La seule démocratie du Moyen-Orient

Jawaher Abu Rahma, 36 ans, morte le 31 décembre suite à l'inhalation de gaz lors d'une manifestation contre le mur à Bil'in
Jawaher Abu Rahma, 36 ans, morte le 31 décembre suite à l'inhalation de gaz lors d'une manifestation contre le mur à Bil'in

A l’heure où l’exigence de démocratie renverse les dictatures dans le monde arabe, Israël qui se présentait comme « la seule démocratie du Moyen-Orient » peine à maintenir cette image aux yeux du monde. La répression qu’elle fait subir aux mouvements résistances populaires palestiniens est violente. Pourtant, malgré cette atteinte au droit de protester pacifiquement tant défendu par la communauté internationale ces dernières semaines, aucune sanction n’est jamais prise à l’encontre d’Israël.

A l’heure où en Tunisie et en Egypte, les manifestations populaires sont saluées comme un réveil des peuples, l’Europe et les Etats-Unis affichent un soutien très frileux au renversement de régimes non démocratiques qu’ils ont soutenus sous prétexte de stabilité. Néanmoins, ils ont chaque fois appelé les autorités de ces pays à ne pas réprimer par la force ces mouvements populaires pacifiques.

Ainsi, le 3 février, la chef de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton, a demandé aux autorités égyptiennes de “respecter” le droit de leurs citoyens à manifester pacifiquement pour défendre leurs droits. « La liberté d’expression et le droit de se réunir pacifiquement sont des droits fondamentaux de tout être humain. J’appelle les autorités égyptiennes à pleinement respecter et protéger les droits de leurs citoyens à exprimer leurs aspirations politiques au moyen de manifestations pacifiques », a-t-elle déclaré . Quant à Obama, il a renchéri le même jour : « Je veux appeler très clairement les autorités égyptiennes à s’abstenir d’utiliser la violence contre les manifestants pacifiques. Le peuple égyptien a des droits qui sont universels. Cela inclut le droit de se réunir pacifiquement, le droit à la liberté d’expression et à la possibilité de choisir son propre destin, cela relève des droits de l’homme.  »

Pas mal, dira-t-on, même si on connaît le gouffre entre les déclarations et les actes. Même si on sait que les USA comme l’Europe ont pris le train en marche, après maintes hésitations. Même si on se doute que les pressions seront fortes pour que la démocratie n’aille pas trop loin, c’est-à-dire ne remette pas en cause leurs intérêts géostratégiques et économiques dans la région.

Et quid de la seule démocratie du Moyen-Orient ?

Israël s’est abstenu de réagir au départ de Ben Ali tout en affirmant craindre une montée de l’islamisme. A propos de l’Egypte, Netanyahou avait demandé aux membres de son gouvernement de ne pas faire de déclarations. Néanmoins, le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman avait donné instruction à ses ambassadeurs d’insister sur la nécessité de préserver la stabilité de l’Egypte. Un officiel israélien allait jusqu’à déclarer que les Américains et les Européens, poussés par leurs opinions publiques, négligeaient leurs propres intérêts. Et d’ajouter : « Même s’ils sont critiques par rapport à Moubarak, ils doivent faire sentir à leurs amis qu’ils ne sont pas seuls. La Jordanie et l’Arabie saoudite (deux pays éminemment démocratiques ndlr) voient les réactions en Occident, comment chacun est en train d’abandonner Moubarak, et cela aura de sérieuses conséquences.  »

Il est vrai qu’Israël craint que le traité de paix égypto-israélien, signé avec Sadate, ne soit plus respecté. Or, ce traité a permis à Israël de ne pas trop s’occuper de sa frontière sud et donc de déployer son armée ailleurs. Déjà les militaires israéliens prévoient une augmentation du budget de la Défense pour faire face à une armée égyptienne équipée par les Américains et susceptible de passer sous le contrôle d’un «régime extrémiste» .

Tout se passe comme si des régimes non démocratiques étaient plus favorables à la paix et convenaient mieux à Israël. La crainte de voir s’instaurer un régime dominé par les Frères musulmans donne lieu aux supputations les plus folles, allant jusqu’à imaginer un scénario à l’iranienne. Craintes relayées par les sectateurs d’Israël, Adler, BHL, Finkielkraut et Cie .

Quant à Shimon Pérès, lors d’une conférence de parlementaires européens pro-israéliens à Jérusalem, il a très froidement déclaré : «  Les élections en Égypte sont dangereuses. Si les Frères musulmans devaient être élus, ils n’apporteront pas la paix. La démocratie sans la paix n’est pas une démocratie. Nous craignons un changement de gouvernement sans un changement des circonstances qui ont conduit à cette situation.  »

Retenons donc qu’une démocratie sans paix n’est pas une démocratie. Alors, quid d’Israël ?

