Bulletin n°100 – Conseils de lecture

Par Michel Brouyaux

Opération Déluge d’Al-Aqsa, la défaite du vainqueur, Jacques Baud, éditions Max Milo, mars 2024, 462 pages

Jacques Baud est un ancien agent des services secrets suisses, qui a longtemps collaboré avec l’OTAN et avec les Nations Unies. Son livre « Opération Déluge d’Al-Aqsa » propose un examen rigoureux des faits et de l’engrenage qui a précédé le 7 octobre.

Il commence par poser une question : comment se fait-il qu’en 75 ans – à la différence des Britanniques avec l’IRA irlandaise ou des Espagnols avec l’ETA basque – Israël n’ait pas réussi à résoudre son problème de terrorisme ? Peut-être parce que sa réponse n’a jamais été qu’une violence écrasante sur les populations, grâce à son énorme supériorité en puissance de feu, ce qui génère des victoires tactiques mais le mène dans une impasse stratégique. Il souligne aussi d’autres dangers pour Israël : son incompréhension de la logique de l’adversaire, la sous-estimation de son intelligence et l’ignorance de sa stratégie. Citant Henry Kissinger : « Une armée conventionnelle perd si elle ne gagne pas. Une guérilla gagne si elle ne perd pas ».

Jacques Baud dément l’idée qu’on soit en présence d’un conflit entre le Hamas et Israël, puisque tous les groupes de résistance étaient impliqués dans l’opération du 7 octobre. De plus, on voit bien qu’il s’agit aujourd’hui pour Israël de continuer la guerre contre le peuple palestinien.

« La sécurité d’Israël sera garantie à partir du moment où il appliquera les règles admises par tous. (…) Aujourd’hui, le David palestinien est en train de vaincre le Goliath israélien. Mais l’Occident fait mine de ne pas s’en apercevoir. »

Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir, Alain Gresh, éditions Les Liens qui libèrent, 2024, 190 pages

L’auteur développe une remarquable remise en contexte de la guerre à Gaza, démarche, comme on sait, interdite voire criminalisée depuis le 7 octobre. Citant un journaliste israélien courageux, « il ne s’agit pas d’une attaque non provoquée. L’effroi que ressentent les Israéliens en ce moment, y compris moi, n’est qu’une infime partie de ce que les Palestiniens ressentent quotidiennement sous le régime militaire depuis des décennies ». Toute analyse de ce qui s’est passé le 7 octobre doit partir de ce constat : un peuple vit sous occupation, l’autre est l’occupant. Il n’y a pas de symétrie.
Or la réaction quasi unanime de l’Occident a été inverse : une présentation du conflit comme une guerre « Hamas-Israël », ce qui est faux et qui entraîne dans son sillage l’effacement du peuple palestinien. L ’idée d’un affrontement entre la barbarie et la civilisation, rappelle l’auteur, est une vieille constante du discours colonial. Alain Gresh revient sur les six guerres menées par Israël contre Gaza entre 2006 et 2023 : comment s’étonner que le Hamas y ait trouvé un vivier pour ses combattants ? En fait, Israël ne laisse aux Palestiniens que le choix entre émigrer ou accepter de vivre avec un statut inférieur.

Le livre est également très éclairant sur l’évolution de la perception que l’on a du Hamas, sur la tolérance dont il a bénéficié de la part de Netanyahou dans le but avoué d’empêcher la création d’un Etat palestinien, ainsi que sur l’inanité de son assimilation à Daesh et à Al Qaida, que le Hamas a toujours combattus.

Dans deux chapitres d’anthologie, Alain Gresh examine le traitement des événements par la grande majorité des médias français. Il qualifie de « génocide d’atmosphère » leur complaisance dans le relais du récit israélien, un des sommets étant l’affaire des quarante bébés décapités, une information pourtant rapidement démentie par l’armée israélienne elle-même. « Les victimes israéliennes sont des personnes identifiées, elles ont un visage, une famille, des proches pour les pleurer, alors que les Palestiniens sont le plus souvent anonymes. »

S’est construit ainsi un consensus de soutien à Israël qui rend le génocide acceptable.

L’auteur écrit tout cela avant l’interview très complaisante de Netanyahou sur LCI et TF1 à une heure de grande écoute (le 30 mai).

Cette dernière guerre, qui a porté à son plus haut niveau le calvaire du peuple palestinien, a aussi entériné l’abandon du droit international. A Noël, Munther Isaac, pasteur de l’Église luthérienne de Bethléem, s’adressait à nous en ces mots: « A nos amis européens, je ne veux plus jamais vous entendre nous donner des leçons sur les droits humains ou le droit international. (…) Dans l’ombre de l’empire, vous avez transformé le colonisateur en victime et le colonisé en agresseur. »

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