Je reviens d’un pays qui n’en est pas un. Un endroit où la vie n’est pas une vie, où la mort, dans un silence armé, se fait discrète mais toujours présente, dans tous les esprits. Un endroit qui fait couler beaucoup d’encre dans les médias du monde entier. Je reviens d’une des nombreuses missions civiles d’observation en Palestine.
Mais « Pourquoi aller en Palestine ? Est-ce bien raisonnable ? »
Pour tenter d’approcher, espérer saisir l’occupation avec ses implications dans la vie quotidienne des Palestiniens. Au-delà des lectures, des articles, des rapports, des documentaires, des polémiques, des politiques et des diplomaties, j’avais décidé de participer à cette mission d’observation civile pour rencontrer des hommes et des femmes, simplement des personnes qui semblent être prises au piège d’une machine infernale, une malédiction peut-être, mais qui pourtant résistent au désespoir par le simple fait de continuer à vivre là où ils sont. Malgré tout : le fractionnement, le démembrement de leur territoire, de leurs villages, de leurs quartiers, de leurs familles, de leurs vies, de l’image qu’ils ont d’eux mêmes et de l’avenir. Fractionnement matérialisé par le mur, condamné par la Cour de justice internationale, par les points de passages contrôlés, par les cartes de résidences restrictives, par l’extension folle, irrationnelle des colonies, par le blocage de routes, par les blocs de bétons sur lesquels on peut lire « zone de tirs » à l’attention des paysans leur interdisant d’accéder à leurs terres, par la confiscation de l’eau et de territoires agricoles au profit de colons, par la destruction d’habitations « non autorisées ». Israël laisse entendre que les visiteurs courent des risques importants en allant en territoires palestiniens. Il n’en est rien. Ces rumeurs ne doivent pas nous dissuader de nous y rendre afin de pouvoir témoigner.
Les visites et rencontres :
A Jérusalem, nous rencontrons des représentants de B’tselem, une ONG israélienne (centre israélien d’information pour les droits de l’Homme dans les territoires occupés), qui nous informent sur le terrain concernant le mur et les confiscations de terres. nous accompagne sur le terrain pour observer la réalité des colonies autour de Jérusalem. L’AIC (Alternative information center) nous informe sur la politique de ségrégation et de restriction pratiquée par Israël. Nous rencontrons aussi le Consul belge à la Délégation européenne chargée de la Palestine. Nous soulignons la passivité de l’Europe et la timidité de ses déclarations. Le problème des accords d’association et celui de la vente par Israël de produits provenant des territoires occupés de façon frauduleuse, sont abordés. Les réponses ont été avasives et peu convaincantes.
Nous visitons les quartiers de Silwan (Sud de Jérusalem-Est) et de Sheikh Jarrah (Nord de Jérusalem-Est). Ces deux quartiers sont emblématiques de la politique de colonisation sournoise mise en œuvre par Israël dont le dessein très clair est la judaïsation de Jérusalem-Est et sa déconnection du reste du territoire palestinien.
A Beit Ummar, nous rencontrons les représentants du comité populaire de Beit Ummar qui nous expliquent leur combat non violent contre les ordres de démolition de l’administration israélienne, les destructions des plantations et les diverses exactions perpétrées par les colons qui entourent le village sous la protection de l’armée israélienne. L’administration israélienne fonde ses expropriations sur d’anciennes lois ottomanes assimilant les terres négligées par leurs propriétaires à des terres d’Etat.
A Bethléem, nous sommes reçus par Najji Odeh le Directeur du Centre Phénix dans le camp de réfugiés de Deheisheh dont la population provient de 46 villages autour de Jérusalem démolis ou occupés en 1948 par Israël. Le centre tente de mettre à disposition des enfants et des adolescents du camp, des espaces correspondant à leur âge (jardin d’enfants, loisirs et divertissements divers). Najji Odeh nous fait part des difficultés quotidiennes que rencontre la population de Deheisheh et nous guide dans la visite du camp.
Toujours à Bethléem, Daoud Nassar nous reçoit au centre « Tent of Nations », une ferme où travaille et habite sa famille chrétienne. Il fait face aux mêmes problèmes que ceux rencontrés par les agriculteurs de Beit Ummar. Daoud Nassar dispose de tous les titres nécessaires pour faire valoir la propriété de sa famille. Ceux-ci datent de l’époque ottomane et ont été reconnus par toutes les autorités qui se sont succédées (Ottomans, Britanniques, Jordaniens). Cependant, les procédures administratives et judiciaires durent maintenant depuis 20 ans et la ferme familiale est aujourd’hui encerclée par 6 colonies israéliennes.
