Les opérations de nettoyage ethnique à Jérusalem, plus précisément dans le quartier de Cheikh Jarrah, ont été au cœur du soulèvement général du mois de mai.
Par Samah Jabr
Le Ramadan a été un mois très tendu à Jérusalem. Cela a commencé avec l’interdiction des Israéliens aux Palestiniens de Jérusalem d’utiliser le secteur de la porte de Damas comme espace public pour des activités sociales et culturelles, dans leur entreprise de sape de l’identité palestinienne et de négation de l’importance symbolique du lieu pour la communauté.
L’an passé, la municipalité israélienne de Jérusalem a changé le nom du lieu et a apposé une pancarte à la porte de Damas portant l’inscription en hébreu “Ma’Alot Hadar VaHadas” (“Escalier de Hadar et Hadas”), à la mémoire des officiers Hadar Cohen et Hadas Malka, de la police des frontières israélienne, qui ont été tués lors d’affrontements avec des Palestiniens à la porte de Damas respectivement en 2016 et 2017.
Mais le nom arabe de la porte de Damas tel qu’il est connu des Palestiniens est Bab El-Amud, qui signifie «la porte de la colonne». Ce nom fait référence à une colonne de marbre noir de 14 mètres de haut érigée sur la place intérieure de la porte dans l’antiquité, pendant la période romaine. Les distances à partir de Jérusalem ont été comptées à partir de cette colonne.
Au cours du mois dernier, les Palestiniens de plus en plus nombreux ont tenu quotidiennement des sit-in à Bab El-Amud, malgré l’escalade des attaques des forces d’occupation. Les manifestants ont subi des coups, des projections de gaz lacrymogènes et d’eau nauséabonde de la part des soldats israéliens, ainsi que des attaques et des menaces de brûler encore plus de Palestiniens et leurs villages de la part des groupes fascisants de colons israéliens tels que Lehava.
« Mort aux Arabes »
Le 22 avril, des centaines de militants d’extrême droite et anti-palestiniens sont descendus dans les rues de la vieille ville de Jérusalem, criant “Mort aux Arabes”. Haaretz a révélé que des organisations d’extrême droite israéliennes avaient utilisé des groupes WhatsApp pour appeler les manifestants à porter des armes tout en affichant des instructions sur la façon d’éviter l’arrestation.
Au cours de ces événements, nous avons vu plusieurs vidéos de soldats israéliens frappant et piétinant brutalement la tête de manifestants palestiniens. Après deux semaines d’affrontements quotidiens, la police israélienne a fini par reculer devant une jeunesse palestinienne résolue.
(…) Les familles dont les maisons sont aujourd’hui ciblées par les Israéliens étaient à l’origine des réfugiés expulsés de leurs maisons pendant la Nakba de 1948. En 1956, ces familles ont ensuite été protégées par une convention de logement entre le Ministère jordanien de la construction et du développement et l’UNRWA.
Selon cet accord, le gouvernement jordanien a fourni le terrain sous son administration, l’UNRWA a financé la construction de 28 maisons et les résidents ont payé une redevance symbolique attestant que la propriété devait leur être transférée en temps voulu. L’occupation de Jérusalem-Est en 1967 a interrompu ce processus.
Les familles de Cheikh Jarrah et tous les Palestiniens qui assistent à ce qui s’y déroule ont l’impression de revivre les événements de 1947 – surtout à cette époque de l’année où nous sommes sur le point de commémorer la Nakba elle-même, qui a conduit à l’expulsion les deux tiers de la population palestinienne de ses foyers.
Ces réminiscences de la Nakba ont entraîné un mouvement de solidarité parmi de nombreux Palestiniens de Jérusalem ainsi que des militants d’autres régions de Palestine de 1948 venus pour soutenir les familles de Cheikh Jarrah pendant le mois de Ramadan, et qui ont également été victimes d’attaques de la part des soldats comme des colons.
Le lundi 28e jour du Ramadan, les forces israéliennes ont lancé une attaque massive contre les fidèles palestiniens pratiquant dans la mosquée l’Itikaf, une retraite spirituelle qui se déroule pendant les dix derniers jours du Ramadan. Les forces d’occupation ont blessé des centaines de personnes en tentant d’expulser les fidèles musulmans afin de préparer le terrain pour les milliers de colons qui prévoyaient d’envahir la vieille ville de Jérusalem, dansant avec des drapeaux israéliens pour célébrer l’occupation de Jérusalem, qu’ils appellent “l’unification” de Jérusalem.
