L’indignation internationale est mesurée parce que le problème palestinien est devenu une cause islamique. L’indignation de la communauté internationale ne devrait-elle pas être à son comble lorsqu’un convoi humanitaire civil arborant des drapeaux blancs subit un assaut de la part de commandos armés et que des personnes non armées qui se trouvent dans le convoi se font tuer ? C’est très certainement ce que doivent penser les passagers du Mavi Marmara. Pourtant, ce n’est pas ce qui s’est passé. Certes, la communauté internationale a exprimé sa “peine”, mais c’est très mollement qu’elle a condamné les faits. Si Israël avait assassiné dix ressortissants américains, l’indignation aurait-elle été aussi faible ? Pourtant, ce à quoi nous avons assisté n’est rien d’autre qu’une attaque terroriste perpétrée par un Etat gâté par l’Amérique et ivre de puissance. Il semble en outre qu’il faille interpréter ces faits comme un message à destination de la Turquie, que l’on pourrait résumer par la formule suivante : “Voilà ce qui t’attend si tu te mêles de mes affaires.”
Dans ces conditions, comment expliquer une telle retenue dans l’indignation de la part des Occidentaux ? Dans ces cas-là, on en vient toujours à évoquer la toute-puissance du lobby pro-israélien ainsi que le sentiment de culpabilité de l’Occident vis-à-vis de la Shoah. Mais il y a quelque chose en plus. En effet, la frilosité de l’Occident vis-à-vis de ce qui s’est passé s’explique essentiellement par l’aspect non pas humanitaire mais islamique de cette campagne visant à briser le blocus contre Gaza, et ce même si la liste des passagers du Mavi Marmara avait un aspect cosmopolite. La prudence vient donc aussi du fait que les principaux initiateurs de cette campagne apparaissaient liés au Hamas et donnaient parfois l’impression de verser dans l’antisémitisme.
Au cours des années 1970 et 1980, la question palestinienne était l’une des causes symboliques de la gauche. Arafat était certes un leader palestinien, mais il était également celui des “nations opprimées” luttant contre l’impérialisme. L’érosion qu’a connue l’OLP, l’isolement d’un Arafat devenu conciliant et le recul de la gauche sur le plan mondial ont permis l'”islamisation” de la question palestinienne, qui a commencé à être perçue non plus comme un problème politique mais comme une cause religieuse. On est ainsi passé de la “résistance légitime du peuple palestinien” à un “affrontement entre judaïsme et islam”. Dans ce contexte, l’Occident s’est mis à craindre que le soutien qu’il pourrait apporter à la cause palestinienne puisse aboutir à un renforcement de l’islam radical. C’est donc sans doute un peu pour cette raison que l’Occident ne manifeste qu’une indignation très mesurée par rapport à cet événement.
Tout ce qui, dans le passé, était du ressort du militantisme de gauche – désobéissance civile, antimilitarisme, actions contre l’occupation… – a été aujourd’hui récupéré par les mouvements islamiques. Si l’on veut que la question palestinienne redevienne une cause universelle, il convient alors de la sortir d’une logique de “choc des religions”, de ne pas la laisser devenir le monopole du Hamas, d’éviter tout dérapage antisémite et de se rapprocher des juifs favorables à la paix.
03.06.2010 | Can Dundar | Milliyet
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