Bulletin 55, mars 2013
Le 14 novembre 2012, Israël lance contre la bande de Gaza une offensive militaire d’envergure par mer, par air et par terre. Pour de nombreux observateurs, cette énième opération militaire contre la bande de Gaza avait un air de déjà-vu. Officiellement présentée comme une réponse aux attaques à la roquette ciblant le sud d’Israël, cette escalade militaire obéit en fait à une logique politique et militaire beaucoup plus sournoise de l’Etat d’Israël. L’opération militaire baptisée « Pilier de défense » n’est en effet que la répétition d’un scénario bien rodé auquel les responsables politiques et militaires israéliens nous ont accoutumés de longue date.
Un scénario bien rôdé
Les dernières offensives militaires israéliennes contre la bande de Gaza suivent une stratégie militaire et politique bien huilée. Elles interviennent en effet à intervalles réguliers dans des contextes politiques relativement calmes durant lesquels une trêve militaire est apparemment observée par les deux parties. Trois exemples illustreront notre propos :
- Ainsi, en 2003, l’« élimination ciblée » d’Ismail Abou Chanab, pourtant à l’origine d’une trêve avec Israël que le Hamas respectait scrupuleusement, provoque la reprise des hostilités militaires de la part de celui-ci.
- En 2006, c’est l’assassinat extrajudiciaire d’un cadre des « Comités de résistance populaire » de Gaza qui entraîne la capture du soldat Shalit par le mouvement palestinien.
- En 2008/2009 enfin, l’assassinat de 6 militants du Hamas et la rupture de la trêve par les forces militaires israéliennes ont pour conséquence le déclenchement de l’opération « Plomb durci » qui a coûté la vie à 1400 Palestiniens, dont une majorité de civils.
Des « éliminations ciblées » qui ressemblent à s’y méprendre aux nombreuses autres qui suivront et qui seront, elles aussi, à l’origine de confrontations militaires sanglantes entre Israël et le mouvement de résistance du Hamas, à l’image de la dernière confrontation de novembre 2012. Ainsi, les assassinats par les Israéliens, le 14 novembre 2012, d’Ahmad Jaabari, de son fils et de son garde du corps, au moyen d’un missile, répondent à la même logique. Responsable militaire influent du Hamas, Ahmad Jaabari était connu pour avoir obtenu la libération du soldat Shalit contre celle de 1000 prisonniers palestiniens. Au-delà de cet épisode, il avait aussi négocié une trêve entre Israël et le Hamas au lendemain de l’opération « Plomb durci » (décembre 2008/janvier 2009) et s’apprêtait à négocier une nouvelle trêve sous supervision égyptienne au moment où il fut assassiné par les forces militaires israéliennes, ce qui lui valait le sobriquet de « sous-traitant » de l’Etat d’Israël. Qu’on ne s’y trompe pas, en l’assassinant, Israël faisait clairement le choix de provoquer les foudres du Hamas et radicaliser ses partisans.