A Hébron nous sommes reçus par le TIPH (‘Temporary International Presence in Hebron’) qui est une mission civile d’observation à laquelle participent 6 pays européens. Le TIPH a été établi suite au massacre du 25/02/94 où un colon juif extrémiste, Barush Goldstein, a tué 29 Palestiniens dans la mosquée où ils priaient et fait une centaine de blessés. Le TIPH nous explique son rôle de rapporteur et rappelle qu’Hébron a été occupé lors de la guerre de 1967 et qu’aujourd’hui 500 colons religieux fanatiques ont installé des colonies au cœur de la vieille ville rendant la vie des Palestiniens très difficile. Par ailleurs, 7000 autres colons occupent le territoire autour d’Hebron. Nous procédons ensuite à une visite affligeante de la vieille ville. L’Organisation « Union of Agricultural Workers Centers » nous accompagne pour une visite des alentours d’Hébron. Les agriculteurs font face eux aussi aux mêmes problèmes que les habitants de Beit Ummar.
A Ramallah, l’organisation «Defense for Children international» nous informe des conditions d’interpellation, d’interrogatoire, d’incarcération et de jugement des enfants Palestiniens. A la différence des Israéliens, les Palestiniens des territoires occupés sont tous soumis aux lois militaires israéliennes. Deux exemples parlant : âge de majorité 16 ans contre 18 ans pour un Israélien ; durée de détention avant tout contact avec un avocat : 90 jours contre 2 jours pour un Israélien.
A l’école du cirque de Ramallah, une Belge, Jessica Devlieghere, nous présente le travail admirable qu’elle réalise avec son époux et les enfants Palestiniens.
Au moyen de diverses techniques, le cirque offre aux jeunes palestiniens des espaces leurs permettant de quitter un quotidien douloureux, de découvrir d’autres moyens d’expressions et de développer leur personnalité.
A l’Université de Birzeit, nous rencontrons des étudiants qui nous font part de leur situation et de la façon dont ils s’organisent dans le contexte de l’occupation. Surveillance, incursions, arrestations, intimidations, infiltrations, espionnages, difficultés de déplacements, …
Dans la Vallée du Jourdain, région stratégique, nous rencontrons sur le terrain Fathi Khdeirat dirigeant la Jordan Valley Solidarity. La situation est dramatique. Quelques chiffres : la population palestinienne dans la vallée comptait 320000 habitants en 1967, elle en compte aujourd’hui 56 000. L’eau c’est la vie : chacun des 9400 colons installés dans la vallée consomment 6,6 fois plus d’eau qu’un Palestinien qui subit en plus de cela les restrictions, les démolitions et la ségrégation. Nous constatons l’activité des installations de pompage et de distribution des eaux vers les colonies. Israël a ainsi tari toutes les eaux de surfaces de la Vallée. Il interdit par ailleurs aux Palestiniens de forer des puits. Il s’agit d’une véritable confiscation de la ressource vitale des Palestiniens habitant la Vallée. L’accès à la mer Morte et son exploitation sont réservés aux seuls Israéliens.
Cette mission fut pour moi le moyen de constater la réalité de l’occupation et de la colonisation israélienne. Elle m’a permis de comprendre pourquoi la colonisation constitue un crime de guerre selon les normes de la Cour pénale internationale.
Certains considèrent que le conflit israélo-palestinien ne les concerne pas. Que le conflit israélo-palestinien est loin d’être le plus atroce. Pourquoi donc se focaliser ainsi sur celui-ci plutôt qu’un autre ?
« Il est facile de ne pas remarquer la terreur : elle se cache sous l’indifférence de ceux qui ne sont pas concernés, c’est-à-dire l’écrasante majorité ».
Pour moi, je suis conscient du fait que nous sommes tous, de facto, impliqués, en tant que citoyens européens, dans ce conflit par le simple fait des accords d’associations UE/Israël qui permettent à Israël d’exporter vers l’UE, sans s’acquitter des droits de douanes, les produits agricoles provenant des territoires qu’elle occupe et colonise illégalement en Palestine. L’Europe est par ailleurs le premier partenaire commercial d’Israël. N’y a-t-il pas des raisons de s’interroger quant à la moralité des liens privilégiés qu’entretient l’Europe avec un Etat qui ne respecte pas les principes universels des droits de l’Homme sur lesquels les accords d’associations sont pourtant fondés?
