Par Michel Brouyaux
Des morts en guerre, Rétention des corps et figures du martyr en Palestine, Stéphanie Latte Abdallah, Éditions Karthala, 2022, 146 pages.
Après un livre sur les femmes réfugiées palestiniennes (1) et un autre sur l’histoire de l’enfermement en Palestine (2), Stéphanie Latte Abdallah aborde ici les mobilisations politiques et familiales pour retrouver et récupérer les dépouilles des martyrs de la résistance.
Israël justifie par des raisons de maintien de l’ordre son refus de rendre aux familles les corps des auteurs d’actions violentes, mais aussi de personnes ayant au contraire été victimes de bavures de la police, de l’armée ou d’attaques de colons. Leurs enterrements donnent souvent lieu à des manifestations patriotiques qui glorifient la figure des fedayin. Mais, au-delà du refus de la politisation des enterrements, la suppression des martyrs de l’espace public relève d’une volonté d’effacement total, social et mémoriel, qui (…) s’étend aux familles et à la communauté. Cette intention d’annihiler les traces va, à Jérusalem surtout, jusqu’à interdire que le nom du martyr figure sur la tombe.
Quand les familles arrivent à récupérer un corps, Israël pose alors des conditions draconiennes pour les funérailles : un nombre restreint de personnes, dont les noms doivent être transmis au préalable, sont autorisées à y assister. L’enterrement doit avoir lieu la nuit. Les téléphones portables sont interdits, pour éviter la transmission d’images sur les réseaux sociaux. Le versement d’une caution, entre 5000 et 6500 euros, est destinée à garantir l’observation de ces obligations.
Toutes ces mesures permettent aussi à l’occupant d’enrichir ses informations sur les Palestiniens, voire de recruter des informateurs pour le Shabak.
La politique de gestion des mobilités des Palestiniens (plus de cent types de permis différents) s’étend par-delà la limite temporelle et corporelle de la vie. Des exils post-mortem sont parfois requis pour les habitants de Jérusalem-Est, leur déniant leur place dans la ville une fois décédés et donc leur statut de résidents permanents. L’auteure démontre avec brio qu’il s’agit, de la part d’Israël, d’une volonté délibérée de pulvérisation territoriale, politique et sociétale. Parce que, si toutes ces mesures portent atteinte à la dignité des défunts, il s’agit d’abord d’une violence adressée à ceux qui restent.
Cette « nécro-violence » est déshumanisante, puisqu’elle va jusqu’à dénier aux personnes touchées par ces deuils le droit d’exprimer des émotions et des sentiments.
(1)Femmes réfugiées palestiniennes, PUF 2006, 256 pages.
(2) La toile carcérale. Une histoire de l’enfermement en Palestine, Paris, Bayard 2021, 496 pages.
Erasmus à Gaza, un film documentaire de Chiara Avesani et Matteo Delbo, Java films, 2022.
Riccardo, étudiant italien en terminale de médecine, décide d’aller en Erasmus à Gaza, pour devenir chirurgien de guerre. Il va étudier et pratiquer durant quatre mois dans une des quatorze universités de Gaza. Le film le suit, presque au jour le jour et ne dissimule rien de ses moments de désarroi, de doute ou de panique. A propos des jours de manifestation au cours desquels Israël tire sans pitié, « Personne ne vous forme à gérer des fusillades de masse où 50 personnes arrivent en même temps », dira-t-il à Euronews. Mais il découvre aussi la gentillesse des Palestiniens et des liens d’amitié se tissent avec eux pendant son séjour.
Un très beau film, qui n’a bénéficié que d’une faible diffusion en Belgique.
Dommage…
Les aurores incertaines, Samuel Forey,Éditions Grasset, février 2023, 480 pages.
Sous ce titre inspiré, Samuel Forey nous conte ses années de reportages dans les guerres et les révolutions du Proche Orient, un parcours périlleux qu’il transforme en oeuvre littéraire. Son talent comme son courage physique forcent le respect. On découvre aussi la précarité du métier : le pigiste risque sa vie, mais il est payé au lance-pierre – quand il est payé.
L’auteur consacre plusieurs chapitres passionnants à la révolution égyptienne : commencée dans l’enthousiasme de l’unité d’un peuple, elle finira dans la haine et la désillusion.
En Irak, nous suivons l’auteur rue par rue, maison par maison dans l’effroyable bataille de Mossoul, la ville que Kurdes et soldats irakiens reprendront à Daech au prix de longs et sanglants combats. Samuel Forey y perdra plusieurs amis.
Il est à Gaza lors du bombardement de 2012. Une famille entière est massacrée devant lui par un obus israélien. Les amis de la Palestine regretteront que l’auteur ne consacre que dix pages sur quatre-cent quatre-vingts à la Palestine, alors qu’il vit à Jérusalem.
Peut-être le sujet d’un prochain livre ?