« Vous exilez un homme. Soit. Et après ? Vous pouvez arracher un arbre de ses racines, vous n’arracherez pas le jour du ciel »
V.HUGO (Exil).
A l’occasion du 29 novembre, l’ABP a fait monter sur la scène de l’IHECS un personnage autant controversé qu’inconnu. On allait (enfin) faire la connaissance de celui dont on dit que la seule évocation du « retour » fait trembler l’État d’Israël. Le réfugié palestinien à la fois le maillon le plus faible, devient de façon surprenante une des pièces maîtresses de la résolution du conflit. Ce réfugié palestinien soulève de nombreuses questions : « D’où vient-t-il ? Qui est-il ? Pourquoi dit-on qu’il est le plus vieux réfugié du monde et pourquoi s’entête-t-il à le demeurer ? Où veut-il faire retour ? Et quelles sont les véritables responsabilités de l’ONU, de l’Occident, des pays arabes ? Le « droit au retour » légitime ou volonté de nuire ? etc…
Bien entendu, P. Galand (Président de l’ABP) ouvre la séance et ne peut manquer de rappeler les différentes formes d’actions qui attendent les militants dans les prochaines semaines (BDS….) ; il fait également applaudir la présence fidèle des membres de l’UPJB et présente alors les intervenants. Remarquons qu’il est essentiellement composé de représentants masculins à part une exception, une voix venue d’Israël : Israélienne de Palestine, comme elle aime à le dire.
Al Husseini (chercheur associé de l’Institut français du Proche-Orient) va nous présenter un tableau historique. Beaucoup de chiffres, bien entendu, heureusement, il trouve un ton dans ses commentaires qui leur donne un peu de chair.
En 49, les réfugiés recensés sont estimés selon l’ONU à 726.000 et selon les humanitaires à un million. D’où vient la différence ? En partie, du fait que certains réfugiés bien que n’ayant pas été délogés ont été séparés de leur terre, c-à-d de leur revenu et puis il faut bien aussi avouer une certaine fraude. La spécificité du statut du réfugié palestinien va obliger l’Onu a créer un service spécial : l’UNRWA. Ce qui a pour conséquence que le réfugié palestinien ne dépendra pas du Haut Commissariat aux Réfugiés comme tous les autres. Ne pas dépendre du H.C.R a des avantages mais aussi des inconvénients dont le moindre n’est pas de perdre ainsi le statut de protection juridique attenant au H.C.R. Dès lors, la mission de l’UNRWA glissera, avec le temps, vers une aide humanitaire d’urgence, perdant toute dimension politique.
Cette foule de réfugiés sera rassemblée dans 71 camps « provisoires »… en 2008, ils sont 4,6 millions qui dépendent de L’UNRWA… du provisoire qui a tendance à s’éterniser…
LE TABLEAU
1949 | 2008 |
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280.000 en Cisjordanie 200.000 à Gaza 97.000 au Liban 75.000 en Syrie 70.000 en Transjordanie 33.000 déplacés en Israël 17.000 réfugiés juifs jusqu’en 52 |
42% en Jordanie (+/- 2millions) 23% à Gaza (1 million) 16% en Cisjordanie (800 mille) 10% en Syrie (500 mille) 9% au Liban dont beaucoup vivent en Europe. 285.000 déplacés en Israël |
…ce qui fait que la Palestine pourrait ironiquement s’enorgueillir d’avoir le plus ancien et le plus nombreux peuple réfugié au monde.
Dès 1951, la plupart des réfugiés bien que ne croyant plus au pouvoir d’exercer leur droit (« inaliénable », selon les termes de l’ONU) au retour refuse néanmoins la ré-installation dans les pays qui les ont accueillis, n’envisageant pas de renoncer au principe. Mais de fait, dès cette date, il y aura une séparation entre la demande de reconnaissance du principe et son application.
