France : Instrumentalisation de l’antisémitisme et résistances

L’offensive israélienne pour tenter d’instrumentaliser la lutte contre l’antisémitisme s’est heurtée en France à une résistance inédite.

Le 3 décembre, le Parlement français, déserté par la moitié de ses députés, a adopté la « définition de travail » de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste (International Holocaust Remembrance Alliance, IHRA). Celle-ci repose sur des exemples, amalgamant la critique d’Israël au racisme antijuif (voir encadré page 25).  Quelle est la portée de ce vote, quel a été le résultat des six mois de mobilisation qui l’ont précédé ? Voyons cela de plus près.

L’offensive israélienne contre nos libertés

La stratégie israélienne est globale. Il s’agit dans le même temps de mener une politique sur le terrain qui met en cause l’existence même du peuple palestinien, de contester toute référence au droit international, et de faire taire sur le plan international les voix qui soutiennent les droits du peuple palestinien. Coordonnée depuis le début de 2016 par le ministre des Affaires stratégiques Gilad Erdan, l’offensive israélienne contre nos libertés s’est considérablement intensifiée.

Le 20 février 2019, au dîner du CRIF (le Conseil représentatif des institutions juives de France, lobby français inféodé aux positions israéliennes), le président Emmanuel Macron déclarait que l’antisionisme était une des formes modernes de l’antisémitisme, que la France mettrait en œuvre la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, et que les pratiques du BDS seraient de nouveau condamnées.

C’était sa réponse calamiteuse à une série d’annonces et d’images fortes, qui, les jours précédents, avaient provoqué l’émotion en France et la crainte d’une résurgence de l’antisémitisme. Un discours dans une enceinte privée vite contredit par les faits.

Le lobby pro-israélien voulait une loi contre l’antisionisme. Proposée la veille par les députés du lobby parlementaire, elle a été immédiatement retoquée, y compris par le président de la République, car trop ouvertement contraire à la liberté d’expression.

Il voulait aussi une loi contre le BDS, mais il n’avait pas été suivi par le gouvernement. Et les actions judiciaires de nos adversaires contre nos campagnes BDS se sont étiolées du fait d’un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme, dont nous attendons la décision.

Restait la redéfinition de l’antisémitisme. C’est là qu’entre en scène la « définition de l’IHRA ».

La résistance de la société civile et le malaise du Parlement français

Dès la fin du mois de mai, une « proposition de résolution » était déposée à l’Assemblée nationale (le Parlement français) pour approuver la « définition IHRA ». Les aléas du calendrier parlementaire allaient retarder de six mois l’examen de cette proposition de résolution ; la résistance pouvait s’organiser.

Déjà la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)[1], dans ses rapports annuels sur la lutte contre le racisme, s’était prononcée par deux fois contre l’introduction de la « définition IHRA » en France.

La mobilisation de la société civile a été très large, notamment autour de la Plateforme française des ONG pour la Palestine, avec une forte mobilisation de l’AFPS et de ses partenaires au niveau national comme dans ses groupes locaux. On notera par exemple le livret argumentaire produit par la Plateforme[2].

Le malaise profondément ressenti par les députés a largement dépassé les partis de gauche, pour atteindre le groupe du parti présidentiel (303 députés sur les 577 de l’Assemblée nationale) et son allié centriste.

Dans une France profondément divisée, et fidèle à la tradition universaliste du combat antiraciste, beaucoup de député·e·s ont estimé qu’ils et elles devaient s’engager globalement dans la lutte contre toutes les formes de racisme, sans en privilégier une seule au détriment des autres.

L’amalgame entre antisionisme et antisémitisme ne passait pas non plus : si des comportements racistes peuvent se cacher derrière les mots, la justice sait s’en saisir ; en revanche, la stigmatisation de l’antisionisme heurtait profondément le principe de la liberté d’expression.

Il fallait aussi démasquer le projet réel que cachait la « définition IHRA » de l’antisémitisme : la campagne menée par nos organisations y a largement contribué. Une lettre[3] signée par 127 universitaires israéliens et juifs, se prononçant contre cette résolution, a aussi marqué les esprits.

L’ingérence de l’Etat d’Israël a également choqué. En mai, les porteurs de la résolution en faisaient la promotion devant le lobby des colons israéliens[4]… Nous avons aussi dénoncé les interventions inadmissibles[5] d’un État tiers dans la lutte contre le racisme en France.

Au moment du vote, l’Assemblée nationale s’est profondément divisée, et plus de la moitié des députés se sont absentés. Au sein du groupe majoritaire (303 députés) qui portait la proposition de résolution, seuls 84 députés ont voté pour, 26 ont voté contre et 22 se sont abstenus[6].

Et maintenant ?

Une résolution n’est pas une loi. Elle ne pouvait même pas adopter la définition IHRA, elle n’a fait que l’« approuver », et « inviter » le gouvernement à la diffuser.

Encore plus important : le député porteur de la résolution a dû officiellement confirmer à la tribune que celle-ci « exclut les exemples de l’IHRA »[7], une déclaration qui réduit considérablement la portée de ce vote. C’est un des effets importants de notre mobilisation.

Rappelons aussi que l’antisionisme n’a pas été pénalisé en France, et qu’aucune loi n’interdit de mener campagne pour le BDS. Seuls les appels à la haine et à la discrimination sont interdits par la loi, et c’est très bien ainsi…

Forts des acquis de ces six mois de mobilisation, nous mettrons en échec les futures offensives de la machine de la propagande israélienne et nous continuerons, avec une détermination sans faille, à défendre les droits du peuple palestinien.

Bertrand Heilbronn, président de l’AFPS

[1] Fondée en 1947, c’est une autorité de l’État, indépendante du pouvoir politique. Elle réunit des représentants des associations de défense des droits de l’Homme et des experts reconnus.

[2]https://plateforme-palestine.org/IMG/pdf/les_dangers_de_la_proposition_de_resolution_maillard_-_plateforme_palestine.pdf

[3] http://www.france-palestine.org/Appel-de-127-universitaires-juifs-aux-deputes-francais-Ne-soutenez-pas-la

[4] http://elnetwork.fr/rencontres-strategiques-delnet-28-mai-2019

[5] Pressions confirmées par le ministre israélien des Affaires étrangères, qui a déclaré au lendemain du vote que la résolution a été adoptée « après des mois d’efforts diplomatiques de l’ambassade israélienne à Paris » !

[6] Voir les résultats complets du vote sur le site de l’Assemblée nationale :

http://www2.assemblee-nationale.fr/scrutins/detail/(legislature)/15/(num)/2338

[7] http://www.france-palestine.org/Resolution-Maillard-les-7-secondes-qui-changent-tout

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Top