Bulletin 50, décembre 2011
Israël commet le crime d’apartheid et persécute les Palestiniens
La troisième session du tribunal Russell sur la Palestine, qui se tenait les 5 et 6 novembre 2011 à Cape Town (Afrique du Sud), a été l’occasion d’entendre de nombreux témoignages de Palestiniens et de Sud-Africains, de juristes et d’experts en droit international. Les conclusions en ont été claires : Israël commet effectivement le crime d’apartheid tel que défini dans le droit international et, en persécutant les Palestiniens, commet un crime contre l’humanité.
« Nous sommes ici pour dire quelles violations des lois internationales sont commises contre le peuple palestinien depuis une soixantaine d’années, à la lumière de l’avis de la Cour Internationale de Justice, du droit humanitaire, des conventions des Nations Unies. Nous sommes des citoyens de divers pays. Ces violations doivent être connues et comparées à d’autres commises dans d’autres pays. Nous essayerons de déterminer quelles sont les intentions inhumaines de ségrégation et d’occupation à l’encontre du peuple palestinien. Le monde a besoin de savoir ce qui se passe dans ce Moyen Orient si important par son histoire, celle d’Israël, des Arabes, de la chrétienté, notre histoire à tous. Nous avons à travailler pour la Paix, la Solidarité, dans l’esprit de ce XXIe siècle. »
Par ces mots, Stéphane Hessel, président d’honneur du TRP, ouvrait les travaux de cette troisième session qui devait répondre à la question : « Les pratiques d’Israël envers le peuple palestinien violent-elles l’interdiction internationale de l’apartheid ? ».
Cette session se déroulait dans le cadre très chargé de mémoire du musée de District Six, du nom d’un quartier très vivant et multiculturel de Cape Town, qui a été vidé de ses habitants, les Noirs d’abord dès les années 60, les « Colorés » ensuite pour laisser exclusivement la place aux Blancs. Les témoignages, les photos, les souvenirs multiples affichés dans ce musée faisaient douloureusement écho aux témoignages que nous avons pu entendre sur les pratiques discriminatoires, sur les tortures, les expulsions, les humiliations, les assassinats perpétrés par l’Etat d’Israël à l’encontre du peuple palestinien.
L’archevêque émérite Desmond Tutu, grande figure de la lutte contre l’apartheid, exprima sa profonde solidarité avec la lutte du peuple palestinien pour son droit à l’autodétermination. Il dit son angoisse devant les mauvais traitements infligés aux Palestiniens qu’il avait constatés lors de ses voyages à Gaza. Son angoisse devant la répétition de ce qu’avaient souffert les Sud-Africains sous l’apartheid. « Mais je tiens à dire que j’ai toujours dit qu’Israël doit exister en tant qu’Etat indépendant avec des frontières reconnues et que la Palestine doit être un Etat viable, indépendant, contigu mais sans devenir les « bantoustans » que nous avons connus autrefois ici ; deux pays existant l’un à côté de l’autre, dans leur indépendance souveraine. »
Quant à Raij Sourani, avocat et défenseur des droits de l’homme en Palestine, il affirma : « nous souffrons du déni de droits fondamentaux, droit à la vie, à la nourriture, à la mobilité, à la réunion des familles. Tout ce que nous demandons, c’est le droit à l’autodétermination qui comprend la participation politique égale, un droit égal au développement socio-économique, culturel et le droit de contrôler nos ressources. » Selon lui, malgré de très nombreuses résolutions des NU et des décisions de justice internationale, jamais la situation n’a été aussi grave. « L’occupation est intacte, l’odeur de la mort existe toujours à Gaza. Un jour, pourtant, nous pourrons dire que nous avons remporté la victoire ».
Discrimination raciale et juridique
Divers experts tels Max du Plessis, John Dugard, David Keane, Ingrid Jaradat Gassner etc., ont rappelé le fait que l’apartheid a été érigé en crime international pouvant s’appliquer à diverses situations dans divers pays, au-delà du cas sud-africain. Ils ont énuméré différentes pratiques contenues dans le crime d’apartheid, qui traduisent une volonté de domination d’un groupe racial sur un autre de manière institutionnalisée. D’autres experts ont poursuivi en analysant les notions de « race » et de « discrimination raciale » dans l’élaboration de la définition du crime d’apartheid. En effet, on admet comme discrimination raciale ce qui est identifié comme tel par un groupe ou un autre ; cela ne relève pas pour autant du concept faux de race au sens biologique du terme.