Pourquoi rester « réfugié » de l’ONU, très simplement parce que c’est l’ONU qui est à l’origine de leur problème ? Il serait logique que l’ONU trouve une solution. On sait, depuis longtemps, que l’ONU a démontré son impuissance à régler le problème, entre autres par son architecture, on ne compte plus les décisions prises par l’Assemblée Générale concernant le conflit, on sait tout autant qu’Israël n’a cessé de les ignorer et pour cause car c’est le Conseil de Sécurité et le fameux article VII qui peut seul être décisif et suivi d’effet…Qu’en sera-t-il le jour où le Conseil s’ouvrira plus largement ? Il n’empêche, pour le réfugié palestinien, le fait « d’accrocher » l’UNRWA c’est garder une épine dans le talon onusien.
« On sent une joie Auguste à faire aux vaincus un avenir…
Les pays d’accueil ? Essentiellement arabes, ils vont prendre une politique commune de non-naturalisation des réfugiés (toujours faire peser la responsabilité sur l’ONU) tout en leur accordant les mêmes droits (sociaux, économiques) que leurs propres citoyens ; droits généralement peu ou pas respectés. Deux exceptions toutefois, la Jordanie va naturaliser massivement les réfugiés tout en apportant une restriction majeure, le non-accès à la fonction publique et le Liban, qui pour des raisons d’équilibre communautaire, va geler la situation et garder strictement les réfugiés palestiniens dans 12 camps sous la quasi seule responsabilité de l’UNRWA tout en leur interdisant l’accès à une série d’études et de professions.
En 94, dans les accords d’Oslo, on va renégocier le « droit au retour »…L’OLP va se résigner à un Droit au retour limité au futur État palestinien non sans renoncer à la reconnaissance de la Nakba. Il n’empêche que des tensions toujours pas apaisées naîtront entre l’OLP et les Comités de réfugiés. (Sachant cela n’est-on pas en droit de se demander pourquoi Israël continue de faire peser la suspicion sur les intentions des négociateurs palestiniens tant qu’ils garderont le « retour » dans leurs cartons ; tout le monde connaît la chanson : « la question du « retour des réfugiés » est la preuve que les Palestiniens ne veulent pas la paix mais la destruction de l’État d’Israël…).
«… et aux fugitifs inconnus une promesse d’hospitalité » V. Hugo.
Et l’orateur sortant de ses chiffres de conclure : « par quelque bout qu’on prenne le problème, la question des réfugiés est dans l’impasse ». D’autant, nous confie Husseini, qu’actuellement la stratégie des dirigeants palestiniens concernant ce problème n’est pas très lisible.
C’est autour de Monsieur Matthias Burchard (Directeur de la Représentation de l’UNRWA à Bruxelles et Genève), de prendre la parole… Donc, l’UNRWA s’occupe d’éducation, de santé, de social ; pourtant le budget (500 millions de dollars) est consacré à 66% aux salaires. Ses 29.000 employés « locaux » font de l’UNRWA l’un des plus importants employeurs de Palestine.
Qui paie ?
Les pays membres de l’ONU.
Israël, en est-il (demande quelqu’un dans la salle) ?
The answer is no !
Lesquels ?
Les pays arabes ne contribuent qu’à compter de 1,09% du budget (toujours cette question de responsabilité…), ils préfèrent financer directement des projets (question de visibilité ?). Pays occidentaux : 90% ; dont l’Union européenne : 58%.
Bien que cherchant à ne pas minimiser le rôle de l’UNRWA il devra quand même finir par admettre qu’en aucun cas, cela ne peut représenter une solution définitive pour les réfugiés et lui aussi conclura sur une note d’impuissance.
