« La crise socioéconomique rapproche la Palestine du point de rupture. » Le communiqué annonçant le dernier rapport sur l’assistance de la CNUCED au peuple palestinien est alarmant. Si la situation a empiré ces dernières années, la question à poser est la suivante : la Palestine peut-elle espérer se développer un jour malgré l’occupation israélienne ? La réponse est simple et évidente : non.
Nathalie Janne d’Othée
Dans son rapport de 2016, la CNUCED soulignait que, sans l’occupation, l’économie palestinienne pourrait atteindre un PIB deux fois plus élevé que celui qu’elle génère aujourd’hui. La toute relative autonomie donnée à l’Autorité palestinienne par les accords d’Oslo en 1993 n’y a rien changé. En témoigne l’état de l’industrie manufacturière, dont la part est passée de 20% à 11% du PIB entre 1994 et 2018, tandis que celle de l’agriculture et de la pêche passait de plus de 12% à moins de 3%. (CNUCED, 2019). Bref, sous occupation, la Palestine se dé-développe inexorablement.
Les conséquences de la colonisation
La colonisation représente sans nul doute le premier obstacle que l’occupation israélienne oppose au développement palestinien. Premièrement, les colonies israéliennes occupent des terres, qui pourraient servir au développement de l’agriculture et de l’industrie palestiniennes. En 2013, la Banque mondiale a estimé que si les entreprises et les exploitations agricoles palestiniennes pouvaient se développer dans la zone C (la zone qui représente 60% de la Cisjordanie et qui englobe toutes les colonies), le PIB palestinien pourrait augmenter de 35%. Deuxièmement, les colonies, les routes qui les relient entre elles, le Mur qui les annexe à Israël, sont autant d’obstacles à la circulation des biens et des personnes en Palestine. Troisièmement, les colonies permettent à Israël de contrôler la quasi totalité des ressources hydriques (voir encadré). Enfin, les biens produits par les colonies israéliennes concurrencent les biens produits par les Palestiniens (CNUCED, 2018).
L’argument est souvent avancé que l’interdiction des produits des colonies par l’Union européenne nuirait en premier lieu aux travailleurs palestiniens des colonies. Cet argument est particulièrement cynique lorsqu’on évoque l’effet des colonies sur l’économie palestinienne et les conditions de travail discriminatoires des Palestiniens qui y oeuvrent. C’est en effet l’absence d’opportunités de l’économie palestinienne qui force de nombreux Palestiniens à chercher du travail soit en Israël, soit dans les colonies. Plus de 127 000 Palestiniens sont aujourd’hui employés en Israël et dans les colonies (CNUCED, 2019). Depuis la deuxième Intifada, le nombre de permis de travailler en Israël accordés aux Palestiniens a baissé, contraignant de nombreux Palestiniens à travailler dans les colonies où aucun permis n’est requis. Mais les Palestiniens travaillant dans les colonies sont, en l’absence de tout cadre réglementaire et de toute protection sociale, à la merci de leurs employeurs et doivent se contenter de bas salaires. Un travailleur palestinien en incapacité à cause d’un accident de travail ne reçoit par exemple aucune indemnisation d’aucune sorte(« Work in Israeli settlements means high risks, no safety net for Palestinian laborers », Al Monitor, July 22, 2019).
Accaparement et surexploitation des ressources en eau
Depuis la création de l’Etat en 1948, les autorités israéliennes ont toujours été préoccupées par le contrôle de leur approvisionnement en eau. Dès le début de l’occupation en 1967, Israël a pris le contrôle de toutes les infrastructures hydrauliques palestiniennes, soumettant les Palestiniens à un système de demande de permis pour tout nouveau forage. Néanmoins, les permis de pomper profondément sont octroyés aux seuls Israéliens, ce qui entraine progressivement un assèchement des puits palestiniens moins nombreux et moins profonds. Depuis les accords d’Oslo en 1993, malgré la coopération établie entre Palestiniens et Israéliens sur le contrôle de l’eau, Israël garde le contrôle sur 80% des ressources en eau de Cisjordanie et sur 90% des eaux du Jourdain. Les villageois palestiniens se fournissent en eau, pour la plupart d’entre eux, auprès de la compagnie israélienne des eaux Mekorot, mais payent des prix deux à trois fois plus élevés que les colons israéliens. Le faible prix de l’eau pour les Israéliens entraine par ailleurs une surexploitation des ressources en eau qui assèche progressivement le territoire palestinien. A Gaza, la surexploitation de l’aquifère par les colonies israéliennes présentes jusqu’en 2005 a également provoqué une salinisation de la nappe phréatique. Par conséquent, 97% de l’eau à Gaza est impropre à la consommation. Et 90% de la population de Gaza achète de l’eau à des entreprises. Les 10% restants boivent de l’eau impropre à la consommation. La mauvaise qualité de l’eau est la première cause de la mortalité infantile à Gaza (Labadi, 2015, p. 167). |
Effondrement de l’économie dans la bande de Gaza
La crise économique actuelle se ressent d’autant plus dans la bande de Gaza où 80% de la population dépend de l’aide humanitaire. Douze ans de blocus et trois attaques israéliennes ont ravagé l’infrastructure déjà affaiblie de la bande de Gaza, ont détruit sa base productive et n’ont pas laissé à la population le moindre temps de répit pour reconstruire et relancer l’économie (CNUCED, 2015). Depuis le début du blocus, 90 % des usines de Gaza ont fermé. Les exportations ne s’élèvent plus qu’à 2 % de leur niveau d’avant le blocus et cela, en raison des lourdes restrictions sur le transfert de produits agricoles et autres marchandises vers les marchés palestiniens de Cisjordanie.