Une logique de la radicalisation ou comment annihiler les partisans de la solution politique
Ayant rejeté le processus de paix, le Hamas va connaître cependant ces dernières années une évolution qui le conduira vers plus de pragmatisme. Partisan de la lutte armée, il affiche clairement sa volonté d’entrer dans le jeu politique en participant notamment aux élections palestiniennes de 2006. En acceptant, en 2006, le document d’entente nationale à l’initiative de plusieurs factions palestiniennes, le Hamas reconnaît de manière implicite l’existence de l’Etat hébreu. Conscient du rapport de forces en sa défaveur et partisan de la realpolitik, le Hamas tente de contrôler, voire d’éradiquer le lancement de roquettes depuis la bande de Gaza par des groupes islamistes tel que le Jihad islamique, allant même jusqu’à créer une force de plusieurs centaines d’hommes dans ce but. Pour Jean- François Legrain, spécialiste reconnu du Hamas : « Depuis son accession aux affaires par la voie des urnes en 2006, et tout particulièrement depuis 2007 et sa prise de contrôle exclusif de la bande de Gaza, il n’a eu de cesse de garantir, tant bien que mal, un bas niveau de violence aux frontières de l’Etat hébreu. Il se montrait, par-là, conscient de la réalité du rapport des forces en présence mais également des responsabilités induites par la prise en charge du quotidien d’un million et demi de citoyens soumis à un implacable blocus. » Une telle attitude sera condamnée par les autres groupes de la résistance armée qui ont éclos ces derniers temps et une partie de sa base pour qui le Hamas agit ainsi en force supplétive de l’Etat d’Israël. Ils lui reprochent, entres autres, de ne pas aller assez loin dans ses opérations militaires malgré les offensives israéliennes et la poursuite du blocus de la bande de Gaza. Il est d’ailleurs avéré que les dernières attaques à la roquette contre le sud d’Israël n’étaient pas le fait du Hamas. Dans sa logique de lutte contre le Hamas, Israël a toujours voulu discréditer l’organisation aux yeux de sa propre population en la rendant responsable du sort qui lui est infligé par les responsables politiques et militaires israéliens. Loin d’obtenir les résultats escomptés, les agressions militaires israéliennes à répétition renforcent la crédibilité du mouvement Hamas. Le calcul politique israélien est d’autant plus sournois qu’en attaquant militairement la bande de Gaza, Israël savait pertinemment que le Hamas ne pouvait que réagir militairement. Ce qui entraînerait aussitôt de la part des pays occidentaux un soutien sur lequel Israël sait qu’il peut compter. L’appui inconditionnel d’Israël auquel nous ont habitués les pays occidentaux ne s’est d’ailleurs pas fait attendre. Les Etats-Unis, par la voix de leur président Barack Obama, et l’Union européenne, par la voix de sa Haute représentante pour la politique étrangère Madame Ashton, ont aussitôt reconnu à Israël le droit de se défendre. D’autant que, dans le contexte international de lutte contre le terrorisme dit « islamiste », Israël n’a de cesse d’instrumentaliser la question de Gaza en l’inscrivant dans le registre de ce combat, compte tenu du référent religieux dont le Hamas s’est affublé. Le point culminant de cette stratégie de diabolisation du Hamas par Israël est de rejeter toute perspective de contacts politiques – autres que sécuritaires – en prétendant que le Hamas n’est pas un interlocuteur pour la paix. Au regard des éléments précités, on comprend que toute forme de normalisation du Hamas serait éminemment préjudiciable aux intérêts d’Israël.
Des calculs électoraux cyniques
En Israël, de l’avis même de certains observateurs israéliens de la politique de l’Etat hébreu, les échéances électorales sont propices aux attaques militaires contre leurs voisins. De nombreux précédents attestent de cette triste réalité. En 1996, lors de l’opération militaire israélienne « Raisins de la colère » contre le Liban et en 2008/2009 lors de l’opération « Plomb durci », ce sont à chaque fois des calculs électoraux cyniques qui ont conduit Israël à engager des attaques militaires sanglantes contre ces deux territoires. Benjamin Netanyahou, l’actuel Premier ministre israélien, n’échappe pas à cette règle. Lui aussi avait derrière la tête des considérations électoralistes en lançant l’attaque contre la bande de Gaza. N’ayant pu obtenir l’aval de l’administration américaine et de son président Barack Obama pour une attaque contre les installations nucléaires iraniennes et craignant une admission de la Palestine comme Etat non-membre aux Nations Unies, il a préféré la fuite en avant en s’attaquant au maillon faible qu’est la bande de Gaza.
La résistance du Hamas et la portée de plus en plus longue des missiles envoyés sur Israël auront réussi à dissuader les responsables militaires israéliens de se lancer dans une offensive terrestre. Mais aussi et surtout, ces deux éléments combinés auraient produit un effet inverse sur l’opinion publique israélienne de celui escompté par le Premier ministre israélien. En effet, la chute de missiles sur Tel-Aviv aurait porté sérieusement atteinte aux ambitions électorales de ce dernier.
Hocine Ouazraf