Le professeur Géraud de la Pradelle, éminent juriste, (professeur émérite de l’Université de Paris X-Nanterre) va dans une brève intervention détailler le fondement du « Droit au retour » qui n’est pas spécifiquement attribué au réfugié mais c’est un Droit qui revient à chaque personne selon l’art. 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme du 10 décembre 48 : « Droit de toute personne quelle que soit sa nationalité, reconnue comme réfugiée ou non, de quitter (librement ou forcée) son pays et d’y revenir ». Autrement dit, chaque personne est libre de rester, de partir et de revenir dans ce que la personne considère comme son pays et pas seulement le pays de sa nationalité. Ce droit est reconnu mais bien entendu peu ou pas du tout respecté…Il va nous rappeler que le Droit dépend largement du rapport de force en vigueur. Et il nous fera remarquer que c’est bien dans cet esprit qu’il faut lire le « Droit au retour » pour les Palestiniens, puisqu’en effet, celui-ci fut adopté le 11 décembre 1948, c’est-à-dire le lendemain de la Déclaration des Droits de l’Homme, par la Résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations Unies.
Ce Droit s’applique-t-il aux descendants ? Bien entendu, le descendant le reçoit en héritage, c’est comme pour la nationalité.
Enfin, il conclura sur la relative effectivité du Droit International et bien qu’il y ait de plus en plus de déclaration de lois généreuses, leur application est de moins en moins respectées, ce qui, selon le professeur, met en péril la notion même de Droit… « Disons que ça fait vivre beaucoup de juristes ».
Et puis s’élève, dans ce « froid » samedi de novembre, une voix chaude aux accents poétiques, la voix du témoin…
« Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s’en fait un tuteur en lui léchant l’écorce,
Grimper par ruse au lieu de s’élever par force ?
Non, merci . (…)
Déjeuner, chaque jour, d’un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
Qui plus vite, à l’endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?
Non, merci. (…)
Devenir un petit homme dans un rond,
Non, merci. (…)
Calculer, avoir peur, être blême,
Aimer mieux faire une visite qu’un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! non, merci ! Mais…chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre… (Cyrano de Bergerac).
Monsieur AbdelFattah Abu Srour, par cœur, évidemment par le cœur…
Il nous fait entendre le cliquetis d’une clé rouillée qu’il tient précieusement comme tant d’autres « comme l’ont fait les juifs d’Espagne ».
Le 19 octobre 1948, sa famille est forcée de partir et va vivre sous les tentes pendant 6 ans. Que reste-t-il de son village ? Des ruines (plus de 80% des villages arabes détruits en 48 sont toujours à l’état de ruine (ETAT de ruine) et un nom : Beit Nateef.
Il évoque des souvenirs et particulièrement ce visage du premier soldat vu en 67, il avait 4 ans, « un juif irakien ». Et quand il nous parle d’aujourd’hui, du camp attaché à Bethléem entouré de murs et où l’espace rétrécit de plus en plus, c’est pour nous dire que bien que la situation soit plutôt calme qu’à cela ne tienne, il ne se passe pas de semaine sans que l’armée d’occupation ne vienne faire des « entraînements » dans le camp, mimant des situations de guerre ! « Même entourés de murs, les Palestiniens ne sont pas en sécurité ! ». Sa chance : avoir décroché une bourse d’étudiant en France. Et comme il se doit, tout réfugié palestinien étant un défi à toute administration digne de ce nom, il nous conte comment l’administration française à bout de ressource va lui inscrire comme nationalité : indéterminée !
En voyage aux USA, l’employé de l’immigration ne trouve pas « Palestine » dans son ordinateur. « La Palestine n’existe pas ! ». C’est ainsi qu’il va découvrir que son père est né en 1910 en Israël ; lui, en 63, en Jordanie « quand à mes enfants, je ne sais plus où ».
« Il est difficile de se faire reconnaître comme Palestinien sauf, sauf si l’on est soupçonné de terrorisme, là, on est reconnu tout de suite… »
Alors, il est en droit de se demander si le Palestinien fait bien partie de l’humanité où s’il en est exclu : « Est-ce que la violence et la haine sont inscrits dans nos gènes ? N’avons nous pas droit nous aussi à la beauté, à la générosité, à une humanité ? »
« La colère de l’honnête homme ne va pas au-delà du nécessaire »
V.HUGO.