Résistance populaire à Bil’in  , Ni’lin , Bidu, Beit Ummar, Al Ma’assara et autres villages

Chaque vendredi, à Bil’in, les habitants du village, soutenus par des militants israéliens et internationaux, vont en marche pacifique manifester contre le mur qui vole leurs terres et contre l’occupation. Ils n’ont d’autres armes que des foulards, des drapeaux, des pancartes et de quoi se protéger des gaz lacrymogènes. Car chaque semaine, l’armée tire balles en caoutchouc, balles réelles et grenades lacrymogènes et sonores. Et  quand elle ne tue pas, elle opère des incursions, arrête des habitants et démolit leurs biens.

Lors de la manifestation hebdomadaire du 31 décembre 2010, Jawaher Abu Rahmah est morte suite à l’inhalation de gaz lacrymogènes. Son frère avait déjà été tué en 2009 dans des circonstances analogues. Quant à Abdallah Abu Rahmah, organisateur du comité populaire de Bil’in, il est sous les verrous depuis décembre 2009 et sa détention vient d’être une nouvelle fois prolongée. Or, Abdallah Abu Rahmah a été disculpé du chef d’accusation violence. Amnesty International considère d’ailleurs Abdallah Abu Rahmah « comme un prisonnier d’opinion, détenu uniquement pour avoir exercé pacifiquement ses droits à la liberté d’expression et de réunion.  »

Rien de moins que ce qu’ont fait Tunisiens et Egyptiens. Dans d’autres villages , la tactique est la même et la riposte israélienne est elle aussi la même : arrestations, répression brutale de l’armée avec morts et blessés, intimidation des militants, etc . Israël, une démocratie ? Où sont Ashton et Obama ?

Résistance contre le nettoyage ethnique à Jérusalem-Est

La judaïsation galopante de Jérusalem-Est occupée n’est plus un secret pour personne. Depuis les rapports des consuls en passant par ceux des organisations internationales et des ONG, tous dénoncent l’expulsion insidieuse et progressive des Palestiniens de Jérusalem-Est grâce à une panoplie de moyens éprouvés : suppression des cartes de résidents, démolition de maisons, expulsions des habitants sous prétexte de constructions ou de fouilles archéologiques, etc.
Devant cette offensive, les habitants s’organisent et résistent par tous les moyens possibles : organisation de comités de défense, manifestations et procédures juridiques.

A Silwan , qui détient le record de pauvreté et de chômage de la partie orientale de la ville, habitent 55.000 Palestiniens et 500 Israéliens. Les habitants palestiniens y sont menacés d’expulsion, interdits dans une partie du quartier occupé par des colons « archéologues » ; leurs maisons sont endommagées par les fouilles souterraines, les colons armés sont agressifs et violents au point de foncer sciemment en voiture sur des enfants. La police y fait de régulières intrusions dans les maisons, des enfants sont arrêtés, des militants pacifiques frappés ou incarcérés,…  En janvier, un enfant de 10 ans a été arrêté. Il faut voir les photos de ces agents déguisés appréhendant des gosses . Au moment où paraît cet article, dix-sept enfants  sont assignés à résidence dans leur quartier. Quant au directeur du Wadi Hilweh Information Center, Jawad Siyam, il a été arrêté, en janvier, durant ses activités d’animation avec les enfants dans le centre et assigné à résidence. Mais les autorités israéliennes vont plus loin, poursuivant les membres de la famille de Jawad Siyam : son neveu a été arrêté et « exilé » en résidence à Jabal-Moukaber, un village qui fait partie de Jérusalem-Est. Deux de ses fils sont en prison depuis mai 2010. Une pratique habituelle vis-à-vis des militants pacifistes (Rappelons l’arrestation de Mohamed Al-Khatib de Bil’in ou celle d’Ahmed Awad de Budrus…). Adnan Ghaith, membre du Fatah et du comité populaire de Silwan, a été exilé pour quatre mois à Ramallah : l’enquête policière n’ayant rien prouvé, le juge a utilisé une loi datant du mandat britannique pour l’éloigner…

A Sheikh Jarrah, la situation est tout aussi terrible. Outre les familles Al-Hannoun et Al-Ghawi qui ont déjà été expulsées, outre l’occupation des maisons par des colons religieux extrémistes qui n’hésitent pas à s’attaquer aux habitants du quartier, un nouveau projet est en route : la construction de deux nouvelles colonies comprenant 13 appartements. La conséquence déjà annoncée en sera la destruction de deux bâtiments et l’expulsion de plusieurs familles palestiniennes. Par ailleurs, sur le site de la résidence Shepherd partiellement démolie par les bulldozers israéliens en janvier 2011, 20 unités de logements vont être construites, réservées à des juifs religieux, des colons donc puisque Jérusalem-Est est bien territoire occupé.

