Nettoyage ethnique dans le Néguev

Le plan Prawer


Bulletin 57, septembre 2013

Ce 24 juin 2013, la Knesset a approuvé, par 43 voix contre 40, le Plan Prawer. La dénomination complète du plan est « Plan Prawer pour la réglementation de l’installation des Bédouins dans le Neguev [1]». Aucun plan équivalent n’existe évidemment pour la population juive d’Israël.

 

Un peu d’histoire

Depuis ses débuts, l’Etat d’Israël a considéré les Bédouins palestiniens du Néguev comme un obstacle au développement. En 1951, comme tous les Palestiniens restés en Israël, les Bédouins sont soumis à la loi militaire et de plus déplacés de force dans la région la moins fertile du Néguev, entre Dimona, Arad et Beersheva, zone appelée « siyag » (= lieu clôturé). Il leur est interdit de construire en dur, d’où les tentes et les abris de fortune. La plupart n’étant plus sur leurs terres originelles, celles-ci leur sont confisquées en vertu de la loi des « présents-absents » de 1950 et de celle de 1953 qui décrète publique toute terre sur laquelle son propriétaire n’était pas présent en 1952.

En 1966, quand la loi militaire est abrogée, Israël lance sa politique de sédentarisation et tente de regrouper tous les Bédouins dans sept villes (Tel Sheva en 1968, Rahat en 1972, Kuseifa en 1982, Arara en 1982, Hora, Shegeb al-Salam en 1984 et Laggya en 1990) qui ont tout des townships sud-africains. A peu près la moitié des Bédouins se retrouvèrent dans ces villes qui, d’après les statistiques israéliennes, sont parmi les plus pauvres du pays. Les autres restèrent sur leurs terres et l’Etat d’Israël a refusé de reconnaître leurs droits. D’où le fait que 45 villages (35 depuis que certains ont été légalisés) sont « non reconnus » et ne disposent donc d’aucune infrastructure : pas d’électricité, pas d’eau courante, pas de route, etc. Bien plus, quotidiennement, des maisons, des tentes, des abris pour animaux ou des toilettes sont démolis par un corps de police spécial sous prétexte d’illégalité. Quand des troupeaux ne sont pas saisis pour avoir pâturé sur des terres déclarées « publiques ». Ou encore quand les cultures ne sont pas aspergées d’herbicides. (www.adalah.org, Dr. Th. ABU-RAS, Land Disputes in Israel: The Case of the Bedouin of the Naqab) Or la plupart de ces établissements datent d’avant 1948 ou de 1951 lors du regroupement forcé. Les cartes d’identité des habitants de ces villages ne mentionnent aucune adresse, seul y figure le nom de leur tribu. En conséquence, ils ne votent pas. Environ 70 000 personnes sont concernées.

Sharon avait renforcé la lutte contre les habitants historiques du Néguev : démolitions, moyens juridiques pour contrer les revendications de propriété, logements pour des Israéliens juifs, nouvelles implantations et création de la « Green Patrol »[2], chargée de la police.

Quant à Netanyahou, en 2010, il exprimait clairement la volonté de judaïser le Néguev : « Différents éléments vont demander des droits nationaux au sein d’Israël, par exemple dans le Néguev, si nous laissons une région sans majorité juive. C’est arrivé dans les Balkans et c’est une menace concrète. »   Et son gouvernement se donnait comme objectif de renforcer les implantations juives et d’en augmenter la population de 70% pour 2015.

Dès les années 70, l’Etat d’Israël a tenté de déplacer les Bédouins en leur proposant des compensations pour leurs terres mais la condition exigée en retour était de renoncer définitivement à toute revendication de propriété. Condition d’autant plus irrecevable que les compensations étaient dérisoires.

 

Le Plan Prawer : un prolongement de 1948

En 2009, résolu à définitivement régler « le problème bédouin » et à mettre fin aux revendications de propriété, le gouvernement israélien établit le Comité Prawer, du nom de celui qui le chapeaute et qui déclarait, en 2009, qu’on pourrait faire avec les Bédouins du Néguev ce qu’on avait fait avec les colons de Gaza : les évacuer… En 2011, le gouvernement israélien approuve son plan qui passe en première lecture, en juin 2013, à la Knesset.

Elaboré sans participation des concernés, par des personnes appartenant toutes à des appareils sécuritaires (Ehud Prawer, ancien vice-président du Conseil national de sécurité, Doron Almog, général militaire à la retraite[3] , Yehuda Bachar, président de la Direction de la coordination des activités du gouvernement et des Bédouins dans le Néguev, officier supérieur de la police d’Israël), ce plan a pour objectifs de réglementer la propriété de la terre pour les Bédouins (rien que pour eux) et de planifier l’organisation générale du Néguev. Il se traduira par l’expulsion de près de 40 000 Bédouins des villages « non reconnus » (qui seront détruits) et par leur confinement sur 1% de la terre dans les villes-townships. Arrachés à leur mode de vie traditionnel, ils seront contraints au chômage et à la pauvreté.

Ignorant les critiques internes, notamment des associations de défense des droits du citoyen, les condamnations des Nations unies et de l’Europe, les propositions alternatives (voir le site de ACRI), le plan a fait son chemin et sera mis à exécution… Israël n’a d’ailleurs pas attendu sa mise en application pour démolir des villages : le village d’al-Araqib a été détruit en août pour la 54e fois !