Le conflit israélo-palestinien n’est pas le plus meurtrier, en effet, mais comment expliquer son retentissement à travers le monde entier autrement qu’en considérant qu’il renvoie à un colonialisme passé qui a, des siècles durant, répandu le malheur et détruit méthodiquement les sociétés des trois quarts de l’humanité. Les peuples sont conscients de la responsabilité de la communauté internationale dans cette situation (la création d’Israël grâce aux Nations-Unies a aggravé et engendré de multiples problèmes qui ont abouti à la situation absurde que l’on connaît).
Il s’agit d’essayer d’agir là où on peut faire évoluer les choses. Compte tenu de la relation privilégiée que l’Europe, entretient avec Israël, nous avons, en tant que citoyens européens, une responsabilité morale, de dénonciation de l’impunité avec laquelle Israël viole les droits de l’Homme, le droit international et une multitude de résolutions des Nations-Unies. Adopter une position ferme contre ces violations, contre l’occupation et contre la colonisation illégale de territoires, voici ce que j’estime être la responsabilité de tout citoyen doué d’humanité.
On m’a aussi fait la réflexion suivante : « on ne peut considérer les souffrances des Palestiniens sans considérer aussi la situation des Israéliens et leurs craintes pour leur sécurité ».
Pour justifier ses multiples violations des résolutions de l’ONU et des droits des Palestiniens, les guerres qu’il mène et ses crimes, Israël a construit et véhicule une image de lui-même comme étant entouré de pays hostiles, qui menacent sa population et même son existence. Cette image est fausse. Dans les faits, il faut bien admettre qu’Israël est bien plus en sécurité que la plupart des pays de la région dont les populations ont le sentiment qu’Israël est la principale menace.
Par ailleurs, tout le monde est unanimement d’accord sur le fait qu’Israël doit jouir des mêmes droits que tout autre pays dans le monde. Mais Israël refuse de se soumettre aux mêmes obligations et poursuit ses exactions en toute impunité. Quand les Israéliens réaliseront-ils que les politiques menées par leurs gouvernements ne peuvent conduire qu’à la paranoïa et à l’absurdité avec des conséquences dramatiques à craindre pour tous?
Ce conflit est-il si complexe ?
Si l’on s’attache aux faits, pas aux discours, ni aux intentions déclarées ou supposées mais uniquement aux faits, les principaux aspects de ce conflit sont évidents et compréhensibles à toute personne qui les analyse en toute conscience. Rien de complexe, rien qui soit sujet à interprétation, à débats ou à polémiques, simplement des faits. Gardons à l’esprit que la violence vient d’abord et avant tout de l’occupation. Cette occupation doublée d’une colonisation illégale perpétue le conflit et éloigne la perspective d’une solution à deux Etats. De plus, les efforts déployés par Israël pour se définir comme Etat juif auraient, s’ils devaient aboutir, des conséquences désastreuses pour les minorités non juives qui vivent déjà dans des conditions difficiles en Israël. Israël ne serait plus l’Etat de tous ses citoyens mais exclusivement celui des Juifs. Il est fort probable que l’opposition des Palestiniens sur ce point inacceptable soit exploitée pour repousser davantage encore d’hypothétiques négociations de paix. Par ailleurs, il faut être conscient que des négociations ne peuvent être menées sans un organe d’arbitrage fort, garant des droits de chacun. La communauté internationale pourrait imposer sa présence sur le terrain pour garantir la paix. Elle n’a pas attendu que l’Irak et le Koweït se mettent autour de la table pour trouver un accord. Une intervention a pu avoir lieu en urgence. Les Etats-Unis ont un rôle majeur dans le conflit israélo-palestinien. Une inflexion même légère de leur soutien à Israël pourrait peser de façon décisive vers une solution de paix équitable et donc durable. « Ce n’est pas qu’Israël ne veuille pas la paix, tout le monde veut la paix, même Hitler la voulait. La question est : à quelles conditions ? ».
