Le mur de l’annexion, une toile vierge pour les street artists

Le mur d’annexion construit principalement en béton monochrome est un support idéal pour l’art urbain.

Depuis sa construction, son versant palestinien a été couvert d’œuvres d’art qui traduisent le récit, l’histoire, la vie quotidienne, les messages politiques, les luttes, les espoirs… sous la forme de slogans, d’images, de caricatures, de portraits, de textes, de poèmes, de phantasmagories… Celles-ci sont réalisées à l’aide de techniques multiples : aérosol, pochoir, pinceau, collage, mosaïque… Par là-même, elles transforment ainsi ce symbole majeur de l’occupation et de
la souffrance des Palestiniens en une grande exposition d’art moderne et d’art de rue, en toile vierge qui attire et mobilise les imaginaires des street artists palestiniens et internationaux.

CONTROVERSE
Les artistes dont les œuvres se serrent sur le mur ont-ils la même importance, le même objectif, les mêmes intentions? De nombreuses œuvres de street artistes occidentaux renommés sont présentes à Bethléem et dans les villes environ- nantes. Citons notamment:

– L’emblématique Banksy, dont les œuvres se vendent plusieurs millions d’euros. Par exemple: la petite fille portée par des ballons, l’homme jetant un bouquet de fleurs comme une grenade et la fameuse colombe blanche tenant une branche d’olivier et portant un gilet pare-balles;
Lush Sux et son œuvre qui représente Donald Trump et Benjamin Netanyahou s’embrassant ;
– le collectif Cake$ Stencils et ses pochoirs. Nous avons tous vu la reproduction de leurs œuvres ici ou là, sur le Net, en poster, sur une tasse ou un sac à main.

Certains Palestiniens apprécient ce street art international car il charrie de nombreux visiteurs qui n’auraient peut-être pas choisi de se rendre en Palestine sans ce motif. Ils participent ainsi à l’économie palestinienne liée au tourisme tout en étant sensibilisés quelque peu à la réalité politique à laquelle les Palestiniens sont confrontés.

À l’inverse, de nombreux autres n’apprécient guère l’afflux de touristes attirés par le street art international. Certains affirment que ce qui est un symbole de souffrance et d’occupation pour les Palestiniens s’est transformé en un lieu touris- tique divertissant et sensationnel pour le reste du monde. Ainsi, Banksy raconte dans un de ses livres qu’un jour, alors qu’il peignait sur le mur , un Palestinien est venu lui dire : « Vous embellissez le mur. » Banksy, flatté : « Merci, c’est gentil ». Il fut aussitôt coupé par le vieil homme: « On ne veut pas que ce mur soit beau, on ne veut pas de ce mur, rentrez chez vous. ». Craig Larking explique1 que certains Palestiniens critiquent les artistes occidentaux et les militants internationaux, car leurs œuvres protestataires monopolisent pour elles-mêmes les médias mondiaux et le débat intellectuel. Ce faisant, ils participeraient à la normalisation, au merchandising du mur ou encore édulcoreraient la réalité palestinienne au travers de slogans de paix et de justice généreux sans portée réelle et sans pour autant remettre fonda- mentalement en question ou défier l’occupation israélienne. D’autres considèrent qu’une présence aussi massive d’artistes internationaux contribue à invisibiliser les Palestiniens eux-mêmes et érode davantage leur voix et leur souveraineté.

“Le graffiti est un outil de résistance en Palestine”

Afin de redonner la parole aux street artists palestiniens, nous avons choisi de présenter l’un d’entre eux, Taqi Spateen.

Taqi Spateen est un artiste palestinien aux multiples talents, diplômé en beaux-arts de l’Académie internationale d’art (IAA) de Ramallah. Il est originaire de Houssane, un village proche de Bethléem. À la fin de ses études, il a concouru contre des entrepreneurs internationaux de renom et a remporté avec succès un appel d’offres architectural pour rénover un ancien palais palestinien.

Il a également créé de grandes peintures murales pour les communautés locales et inter- nationales, ainsi que des œuvres de street art sur le mur de l’annexion à Bethléem dédiées à des causes internationales, notamment des peintures murales en l’honneur de George Floyd et Iyad Hallaq. Le travail de Spateen continue d’atteindre un public international et a été présenté dans les médias locaux, régionaux et mondiaux. Il a déjà été invité à collaborer avec la marque « The North Face » et a créé une peinture murale dans le cadre de la campagne « Les murs sont destinés à l’escalade ». Il a également été finaliste dans le concours inter- national « Festival mondial d’action des objectifs de développement durable de l’ONU (ODD) », pour sa peinture murale qui se concentrait sur l’objectif de développement stratégique n°16 de l’ONU qui promeut la justice.

Fin 2021, Spateen a été invité par le maire de la ville de Cergy en France à faire partie d’une résidence d’artistes avec Art Osons, où il a également créé une peinture murale lors du festival d’art de rue « CAPS » à Cergy. Spateen a également été sélectionné pour participer à une résidence d’artiste de 4 mois à la Cité Internationale des Arts à Paris, en France.

De plus, il a participé à un certain nombre d’expositions en Palestine, en Europe et aux États-Unis, notamment à la Zawyeh Gallery à Ramallah (2014, 2015, 2021), au Banksy Walled Off Hotel Bethlehem (2019, 2021-2022), avec des expositions collectives à Oslo, Londres (2019), Paris (2021).

Ses peintures figurent également dans une exposition de groupe « Be with the Revolution: Street Art » au Museum of Arts and Crafts, Museum für Kunst und Gewerbe Hamburg (MK&G) à Hambourg, en Allemagne (2022 – 2023), et à la Biennale de Venise (2022).

Spateen crée également des ateliers d’art locaux et internationaux pour les communautés et les écoles.

Source: https://taqispateen.com/about
1/ Jerusalem’s Separation Wall and Global Message Board: Graffiti, Murals, and the Art of Sumud” Arab Studies Journal, Spring 2014, Vol. XXII No. 1, 134-169
 
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