Du 25 février au 8 mars au Théâtre Océan Nord, 63-65 rue Vandeweyer à 1030 Bruxelles
Elias Sanbar nous le rappelait il y a peu dans son introduction à l’histoire sociale de la Palestine, au programme de la Chaire Liebman de cette année, la Palestine est un petit territoire sur lequel se sont focalisés dès le début du 19e siècle des enjeux réels et imaginaires immenses liés notamment à son statut de Terre sainte.
La rencontre avec l’Occident, ses missions religieuses, ses armées et même ses artistes, illustre à merveille « l’histoire de l’Occident et sa façon de tracer des frontières au milieu de peuples pluriethniques, de prendre ses points de repère pour des réalités locales. »
Des témoignages d’artistes et des citations de théâtre
Le projet documentaire d’Adeline Rosenstein est développé à partir d’une double option. La première est de s’appuyer sur la parole d’artistes occidentaux ayant vécu quelque temps en Israël ou en Palestine, dont elle a recueilli les témoignages sur des événements survenus durant leur séjour avec des extraits, traduits de l’arabe, de pièces de théâtre historiques sur les mêmes événements. On ne peut que saluer ce changement de perspective qui permet de faire place à la parole de l’Autre. Celui-ci est enfin reconnu pour ce qu’il est, à savoir un sujet autonome et non l’éternel objet du regard de l’Occidental.
Pourquoi le choix de témoignages d’artistes ? Si l’on veut bien croire à leur sincérité, sont-ils pour autant plus clairvoyants sur le sens des événements qu’ils sont amenés à vivre ? D’après Adeline Rosenstein, s’ils ne sont pas plus clairvoyants ni mieux informés, ils seraient plus changeants et donc davantage susceptibles d’être conscients de soutenir ou d’avoir soutenu des discours idéologiques. Selon elle, ils identifieraient des contradictions dans leurs positions avec davantage de sincérité.
Un langage qui délie
La deuxième option est en fait une ambition relative au langage. Il s’agit de veiller à ce que le langage utilisé ne soit pas vecteur de tension, voire de rupture mais concourre à démêler le nœud de « ce qui a bien pu se passer pour qu’on en arrive là » depuis plus de 100 ans.
Voilà un projet dont on se dit immédiatement qu’il est casse-gueule à souhait. L’auteure et metteure en scène, mélange subtil de fragilité apparente et d’énergie débordante, s’est entourée pour mener à bien cette aventure d’une équipe d’amies aussi compétentes que solidaires (l’une d’entre elles, Julia Strutz, par exemple, est turcologue en même temps que danseuse et chorégraphe). Elle s’est également adjoint le concours décisif d’un auteur et chercheur palestinien, Mas’ud Hamdan, de l’université de Haïfa, devenu passeur privilégié de la parole des dramaturges issus des pays arabes.
Des vies et des langues qui bifurquent
Introduits et mis en contexte par des rappels historiques, témoignages d’artistes occidentaux et citations de pièces de théâtre s’entrecroisent au gré et au fil « des vies et des langues qui bifurquent (français, allemand, anglais, espagnol, turc, arabe, hébreu,… » Le tout, traduit en français, donne lieu au déploiement de différentes « sortes de français », qui sont le résultat du soin particulier apporté à la retranscription des créoles et des « dialectes » parlés par les personnes ayant traversé des frontières. « Ces langues tordues par l’effort de justesse ont toutes leur place au théâtre, observatoire poétique de la guerre des récits. »
Anatomie du spectacle
Le documentaire se présente sous forme d’épisodes qui se sont construits au fil des résidences. C’est une sorte de « work in progress » dont cependant le plan général est établi et toute la documentation rassemblée.
Un dernier mot sur le titre : si l’on observe déjà que l’amour porté par les uns et les autres à la terre de Palestine n’empêche pas pour autant de procéder à sa destruction, réelle ou symbolique, l’ambition des artistes à vouloir la décrire peut paradoxalement déboucher à détruire son histoire. D’ailleurs, ne dit-on pas aussi traduire, trahir ? Embrasser le réel est toujours de l’ordre de la fiction mais certaines catégories de fiction peuvent être mortelles.
Ouardia Derriche
En marge du spectacle :
Journée-rencontre le samedi 1er mars à 16h : La Question de Palestine sur scène.
Cette journée réunira, pour la première fois, autour d’une même table, des chercheurs venus d’horizons scientifiques différents qui ont tous été consultés individuellement pour décris-ravage. Comment réagiront-ils à la mise en scène des résultats de cette enquête documentaire ?
Plus d’infos : www.oceannord.org
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