Sans décolonisation, la libération n’a pas d’avenir en Palestine

Un nouveau rapport de l’ONG palestinienne Al-Haq souligne l’importance du concept de colonialisme de peuplement dans la bonne compréhension de la nature de l’apartheid israélien.

Lors de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien en 2022, une coalition de la société civile palestinienne, conduite par Al-Haq, a publié un important rapport intitulé : “L’apartheid israélien : outil du colonialisme de peuplement sioniste.” Le rapport revient sur des décennies d’analyses de l’apartheid par la recherche en milieu universitaire et par les plaidoyers de la société civile, visant le régime d’apartheid comme outil du projet colonial sioniste.

Au cours des trois dernières années, des organisations internationales et israéliennes de défense des droits humains, telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch, B’Tselem et Yesh Din ont publié des rapports concluant que les autorités israéliennes imposent un régime d’apartheid au peuple palestinien. Bien que ces rapports fassent partie intégrante de campagnes et de plaidoyers mondiaux, aucun d’eux ne nomme la cause profonde du régime d’apartheid israélien, à savoir le projet colonial de peuplement sioniste. Pourquoi l’accent mis sur le colonialisme de peuplement est-il fondamental ?

 

  1. L’importance de ce concept n’est pas nouvelle

Le concept de colonialisme de peuplement est le prolongement de la lutte centenaire de résistance pour la décolonisation et la liberté du peuple palestinien, depuis la Grande Révolte de 1936, la Première Intifada de 1987, la Deuxième Intifada de 2000, la Grande Marche du Retour de 2018, la résistance populaire de villages et communautés comme Beita, al-Naqab, Masafer Yatta, et l’Intifada de l’Unité en cours depuis mai 2021. Cette dernière, dirigée par les troisième et quatrième générations issues de la Nakba, a ouvert un nouveau chapitre d’unité dans la lutte de libération « face au colonialisme raciste dans toute la Palestine ».

 

  1. Reconnaître simplement la réalité telle qu’elle est

Depuis 1948, Israël a créé et maintenu un régime d’apartheid sur le peuple palestinien à travers un ensemble de lois, politiques et pratiques discriminatoires, en particulier dans les domaines de la terre et de la nationalité, une politique de fragmentation stratégique et des politiques et pratiques institutionnalisées de répression des Palestiniens, comme détaillé dans le rapport conjoint d’Al-Haq.

Ce système d’apartheid n’a pas fonctionné dans le vide. C’est une conséquence inévitable du projet colonial de peuplement sioniste en Palestine depuis le XIXe siècle. En 1965, un universitaire palestinien, Fayez Sayegh, a observé que l’apartheid israélien est enraciné dans le colonialisme de peuplement sioniste. Sayegh soutient que le mouvement colonialiste sioniste est fondé sur une idéologie de pureté raciale, d’exclusivité raciale et d’élimination raciale du peuple palestinien afin d’établir un État juif en Palestine.

Pour comprendre ce régime d’apartheid comme une continuation et un outil du projet colonial sioniste, et pourquoi le peuple palestinien indigène et les colons juifs ont été racialisés en vertu des lois, politiques et pratiques israéliennes, le rapport examine le mouvement sioniste à partir du XIXe siècle et comment il a mis en œuvre son objectif de créer un État juif en Palestine. Le sionisme a adopté les idéologies combinées de l’auto-identification racialiste des personnes de confession juive et du colonialisme de peuplement. Le colonialisme de peuplement s’appuie sur une « logique d’élimination » des peuples autochtones de leurs terres pour les remplacer par le groupe racial colonisateur nouvellement construit.

Ainsi, les dirigeants sionistes ont poursuivi une politique d’immigration sioniste et des plans de transfert de populations indigènes, qui ont culminé avec la Nakba, lorsque les milices sionistes ont détruit 531 villages palestiniens, tué 15 000 Palestiniens lors de plus de 70 massacres et fait de 80 % du peuple palestinien indigène des réfugiés et des personnes déplacées. La Nakba et la création de l’État d’Israël n’ont pas été la fin du projet colonialiste sioniste, mais son point culminant. La logique d’élimination entraîne un processus continu de déplacement et de dépossession du peuple palestinien, illustré par la démolition de maisons, les expulsions et les transferts forcés ainsi que d’autres mesures d’ingénierie démographique pour forcer son éviction des terres. C’est ce que le peuple palestinien identifie comme la Nakba permanente.

 

  1. Reconnaître le colonialisme de peuplement est le seul moyen de progresser

Juridiquement, le régime d’apartheid est légalement interdit puisque c’est un crime contre l’humanité. Le concept d’apartheid implique de sérieuses responsabilités, il défragmente le peuple palestinien et contraint légalement les États à appliquer des sanctions pour mettre fin à ce régime. Par ailleurs, l’interdiction du colonialisme ne s’est concrétisée que dans les années 1960. De ce fait, la création d’Israël pouvait donc être normalisée et légitimée.

Pourtant, l’avenir du peuple palestinien vers la liberté ne peut pas être uniquement assuré par le droit international. En s’appuyant trop sur le droit international et en séparant les moyens de démanteler le crime contre l’humanité d’apartheid du projet global de colonisation, nous risquons de transformer l’avenir du peuple palestinien en un projet libéral d’égalité au lieu d’une lutte pour la décolonisation, l’autodétermination et la liberté. Le droit international doit rester un outil au sein du projet politique vers la liberté et la décolonisation.

La fin formelle de l’apartheid en Afrique du Sud n’a pas abouti à la décolonisation, car le mouvement de libération s’est concentré sur la domination raciale mais pas sur la domination coloniale. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud post apartheid est l’un des pays les plus inégalitaires au monde, avec l’héritage du colonialisme, du capitalisme racial et la poursuite du modèle économique néolibéral malgré la transition. La décolonisation exige le démantèlement de la structure asymétrique de pouvoir entre colonisateurs sionistes et peuple autochtone palestinien, la déconstruction de l’idéologie d’élimination, l’abrogation des lois et politiques discriminatoires consacrant la colonisation, ainsi que la réalisation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et au retour.

Dans son premier rapport à l’Assemblée générale, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la Palestine, Francesca Albanese, a insisté sur le fait que “la réalisation du droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination nécessite une fois pour toutes le démantèlement de l’occupation coloniale israélienne et de ses pratiques d’apartheid.” Albanese a appelé la communauté internationale à abandonner le modèle dominant de négociations et d’approches humanitaires et économiques, au profit de la reconnaissance du colonialisme et de l’apartheid israéliens. C’est aussi ce que conclut le rapport conjoint d’Al-Haq : « Nous restons convaincus que sans le démantèlement complet et radical de l’apartheid israélien et du colonialisme sioniste, la dignité, la justice, la libération et l’autodétermination n’ont pas d’avenir en Palestine, ni ailleurs sur Terre. »

Par Aseel Al-Bajeh[1],

[1] Chercheuse en droit et chargée de plaidoyer à Al-Haq

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