Bien qu’il reconnaisse le droit de résister, par tous les moyens, à l’occupation, lui et les siens ont fait un autre choix, celui de ne pas répondre à la violence par la violence. Il a plutôt choisi de résister par la création de solidarité, voire de donner le goût de la création aux autres.
(Al-Rowwad). Il ne s’agit pas de haïr l’agresseur mais de combattre l’occupation. Comme il le dit très bien : « il veut vivre et pratiquer son humanité même en temps de détresse. Vivre et pratiquer son humanité même si l’injustice règne en maître, même si « l’avenir est muré ». Qu’on ne vienne pas lui parler de Paix, même avec une majuscule si on refuse la justice et pour lui, le premier pas vers la paix est de reconnaître l’injustice faite aux réfugiés. Et ce n’est pas en finançant les « check-points », pour soi-disant les rendre plus humains ; il est dérisoire d’imaginer qu’on va trouver une solution en cherchant à « adoucir » l’occupation .« La paix pour un enfant palestinien d’aujourd’hui, alors que toute sa vie est réglée par l’occupation (sa scolarité, ses amours…), ça ne veut strictement rien dire ! »
ET malgré tout, nous devons trouver la paix en nous dans la situation de guerre qu’on nous impose.
Et qu’on ne nous demande pas de faire encore des efforts, on les a tous faits…on ne demande pas la charité mais nos droits et la justice. VITE !
Tal, la seule voix féminine du jour, va détailler le combat que les membres de son association (Zochrot) mènent en Israël pour faire entendre dans le silence assourdissant de l’évidence sioniste que la Nakba fait partie intégrante de l’histoire de son pays. Elle va jusqu’à prétendre que le Palestinien n’est pas l’ennemi mais la partie ignorée, refoulée de l’histoire d’Israël.
« Vous ne pouvez pas vivre un seul jour en Israël sans rencontrer les signes de la Nakba et pourtant il est impossible de les lire, de les faire entendre dans notre langue. L’hébreu qui est pourtant une langue orientale à la base a été retravaillé de façon à en éliminer toutes les consonances arabes et en faciliter ainsi l’accès aux Ashkénazes. Ce qui produit un paradoxe, c’est que les Israéliens juifs arabes finissent, en réintroduisant l’accent oriental, à parler un mauvais hébreu moderne ! »
Elle veut témoigner que bien que peu nombreux, il existe quelques groupuscules d’Israéliens qui luttent chaque jour pour qu’Israël devienne un pays démocratique traitant chaque citoyen de manière égale. Elle n’est pas dupe du caractère marginal de sa position dans son pays mais elle croit avec force qu’il n’est nul besoin de réussir pour entreprendre. Sa détermination a de la tenue !
Enfin, après un long échange entre la salle et les intervenants, Madame Leila Shahid va, en quelques phrases bien senties, clôturer cette après-midi riche en enseignements et émotions, et remercier l’ABP d’avoir eu l’audace d’ouvrir le délicat et complexe problème des réfugiés palestiniens, d’avoir su le traiter avec sérieux et dignité. « En Europe, la question des réfugiés est quasi impossible à traiter avec les responsables politiques, tant le sujet est explosif ».
Et bien qu’en précisant que les nouvelles de la politique ne soient pas bonnes elle va arborer, avec fierté, le programme pour les 80 ans du Bozar qui est tout à l’honneur de la Palestine, Masarat, encore et toujours ! Pourquoi Masarat reçoit-il un tel accueil ? « Parce qu’on a réussi à parler de la Mémoire palestinienne à partir du côté créatif ».
Même « si l’avenir est masqué », elle continue de pratiquer son « pePtisimisme » (contraction d’oPtimisime dans pessimisme).
On n’en n’a pas fini de parler des réfugiés palestiniens…
« Il doit y aller et il va, jusqu’au bout de l’honneur. Là il trouve le précipice. Soit. Il y tombe. Parfaitement.
Y meurt-il ? Non, il y vit. »
ZJ

Echoooos du 29 novembre 2008
“Bulletin Palestine n°39”