Le projet israélien est de plus en plus clair aux yeux des opinions publiques du monde. Il vise l’accaparement de toute forme de valeur dans les territoires palestiniens : les terres cultivables, les réserves d’eau, toutes les banlieues de Jérusalem et la Vallée du Jourdain. Le développement des colonies de Ma’aleh Adumim, d’Ariel et de Kedumim finirait de découper la Cisjordanie. Le reste, des bantoustans isolés et ingouvernables, bouclés par des centaines de points de contrôle, serait peut-être alors accordé aux Palestiniens. Aujourd’hui 500 000 colons sont installés dans les territoires occupés par Israël sans qu’aucune action n’ait été entreprise par la communauté internationale.
GAZA :
Peut-on aller en Palestine sans penser à Gaza ? Peut-on parler de la Palestine sans évoquer l’opération Plomb durci ? J’aurais aimé me rendre à Gaza. Mais le blocus inhumain qui lui est imposé depuis des années rend cette entreprise terriblement difficile.
« Le tir au pigeon n’est pas un combat entre combattants. Lorsque le monde se trouve irrémédiablement divisé entre ceux qui lancent les bombes et ceux qui les reçoivent, la situation devient moralement problématique ». Le 27 décembre 2008, en quelque minutes, plus de 200 personnes sont tuées et 700 blessées. En trois semaines 1400 Palestiniens, dont des centaines de femmes et enfants, trouveront la mort sous les bombes israéliennes.
On avait pu entendre les diplomaties occidentales rappeler le « droit d’Israël à se défendre ». Faut-il rappeler les faits (confirmés par le rapport de la commission d’enquête présidée par le juge Goldstone) ? Rappelons-les : en juin 2008 un cessez-le-feu avait été signé entre le Hamas et Israël. De plusieurs centaines, le nombre de tirs de roquettes était tombé à 1 en juillet, 8 en août et 1 en septembre et cela malgré le renforcement du blocus sur la bande de Gaza. Mais le 4 novembre le cessez-le-feu a été rompu par un raid israélien dans la bande de Gaza tuant 6 Palestiniens et provoquant la reprises des tirs de roquettes en représailles. Tirs qui ne firent, par ailleurs, aucune victime.
Les médias nous parlèrent régulièrement des tirs de roquettes par le Hamas mais où a-t-on parlé du fait que depuis 2006 et la capture par le Hamas de Gilad Shalit, soldat de l’armée occupante, plus de 7700 obus ont été tirés sur le nord de Gaza ? Rappelons par ailleurs qu’Israël entre régulièrement dans Gaza pour kidnapper des civils et les enfermer dans ses prisons ou pour tuer.
Il a été décrété que le Hamas était une organisation terroriste. Tout occupant aimerait ne rencontrer aucune résistance de la part des populations qu’il oppresse. Il est par ailleurs bien connu que toute résistance est assimilée au terrorisme par l’occupant dont les massacres sont toujours une « défense légitime ». La population de la bande de Gaza a en plus commis, en janvier 2006, une faute impardonnable. Celle d’avoir « mal voté » lors d’élections pourtant jugées équitables par les observateurs internationaux. Un million cinq cent mille personnes devaient donc être punies. En plus du blocus, une « guerre totale contre la population civile de Gaza », selon l’expression de Mads Gilbert, médecin norvégien, admirable de courage.
L’engagement
Dans une société de consommation axée sur le culte de l’individu, le sentiment d’incapacité à changer les choses est une conséquence prévisible. On peut même se demander dans quelle mesure ce sentiment n’est pas entretenu par un système complexe d’endoctrinement qui nourrit notre culture et notre imaginaire depuis notre plus tendre enfance. Quoi qu’il en soit, contrairement à la scolarité, à la pratique d’un sport ou d’un art, rien ne nous encourage à nous engager pour une cause juste. Alors que faire de notre indignation quand on se sent si petit, impuissant, insignifiant ? Rien ? Au nom de quoi réprimer le soulèvement de notre humanité qui s’exprime en nous devant la souffrance de l’autre ? Pour affronter les nombreuses contraintes de notre vie moderne doit-on abandonner ce qu’il y a de plus noble dans la nature humaine ? S’engager pour une cause nous fait passer de la théorie à l’expérience qui est indispensable pour la prise de conscience de notre propre capacité à agir. Dans une société démocratique telle que la nôtre, nous avons la responsabilité de demander des comptes à nos gouvernants. Toute action, aussi minime qu’elle soit, a sa valeur mais elle est susceptible d’avoir plus de poids si elle s’inscrit dans une structure collective et bien organisée. Le mouvement BDS (ou BDS Boycott, Désinvestissement, Sanction) est aujourd’hui l’initiative civile la plus suivie jamais mise en place pour la défense des droits des Palestiniens : « notre réponse à l’apartheid ». Bien que la situation vécue par les Palestiniens en territoires occupés et en Israël n’est pas identique à l’apartheid de l’Afrique du Sud, les similitudes sont évidentes, pour certains aspects. La référence de plus en plus fréquente à l’apartheid est surtout intéressante par le fait qu’elle renvoie, en occident, aux mouvements de boycott solidaire et de réprobation qui contribuèrent à isoler le gouvernement sud-africain et à dégrader son image. Notons cependant que, tout comme Israël aujourd’hui, le gouvernement sud-africain ne se sentait pas menacé par la dégradation de son image internationale ni par toutes les résolutions adoptées par les Nations-Unies. Le soutien des Etats-Unis était tout ce qui comptait.