D’ailleurs, les Israéliens eux-mêmes consacrent la discrimination raciale dans leur système de cartes d’identité : les « vrais » citoyens israéliens sont les Juifs israéliens, viennent ensuite les non Juifs qui sont arabes israéliens ou étrangers avec visas ; quant aux Palestiniens des territoires occupés, ils n’ont pas de citoyenneté ou alors une ancienne citoyenneté jordanienne. Il s’ensuit de cela une panoplie de droits différents selon ces statuts différents et des règles militaires nombreuses, confuses s’appliquant aux Palestiniens des territoires occupés. Des règles qui correspondent à des pratiques d’apartheid similaires à celles qui furent usitées en Afrique du Sud et reconnues comme telles par le droit international.
De nombreux témoins et experts ont déclaré que ce qui se passe en Palestine est pire que l’apartheid qui a sévi en Afrique du Sud. En effet, selon Marianne Blume, il s’agirait davantage ici de « sociocide », à savoir la destruction d’une société toute entière (voir article ci-après). D’autres témoins et experts ont décrit les régimes différents de droit (et de non-droit) pour les colons et pour les Palestiniens, la manière systématique dont les Palestiniens sont dépossédés de leurs terres, de l’eau, de leurs maisons, de leurs villages. Des lois racistes, explique Lea Tsemel, avocate israélienne, qui empêchent le droit au retour des Palestiniens réfugiés et qui permettent à n’importe quel Juif partout dans le monde d’acheter des terres interdites aux Palestiniens qui en ont été dépossédés. Cette « judaïsation » des terres vise un déplacement de population et même un nettoyage ethnique, explique Jeff Halper, Israélien, professeur d’anthropologie et coordinateur du comité israélien contre la destruction des maisons (ICAHD). Une judaïsation longuement évoquée par Haneen Zoabi, députée arabe israélienne, qui dénonça l’Etat raciste d’Israël pour le crime de nettoyage ethnique et qui considère les Palestiniens comme des envahisseurs. « Nous voulons vivre dans un Etat démocratique, qui ne soit pas défini comme jui,f et non raciste », conclut-elle.
Les persécutions comme crime contre l’humanité
Rafaelle Maison, professeure de droit à l’Université de Paris-Sud, développa ce qu’il faut entendre par « persécutions » en termes de droit international : des violences directement exercées sur les corps (tortures, viols, etc.) dans un contexte de menaces de violence, de discours de haine, de destruction de biens religieux et culturels, avec une dimension massive et collective etc. Il s’agit alors effectivement d’un crime contre l’humanité tel que défini par le droit international. Et le tribunal put entendre une série de témoignages poignants, arrachant des larmes à l’assistance et jusqu’à des membres du jury, sur les persécutions atroces infligées à la population palestinienne : travailleurs traités comme des esclaves, manifestants pacifiques abattus comme des chiens, déportation de populations bédouines dont on rase les villages, enfants emprisonnés… Une tragédie quotidienne que le jury du TRP a qualifiée, dans ses conclusions, de crime d’apartheid et les persécutions de crime contre l’humanité.
Israël coupable
La conclusion du tribunal est claire : les Palestiniens, quel que soit l’endroit où ils résident, sont soumis collectivement au même apartheid ; ils subissent des actes inhumains tels que les assassinats à large échelle ou ciblés lors des incursions militaires, la torture et les traitements dégradants des prisonniers. La privation systématique des droits humains empêche tous les Palestiniens, y compris les réfugiés, d’exercer leurs droits politiques, économiques, sociaux et culturels. Il en résulte une fragmentation territoriale et la création de réserves et d’enclaves qui séparent Palestiniens et Israéliens. Une politique décrite par l’État d’Israël lui-même comme «Hafrada», ce qui signifie en hébreu séparation. Ce régime systématisé et institutionnalisé produit des législations différentes pour les Palestiniens et les Israéliens.
Ainsi que l’avait rappelé le professeur François Dubuisson de l’ULB, Israël doit mettre fin immédiatement à ces actes criminels mais les autres Etats ont également le devoir de les empêcher et doivent entamer des poursuites judiciaires contre Israël. Quant aux citoyens, ils sont appelés à dénoncer la perpétuation de ces crimes, à faire pression sur leurs gouvernements pour que cela cesse et à utiliser tous moyens de pression comme le BDS (boycott, désinvestissement, sanction). D’autres mesures sont recommandées par le tribunal.
Le président d’honneur, Stéphane Hessel, conclut ainsi la session: « Le monde change, ce qui était impossible hier l’est aujourd’hui. Beaucoup de pays veulent du changement. De grands pays peuvent jouer un rôle de plus en plus important dans la communauté internationale. La mobilisation citoyenne a elle aussi démarré, l’opinion publique va jouer un rôle bien plus important. »
Et Pierre Galand, coordinateur général du TRP, d’annoncer que la prochaine session se tiendra en 2012 à New York, lors de l’ouverture de l’assemblée générale des Nations Unies.
Gabrielle Lefèvre
Retrouvez le résumé des conclusions de la 3e session du Tribunal Russell en cliquant ICI.