Nous avons pu voir leur danse de folie et entendre leurs cris génocidaires de vengeance: “leurs noms doivent être effacés”, en parlant des Palestiniens, alors qu’ils voyaient un début d’incendie à la mosquée Al-Aqsa.
Une guerre contre les habitants de Jérusalem
Les habitants palestiniens de Jérusalem sont seuls, avec des organisations très locales et de terrain, sans véritable direction politique, face à une brutalité israélienne qui ne fait qu’empirer. Israël profite de l’incapacité chronique de la direction officielle palestinienne et de la récente capitulation de quatre régimes arabes dans un processus honteux de normalisation.
La guerre contre les habitants de Jérusalem et leur nettoyage ethnique a été implacable grâce à des politiques encore plus vicieuses. Les Israéliens ont imposé les programmes israéliens dans la majorité des écoles palestiniennes, et le taux d’abandon scolaire est à présent de 13%.
La grande majorité des habitants de Jérusalem vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les politiques qui visent à éliminer les Palestiniens ont hélas permis d’expulser beaucoup d’entre nous des frontières de Jérusalem. Le plan d’urbanisme de la ville accorde 100 permis de construction annuels pour les Palestiniens et en autorise 1500 pour les Israéliens juifs. Le mariage avec un non-Jérusalémite brise les familles et brise les foyers.
Les habitants palestiniens de Jérusalem sont des citoyens de nulle part – partout menacés, soupçonnés, fouillés, accusés, ciblés par la drogue et le lavage de cerveau pour accepter l’assimilation, et sévèrement punis pour avoir refusé de renoncer à leurs convictions ou à leur militantisme. Néanmoins, ils sont nombreux à garder un grand sens de leurs responsabilités et se trouvent en première ligne de défense devant cette attaque contre tous les Palestiniens, ainsi que contre le monde arabe et musulman.
La résistance viscérale et spontanée des Palestiniens de Jérusalem a forcé les soldats à se retirer de Bab El-Amud et a changé le cours de la mobilisation, entraînant le report des décisions de la Haute Cour concernant les maisons de Cheikh Jarrah et provoquant un grand exercice militaire de formation des soldats des troupes d’occupation aux techniques de lutte contre des groupes de la résistance.
Il y a eu et il y aura des répercussions de ce qui se passe à Jérusalem. Gaza a repris l’étincelle de liberté de Jérusalem. La distance qui nous sépare de la libération se mesure maintenant en référence à Jérusalem.Jusqu’à présent, Gaza est plus proche de Jérusalem que Ramallah.
* Samah Jabr est médecin-psychiatre et exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Dernier livre paru en français : Derrière les fronts – Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
Article original paru dans sa version française sur Chronique de Palestine sous le titre : « Dans la bataille pour la libération, Gaza est plus proche de Jérusalem que Ramallah »
encadré : Le quartier de Silwan menacé d’une vague inédite de destructions
par ABP
Aussi symptomatique soit-il de l’arbitraire israélien, Cheikh Jarrah n’est pas le seul quartier à avoir récemment fait les frais du nettoyage ethnique de basse intensité orchestré à Jérusalem-Est. Les habitants du quartier d’Al-Bustan à Silwan, qui fait de longue date l’objet d’une judaïsation agressive, viennent de subir un nouveau coup dur. Le 7 juin, les autorités municipales accompagnées par les forces israéliennes ont émis un ordre de démolition concernant près de 130 familles. Motif invoqué : l’absence de permis – lesquels ne sont presque jamais octroyés -, en dépit du fait que de nombreuses maisons concernées ont été construites avant la prise de contrôle de la ville par Israël en 1967. Les familles ont 21 jours pour détruire à leurs frais les bâtiments concernés.
L’objectif avoué des autorités municipales et de maintenir un équilibre démographique limitant la croissance de la partie palestinienne de la ville. «L’un des principaux objectifs à long terme d’Israël à Jérusalem est de transformer le bassin de la vieille ville de ce qu’il est aujourd’hui – une zone urbaine palestinienne dense, qui est également le lieu de certains des sites les plus sacrés des trois religions abrahamiques – en une zone où l’identité nationaliste et religieuse juive est dominante par-dessus tout », expliquait Aviv Tatarsky, chercheur à l’ONG Ir Amim au Jérusalem Post. Les autorités comptent construire un Parc à thème religieux sur le territoire convoité une fois celui-ci vidé de ses habitants.