Après l’attaque israélienne de l’été 2014, le Gaza Reconstruction Mechanism (GRM) a été mis en place afin prétendument de faciliter l’entrée des biens nécessaires à la reconstruction, tout en tenant compte des exigences israéliennes en matière de sécurité. Certains matériaux de construction comme le ciment ou le fer se retrouvent par conséquent sur la liste des biens « à double usage », c’est-à-dire de biens civils pouvant, selon les autorités israéliennes, être utilisés à des fins militaires. Mais en définitive, comme l’a constaté Oxfam dans son rapport « Treading water: the worsening water crisis and the Gaza Reconstruction Mechanism » (2017), le GRM peine à répondre à l’urgence de la reconstruction, mais ne remet pas non plus en cause le blocus israélien, ce qui contribue indirectement à le légitimer.
Outre sur la circulation des biens et des personnes, le blocus israélien a également une incidence négative sur l’agriculture et la pêche à Gaza, deux secteurs essentiels pour l’emploi et la sécurité alimentaire du territoire. Depuis 2007, Israël impose en effet une zone tampon de 300 mètres à l’intérieur de la bande de Gaza, là où se situent la plus grande partie des terres cultivables du territoire. La moitié des terres cultivables sont de ce fait rendues inaccessibles aux agriculteurs. De même, les Palestiniens ne peuvent pêcher que dans une zone allant de 3 à 6 milles marins au large des côtes de Gaza, alors que 20 milles marins devraient leur être accessibles en vertu des accords d’Oslo. Les pêcheurs finissent par ne plus pêcher que des alevins, empêchant ainsi la reproduction des espèces et entrainant alors un épuisement des ressources halieutiques au large de Gaza (OCHA OPT, Monthly Humanitarian Bulletin, March 2018).
Crise budgétaire de l’Autorité palestinienne
En 1994, les Accords d’Oslo créaient l’Autorité palestinienne pour gérer les territoires palestiniens en voie d’autonomisation. Mais le pendant économique de ces accords, le Protocole de Paris (1994), n’a fait qu’entériner la dépendance de l’économie palestinienne à Israël. Ce protocole établit en effet la liberté de circulation des biens entre Israël et le Territoire palestinien, mais il laisse à Israël le contrôle sur le commerce extérieur et les douanes. Israël peut donc s’immiscer dans toutes les négociations commerciales de l’AP avec des Etats tiers (Labadi, 2015, p. 187). Par ailleurs, les autorités israéliennes perçoivent les recettes des droits de douanes, qu’elles doivent ensuite reverser à l’AP. Mais il est fréquent qu’Israël en bloque les versements pour faire pression sur l’AP, une pression non négligeable car ces montants représentent 65% des recettes fiscales palestiniennes.
En juillet 2018, Israël a en outre adopté une loi gelant les montants de l’aide versés par l’AP aux familles des Palestiniens impliqués dans des actes terroristes. En application de cette loi, Israël déduit des recettes douanières palestiniennes les montants versés par l’AP aux familles des Palestiniens détenus en Israël ou des Palestiniens décédés lors d’attentats supposés ou avérés contre des Israéliens. Depuis février 2019, 11,5 millions de dollars ont ainsi été retenus chaque mois par Israël. L’AP a déclaré n’accepter que les recettes dues dans leur entièreté (CNUCED, 2019, 27). Pour faire face à cette crise de son financement, l’AP a donc dû prendre des mesures de restrictions budgétaires, diminuant les salaires des fonctionnaires et l’aide sociale aux plus démunis, des mesures qui, en réduisant la demande, pèsent encore un peu plus sur l’économie palestinienne en crise.
Dépendance à l’aide internationale
L’impossibilité du développement économique palestinien dans un contexte d’occupation a engendré une dépendance totale de l’Autorité palestinienne à l’aide internationale. C’est ainsi l’aide internationale qui a fait de l’AP le principal employeur en Cisjordanie (Labadi, 2015, p. 234). Mais ces dernières années, l’aide internationale a tendance à décliner. En 2018, elle a ainsi baissé de 6% par rapport à l’année précédente, entrainant des difficultés budgétaires inédites pour l’AP.
Dans de telles circonstances, lourdement handicapée par une double dépendance, vis-à-vis d’Israël et vis-à-vis de la communauté internationale, l’Autorité palestinienne ne peut proposer un agenda d’autodétermination au peuple palestinien. La communauté internationale doit, quant à elle, se rendre compte que les règles du jeu qu’elle a élaborées ne permettront jamais d’atteindre l’objectif qu’elle s’est prétendument fixé, c’est-à-dire l’avènement d’une solution à deux Etats. Pour sortir de ce cul-de-sac, il est impératif de coupler l’aide internationale à de réelles sanctions contre Israël afin que ce dernier lève les trois principaux obstacles au développement palestinien, à savoir l’occupation, la colonisation et le blocus de la bande de Gaza.
De nombreuses fois citées dans cet article : Taher Al-Labadi. De la dépossession à l’intégration économique: économie politique du colonialismeen Palestine. Economies et finances. Université Paris Dauphine – Paris IX, 2015. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01214969/document