 

Colonialiste, discriminatoire et raciste

Le Plan Prawer est colonialiste : alors que la création d’Israël est une entreprise de colonisation dont ont souffert tous les Palestiniens (nakba), les Bédouins sont classés à part et considérés comme une minorité distincte : diviser pour régner. Leur mode d’existence avant la création de l’Etat d’Israël et leurs droits historiques et individuels sur la terre sont niés, même si partiellement reconnus. Le dessein de les concentrer dans des villes sur un territoire réduit, impropre à leur économie (élevage, culture) résulte de la volonté d’accaparer le plus de terres possible et de judaïser le Néguev mais il dénote aussi le complexe de supériorité du colonisateur qui, sous prétexte de modernité, dénigre et détruit une culture et un mode de vie qualifiés d’archaïques. Or, par ses interdictions,  c’est Israël qui entrave leur développement. De plus, dans la meilleure tradition coloniale, le groupe concerné n’a pas voix au chapitre et quand ses représentants organisés (notamment, The Regional Council for the Unrecognized Villages in the Negev) proposent des alternatives, elles sont balayées.

Le Plan Prawer est discriminatoire : il établit une législation territoriale qui ne concerne qu’une partie des citoyens israéliens, les implantations juives dans la même région n’y étant pas soumises. Par ailleurs, le plan introduit une discrimination parmi les Bédouins : ceux qui avaient des terres dans les zones dont Israël les a chassés (soit 2/3 d’entre eux) ne pourront réclamer leur propriété ni être dédommagés. En réalité, « Ces citoyens israéliens seront bientôt confrontés à un choix imposé : quitter leurs villages après compensation partielle ou être expulsés. Ne seront éligibles à compensation que les terres dont on peut prouver que la propriété a été réclamée officiellement avant 1979 et que cette demande n’a pas été refusée. Enfin, toute compensation éventuelle ne concernera que 50% de la terre réclamée. Si un Bédouin refuse ou n’a pas droit à une compensation, il ne pourra pas contester son expulsion et la destruction de son village devant la justice. » (Plateforme des ONG françaises pour la Palestine)

Le Plan Prawer est raciste : dans le discours dominant, les Bédouins sont vus comme violents, menteurs, criminels, un obstacle au progrès, etc. Et comble de tout, ce sont eux, les indigènes, qu’on considère comme des envahisseurs qui s’emparent illégalement de terres, comme des squatteurs qui vivent, cultivent, font de l’élevage sur une terre qui ne leur appartient pas ! Quand le vice-ministre de la Défense actuel ne les traite pas de « colons palestiniens », On les traite aussi de « menace démographique » car ils ont un taux de fertilité « dangereux ». La terre est la terre d’Israël et donc des Juifs. Si les Israéliens juifs peuvent vivre dans le Néguev comme bon leur semble (kibboutzim, moshavs, villes ou fermes isolées), ce droit élémentaire est refusé aux Bédouins parce qu’ils ne sont pas juifs. Ils ne pourront donc vivre que dans les villes ethniquement homogènes, pauvres et surpeuplées que le gouvernement leur a « réservées ».

 

Marianne Blume

 

BIBLIOGRAPHIE :

http://www.acri.org.il/en/wp-content/uploads/2011/09/Prawer-Policy-Paper-May2011.pdf Principles for arranging recognition of Bedouin villages in the Negev. Position paper. (ACRI, BIMKOM et RCUV)

http://mondediplo.com/2012/08/06bedouin#nb1: Jillian KESTLER-D’AMOURS, The end of the Bedouin.

Carte : http://www.dukium.org/eng/?page_id=1294

 

 

Les Bédouins : des arriérés à transformer en prolétariat et à civiliser

« Il faudrait que nous transformions les Bédouins en un prolétariat urbain pour l’industrie, les services publics, la construction et l’agriculture…Le Bédouin ne vivrait plus sur ses terres avec son troupeau, mais deviendrait une personne urbaine qui rentre chez elle le soir et enfile ses pantoufles (…) Les enfants iraient à l’école avec les cheveux bien peignés. Ceci serait une révolution, mais c’est réalisable en deux générations…Ce phénomène des Bédouins disparaîtra. »

Général Moshé Dayan, 1963

 

Les Bédouins : des squatters, des voleurs de terres

« Dans le Néguev, nous sommes confrontés à un grave problème: environ 900 000 dunums de terres du gouvernement ne sont pas entre nos mains mais entre les mains de la population bédouine. Moi, en tant que résident du Néguev, je vois ce problème tous les jours. C’est, essentiellement, un phénomène démographique… Par faiblesse, peut-être aussi par manque de prise de conscience sur la question, nous, en tant que pays, ne faisons rien pour faire face à cette situation… Les Bédouins mettent la main sur de nouveaux territoires. Ils rongent les réserves foncières du pays et personne ne fait rien de significatif à ce sujet. » Sharon, 2000

 

 

 

  Avant 1948 Après 1948 Aujourd’hui
Population bédouine De 70 000 à

90 000 (95 tribus)

De 11 000 à

18 000 (19 tribus)

De 160 000 à

190 000, soit 30% de la population du Néguev

 

Propriétés De 202 342 à

303 514 hectares

De 30 351 à

34 398 hectares,

soit 2% du Néguev

?

Avec le Plan Prawner, les superficies de terres seront réduites de moitié

 

 

 

 

 



[2] Les Bédouins l’appellent « Black Patrol », on imagine pourquoi.

[3] C’est lui qui, en 2005, ne put descendre de l’avion à Londres sous peine d’être arrêté vu son implication dans les destructions massives à Gaza.

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