Malgré l’absence quasi totale de relais dans les médias conventionnels (cela en dit long sur ce milieu), le mouvement BDS prend cependant de plus en plus d’ampleur à travers le monde et il est facile pour chacun d’y participer dans la vie de tous les jours en faisant attention à la provenance de ce que l’on consomme, en disant simplement « non » aux produits israéliens, « non » aux marques et enseignes coupables de complicité de crime de guerre.
Le Tribunal Russell sur la Palestine est un autre exemple d’initiative visant à mobiliser les sociétés civiles. « Tribunal populaire des consciences » défendant la primauté du droit international comme base pour la résolution du conflit, il examine les responsabilités d’Israël mais aussi celle d’autres Etats (Etats-Unis, Etats européens, Etats Arabes, …) et organisations internationales (Nations-Unies, Union Européenne, Ligue Arabe, …). Par ailleurs, à partir d’éléments factuels minutieusement recueillis, les entreprises complices de l’occupation d’Israël sont identifiées et incriminées : IKEA qui développe ses succursales dans les principales colonies de Cisjordanie, l’entreprise française VEOLIA engagée dans le développement d’un réseau de tram à Jérusalem (destiné à relier Jérusalem Ouest avec les divers colonies des territoires occupés) et active pour le compte d’Israël dans la gestion de l’eau des territoires occupés, VOLVO qui fournit à Israël des véhicules de transport de prisonniers en Cisjordanie, la banque DEXIA qui a financé le développement de dizaines de colonies en Cisjordanie, CATERPILLAR qui fournit les bulldozers qui détruisent habitations et plantations palestiniens,…
Le retour :
Sébastia était ma dernière escale. Un charmant petit village au Nord Ouest de Naplouse, en plein milieu du territoire Palestinien. Pourtant, la colonie de Kedumim, qui s’étendait toujours un peu plus vers l’Est, n’était qu’à quelques kilomètres. A la terrasse d’une petite gargote, Ahmed, 25 ans, le plus attachant des chauffeurs, était désolé de ne pas pouvoir me conduire à Tel Aviv. Le soleil se couchait et l’appel à la prière résonnait encore. Dans l’attente d’un autre taxi, nous partageâmes une dernière boisson et échangeâmes encore quelques mots sur l’enfer quotidien des jeunes Palestiniens. Mais ce fut bientôt le moment de partir. Devant le véhicule, nous nous serrâmes la main, longuement. Nous ne parlâmes pas davantage. Comme tous les Palestiniens, Ahmed n’avait guère besoin de notre pitié ni de notre compassion mais bien de notre témoignage. Mon regard appuyé lui disait que les Palestiniens n’étaient pas seuls. Qu’à travers le monde des millions de personnes les soutenaient par la pensée, par la parole par une multitude d’actions citoyennes. Que le printemps arabe était la preuve que tout pouvait basculer à un moment donné. Que cette certitude ne devait jamais le quitter.