Les familles de Sheikh Jarrah se sont organisées en comité indépendant. Chaque vendredi, des manifestations ont lieu au cours desquelles se rassemblent Palestiniens, Israéliens et internationaux. Manifestations pacifiques. La dernière en date avait vu les manifestants promener un sukkah (une cabane provisoire) ornée de drapeaux palestiniens dans le quartier  pour protester contre les expulsions. La police a brutalement démantelé le sukkah, tandis qu’un policier frappait un manifestant avec l’un de ses montants. Police qui d’ailleurs empêche de manière musclée les manifestants d’aller devant des maisons palestiniennes occupées. Plusieurs personnes sont régulièrement arrêtées et interrogées. Y compris des Israéliens.
Et la litanie de ce genre de répression est longue: à At-Tur, à Jabal Moukaber, à Ras-al-Hamoud…

Liberté d’expression ? Droit de se réunir et de manifester ? Où est la seule démocratie du Moyen-Orient ? Où sont Ashton et Obama ?

Un sursaut en Israël ?

Maintenant que le monde arabe bouge, Israël va-t-il changer ? La journaliste Amira Hass n’y croit pas. Dans un article très dur, elle écrit : « Ne nous faisons pas d’illusions. Il n’y aura pas de confusion. Les soldats israéliens recevront des instructions claires. L’armée israélienne de l’opération Cast lead sera à la hauteur de sa réputation. Même si la marche est composée de 200 000 civils désarmés, l’ordre sera de tirer. Il n’y aura pas seulement 10 morts parce que l’armée de Cast Lead aura à cœur de se surpasser. Le moment où la machine de la répression israélienne se désintégrera parce les hommes qui la composent se sont mis à réfléchir au lieu d’obéir n’est pas encore arrivé.  »

De son côté, Michel Warshawski n’est pas plus optimiste : « Il est vrai que les déclarations de l’establishment israélien ne sont pas pour rassurer. A part l’échec de l’establishment israélien au niveau des Renseignements, sa réponse se caractérise par l’expression d’un chagrin profond devant la chute du dictateur égyptien, et même de la colère voyant qu’il n’a pas pris les décisions qui s’imposaient pour réprimer immédiatement les manifestants. L’ancien ministre Ben Eliezer ne comprend pas pourquoi son ami Moubarak n’a pas ordonné de tirer sur les manifestants (apparemment 300 morts, ce n’est pas assez pour l’ancien gouverneur militaire) ; Benjamin Netanyahou est en colère contre Obama – qu’il considère depuis longtemps comme un Président mollasson qui a abandonné la défense du monde libre et flirte avec l’Islam – qui s’est désolidarisé immédiatement de son allié égyptien et ne lui a pas apporté l’assistance nécessaire pour sauver son régime…

Notre résistance populaire

Dans son rapport annuel publié en janvier, l’ONG américaine Human Rights Watch pointe le manque de fermeté de l’UE et de l’ONU sur le respect des droits de l’homme. «Les déclarations routinières en faveur du dialogue et de la coopération avec des gouvernements répressifs servent trop souvent d’excuses pour justifier l’inaction face aux atteintes aux droits humains », déclare Kenneth Roth, le directeur exécutif de Human Rights Watch (HRW). Il les a même accusés de lâcheté envers les régimes répressifs. Il les accuse de privilégier en effet une politique de dialogue et de coopération plutôt que d’exercer des pressions publiques. « Cette pratique gouvernementale n’est pas nouvelle », commente Jean-Marie Fardeau, le directeur en France de HRW : « Ces derniers temps, cette façon de faire a été théorisée. Elle est plus que jamais en vogue aux Nations Unies. On a dit que sanctionner n’était pas une bonne chose, que cela ne marchait pas. Mais cela devient préoccupant, car on se prive de moyens. » .

Préoccupant en effet. Si donc nos gouvernements, l’UE et l’ONU renoncent aux pressions publiques, particulièrement quand il s’agit d’Israël, c’est alors à nous de prendre le relais et de conduire notre propre résistance populaire. Les pressions politiques, les manifestations, les pétitions et le boycott sont nos moyens pacifiques. Israël ne changera pas de politique sans réelles pressions, sans sanctions.

Marianne Blume

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