer à invoquer des motifs de sécurité pour justifier ce qui constitue une discrimination raciale institutionnelle. » Amnesty International Belgique, 17 février 2017.

 

La sécurité, vraiment ?

La raison évidente de ces dispositions discriminatoires est d’ordre raciste : Israël veut un Etat juif et se débarrasser des Palestiniens est une politique constante. En juillet 2018, Avigdor Liberman, alors ministre israélien de la Défense, a déclaré: «Tant que je serai ministre de la Défense, il n’y aura pas de réunification des familles palestiniennes. S’ils le souhaitent, ils pourront s’unir à Gaza. » Et Netanyahou a lui aussi souligné qu’un des buts de la Loi sur l’Etat juif était d’empêcher les Palestiniens de s’établir en Israël « en profitant des procédures de réunification familiale pour rejoindre leur famille en Israël ». Et Israël considère que Jérusalem est israélienne…

Et si les époux ne peuvent vivre en Israël, les Palestiniens d’Israël doivent vivre dans le territoire palestinien : autant de Palestiniens en moins pour Israël.

En un mot comme en cent, il n’est pas question de sécurité mais bien de considérations d’ordre démographique et de nettoyage ethnique masqué.

Dans un communiqué intitulé « Discrimination raciale envers les Palestiniens » (février 2017), Amnesty International dénonce avec force cette loi sur la nationalité et rappelle qu’Israël doit se conformer aux obligations des traités qu’il a ratifiés : interdiction absolue de la discrimination consacrée par les articles 2 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’article premier de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant et l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

Les Palestiniens ne sont pas des êtres humains de chair et de sang  et encore moins des citoyens; pour Israël, ils constituent une masse à faire disparaître d’Israël, sinon de la Palestine historique. Alors s’ils aiment, s’ils ont des enfants, cela ne compte pas.

 

Marianne Blume

 

[1] Une étude récente: Engineering Community: Family Unification, Entry Restrictions and other Israeli Policies of Fragmenting Palestinians, Al Haq, Février 2019.

[2] https://www.courrierinternational.com/article/2013/02/07/quand-un-arabe-israelien-epouse-une-palestinienne

[3] Amira HASS, TheSecret Palestinian Doomsday Weapon, Haaretz, 21/03/2019.

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