Regard sur les prisons palestiniennes

Le système carcéral instauré par l’occupant israélien occupe une place centrale dans l’oppression des Palestiniens. Aussi aborder le système de détention de l’Autorité palestinienne peut-il sembler délicat. Ses abus sont pourtant établis et dénoncés tant dans des rapports d’organisations palestiniennes des droits humains, de Human Rights Watch que d’Amnesty International.

Par Marianne Blume

ÉTAT DES LIEUX
Dans le territoire qu’elle contrôle, depuis sa création, l’Autorité palestinienne (AP) est responsable des prisons. À partir de la division palestinienne (2007), l’AP administre la Cisjordanie et le Hamas la bande de Gaza. L’AP et le Service de police palestinien sont responsables de la gestion des sept prisons en Cisjordanie. Deux d’entre elles, à Bethléem et à Tulkarem, sont hébergées dans des bâtiments vétustes; trois autres, à Jéricho, Naplouse et Jénine, offrent de meilleures conditions de détention. Dans la bande de Gaza, le Hamas est responsable de la gestion des cinq prisons dont l’état n’est pas plus enviable que celles de Cisjordanie. 

Si certaines prisons sont connues sous leur nom, la plupart d’entre elles n’ont pas d’autre nom que celui d’un commissariat ou d’un lieu. La prison la plus connue en Cisjordanie est celle de Jéricho; à Gaza, c’est Assaraya et auparavant, Almashtal. La population les mentionne toutes en disant « l’abattoir ». Quand certains n’hésitent pas à parler, concernant la prison de Jéricho, d’un «Abou Ghraib»¹ palestinien. Ce qui en dit long sur ce qu’en arabe, on appelle non pas prisons mais «centres de réhabilitation et de réforme». En règle générale, les prisons et les centres de détention ne respectent pas les normes internationales en matière de respect de droits humains: ils sont surpeuplés, insalubres, dépourvus d’air conditionné et la nourriture y est de mauvaise qualité. Il n’y a aucun accès aux soins de santé². 

LES CONDITIONS DE DÉTENTION
Parmi les prisonniers, on trouve des voleurs, des vendeurs de drogue, des criminels, des prostituées, des femmes adultères, des gens en défaut de payement mais aussi un grand nombre de personnes incarcérées pour leur appartenance politique (avérée ou non), pour participation à une manifestation, pour critique des autorités sur les média sociaux ou encore pour avoir écrit, photographié ou filmé. 

Tous les rapports indiquent que les arrestations et les incarcérations sont pour la plupart motivées politiquement. Depuis la division palestinienne, que ce soit dans la bande de Gaza ou en Cisjordanie, sont ciblées les personnes membres des partis rivaux ou soupçonnées de l’être. Le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme (HCDH)³ fait état d’arrestations arbitraires. D’après ce même rapport, la détention administrative fait partie des pratiques palestiniennes. La mise au secret aussi. Par ailleurs, si la Loi fondamentale et le Code pénal palestiniens garantissent le droit à un avocat, le Comité a reçu des témoignages de personnes détenues durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, sans avoir vu un avocat⁴… Quand elles en voient un. 

Il faut souligner que ce sont les pressions de l’UE et d’Israël sur l’AP qui, en grande partie, en font un outil de répression destiné à entraver la résistance⁵. 

LA TORTURE 
La torture est généralisée dans les prisons palestiniennes. C’est un fait depuis le début de l’instauration de l’AP. Les témoignages sont accablants. Des détenus ont déclaré avoir été battus avec des gourdins et des matraques, fouettés sur la plante des pieds et soumis à des positions de stress durant des heures. La ICHR (Commission indépendante des droits de l’Homme) a reçu au moins 130 plaintes pour torture et autres mauvais traitements contre les autorités de Cisjordanie, et au moins 160 contre la police et les services de sécurité intérieure de la bande de Gaza. Selon le ICHR et l’ONG palestinienne de défense des droits de l’Homme Lawyers for Justice, les autorités ne prennent aucune mesure efficace pour enquêter sur les allégations de torture. Pire, selon la procédure des mécanismes de plainte, ce sont les agences de sécurité elles-mêmes qui examinent et traitent les plaintes déposées contre leurs membres… 

1/ Du nom de la tristement célèbre prison irakienne où l’armée d’occupation étatsunienne se rendit coupable de tortures et de sévices entre 2003 et 2004. 
2/ «Palestine: death penalty in a forgotten country», 22 juin 2022, prison-insider.com 
3/ «Premier examen de la Palestine au Comité contre la torture : malgré les garanties législatives et judiciaires, de nombreuses allégations de mauvais traitements et de torture sont à déplorer en Cisjordanie et à Gaza», 20 juillet 2022,www.ohchr.org 
4/ Ibid. 
5/ Marianne Blume, «Coordination sécuritaire israélopalestinienne: la sécurité pour qui?», Palestine n° 94, 4e trim. 2022.
Photo d’illustration, Unsplash

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