Le taxi m’acheminait vers l’aéroport. Dans ma tête, les sentiments bourdonnaient. La gorge serrée, j’étais saisi par l’évidence. Autant ces territoires appartenaient aux Palestiniens, autant les Palestiniens, tout comme ces herbes, ces arbres et ces pierres, appartenaient à ces collines et ces vallées. Sur fond de campagne mutilée, devant moi, sous mes yeux imprégnés de larmes et d’une mémoire encore vive, les images, les visages, défilaient. J’étais troublé. Des entrailles de la terre me parvenaient les complaintes de ces oliviers orphelins arrachés à leur mère, les voix et les mémoires de générations de déracinés qui ne rêvaient même pas de vengeance mais simplement de paix et de retour. Je sombrais dans le flot de mes pensées, l’âme livrée à l’effroi et à l’aversion. J’eus soudain une étrange vision. Clairement, j’apercevais par la fenêtre, le Mont Rushmore, qui s’approchait. Sur les crêtes de la montagne se dressaient, fiers, avec leurs chevaux, des Chefs et des guerriers Indiens. Parmi eux, je pus reconnaître Tecumseh, Thašunka Witko, Tatanka Yotanka et Go Khla Yeh. Plus loin sur le Mont Uluru, la montagne sacrée aborigène, Windradyne et les siens se tenaient debout. Tous me regardaient. En bas, tourbillonnaient comme feuilles mortes balayées par les vents, des milliers de pages, vestiges dérisoires des traités, tous violés par les colons et tous leurs gouvernements. En bas aussi, les têtes coupées de Pemulwuy et de Metacomet fixaient le ciel où d’immondes créatures, les ailes déployées, tournoyaient à la manière des vautours. Progressivement, de plus en plus distinctement, je réalisais avec terreur que ces bêtes hideuses avaient des têtes humaines. Je reconnus ainsi les visages de Washington, Jefferson, Lincoln, T. Roosevelt, Jackson mais aussi les Georges, Guillaume, Victoria, Edouard d’Angleterre et bien d’autres encore. Brusquement l’augure funeste se dissipa. Le taxi s’était arrêté. J’étais à un check point. Quel sombre réveil de vérité ! Je repris rapidement mes esprits et présentai mes papiers à la jeune militaire israélienne lourdement armée qui me les demandait. Une conscience profonde me tenait pourtant. Tant qu’il y aurait la vie, comme cette infinité de graines qui germaient et perçaient sur ces territoires, la multitude de murmures des opprimés et de ceux qui les soutiennent trouveraient toujours leur passage vers la lumière. Un jour, leurs grondements feraient soudain tout basculer.
Arrivé chez moi, en embrassant mes enfants, je ne pus m’empêcher de repenser à une question surprenante que m’avait posée l’un d’eux, âgé à l’époque de cinq ou six ans : « Dis papa, est-ce qu’il y a encore des lions ? ».
Bruxelles le 29 avril 2011
On trouve bien sûr une multitude d’ouvrages et de documents concernant le conflit israélo-palestinien. En voici quelques uns :
§ Le champ du possible : Dialogue sur le conflit israélo-palestinien
Noam Chomsky, Ilan Pappé, Frank Barat et Herve Landecker (48 pages),
§ Tuer l’espoir : Introduction au conflit israélo-palestinien
Norman G. Finkelstein et Jean Bricmont (94 pages),
§ De quoi la Palestine est-elle le nom ?
Alain Gresh (215 pages),
§ Israël, Palestine : Vérités sur un conflit
Alain Gresh (279 pages),
Michel Collon, Aurore Van Opstal et Abdellah Boudami (347pages),
§ Le nettoyage ethnique de la Palestine
Ilan Pappé (394 pages),
§ …
« Israël a en conséquence l’obligation de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur qu’il est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. De l’avis de la Cour, la cessation par Israël des violations de ses obligations internationales implique le démantèlement immédiat des portions de cet ouvrage situées dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. L’ensemble des actes législatifs et réglementaires adoptés en vue de l’édification du mur et de la mise en place du régime qui lui est associé doivent immédiatement être abrogés ou privés d’effet, sauf s’ils demeurent pertinents dans le contexte de l’obligation de réparation à laquelle Israël est tenu. [ …] L’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international » Avis consultatif de la Cours international de justice de La Haye – 9 juillet 2004.
http://www.savethechildren.org.uk/en/docs/English_Jordan_Valley_Fact_Sheet_and_Citations.pdf
Manès Sperber, cité par Alain Gresh dans De quoi la Palestine est-elle le nom ? – Les liens qui libèrent – 2010.
En violation de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations-Unies.
En violation des résolutions 446 et 452 du Conseil de sécurité des Nations-Unies.
L’article 2 de l’accord précise « les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des principes démocratiques et des droits de l’homme fondamentaux énoncés dans