Pourquoi les Palestiniens ne peuvent pas reconnaître un « Etat juif»

Dans son discours devant le Congrès américain en mai dernier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a posé un sérieux défi à l’Autorité palestinienne : si l’AP disait simplement : « Nous reconnaissons Israël comme un Etat juif », cela serait suffisant pour mettre fin au conflit. Israël, a déclaré M. Netanyahu, serait le premier à voter pour un Etat palestinien aux Nations Unies. La réponse du Premier ministre de l’AP, le Dr Salam Fayyad, dans une récente interview accordée à Haaretz, déclarait que, « le caractère d’Israël est sa propre affaire. Ce n’est pas aux Palestiniens de le définir. »

C’est une réponse peu convaincante. Si cette reconnaissance est juste un point de vue technique, pourquoi ne pas dire les sept mots demandés dans le but de gagner le vote aux Nations Unies ? L’Organisation de libération de la Palestine comprend certainement l’importance de l’offre de Netanyahu, puisqu’elle a adopté un concept similaire à celui de l’Etat juif dans la Déclaration d’indépendance palestinienne de 1988, qui proclame : « L’État de Palestine est l’Etat des Palestiniens, où qu’ils se trouvent ». Par ailleurs, comment peut-on expliquer que l’OLP reconnaît le droit d’Israël à exister et que l’appareil de sécurité de l’AP travaille en totale coordination avec Israël – mais qu’ils ne sont pas prêts à dire ces sept mots ?

Archive de l' UNRWA, un camps de réfugié dans les années 50
Archive de l' UNRWA, un camps de réfugié dans les années 50

La Déclaration d’Indépendance d’Israël de 1948 a exprimé le sens de « l’Etat juif ». Elle s’ouvre en notant : « Eretz Israël est le berceau du peuple juif » et continue en racontant l’histoire et la mémoire nationale du peuple juif et son appropriation exclusive de l’État : « Ce droit est le droit naturel du peuple juif d’être maître de son propre destin … dans son état souverain ».

La pierre angulaire de l’Etat juif est la Loi du Retour, comme la Cour suprême l’a noté. C’est pourquoi les réfugiés palestiniens n’ont pas le droit au retour en Israël, alors que tout Juif dans le monde, avec tous les membres non-juifs de sa famille proche, a le droit d’immigrer en Israël. À l’opposé, la loi israélienne interdit aux citoyens israélo-arabe de vivre au sein de la Ligne Verte avec leurs conjoints palestiniens, si ces derniers sont des résidents de la Cisjordanie ou de Gaza.

Pour les Palestiniens, reconnaître Israël comme Etat juif revient à déclarer leur reddition, cela signifie renoncer à leur dignité collective en niant leur récit historique et leur identité nationale. Cette reconnaissance serait affirmer que puisque la renaissance d’Israël est un droit « naturel » et exclusif, la première révolte dans « notre » histoire en tant que Palestiniens – contre le mandat britannique en 1930 pour encourager l’immigration juive, ainsi que notre résistance à la création d’Israël en 1948 – ont été des erreurs. Ainsi, la Nakba est « notre » seule faute.

Par cette reconnaissance, nous accepterions la logique de la loi du retour, et en conséquence, nous renoncerions à notre droit au retour, même en principe. En outre, comme les maîtres historiques de la terre possèdent des droits a priori, la confiscation de terres palestiniennes et leur désignation comme « biens des absents » deviennent raisonnables, même lorsque les membres de ce groupe sont « absents présents » en Israël. Aussi, parce que la renaissance de l’hébreu exprime la renaissance de la nation, elle devrait être la seule langue officielle de cette terre et nous devrions accepter également que les noms de nos villages et des lieux fussent changés de l’arabe à l’hébreu.

Avec cette reconnaissance, les citoyens palestiniens de l’Etat à Nazareth et à Haïfa qui sont restés dans leurs maisons en 1948, ne peuvent pas exiger un « Etat pour tous ses citoyens » et la pleine égalité, car ils ne jouissent pas des mêmes droits initiaux que les Juifs.

Ne pas reconnaître Israël comme Etat juif n’est pas la même chose que la négation du droit d’autodétermination des Juifs israéliens. L’exercice de l’autodétermination d’un peuple est incarné principalement par son droit de se gouverner en tant que groupe national. L’autodétermination peut être exercée sans exclusion ni discrimination, y compris dans les cas de groupes multinationaux ou multi-linguistiques, comme au Canada, en Belgique, en Suisse ou en Afrique du Sud.

Ceci explique pourquoi les citoyens palestiniens d’Israël, qui reconnaissent le droit d’Israël à exister et le droit d’autodétermination des Juifs israéliens, comme exprimé dans des documents de la « Vision Future » arabe de 2006 et 2007, peuvent encore résister fortement à l’exclusivité incarnée dans la définition d’Israël comme Etat juif.

Le calendrier de l’offre de Netanyahu est très pertinent : Il arrive à l’un des moments de plus grande défaite de l’histoire palestinienne. Israël a réussi, comme l’a dit le politologue Meron Benvenisti, à fragmenter les Palestiniens en morceaux – les réfugiés, la Ligne verte, la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem. Murs et checkpoints les divisent. Chaque morceau vit sous des lois différentes et des dirigeants différents. En plus de cette faiblesse, les forces de sécurité de l’AP continuent à obéir aux ordres d’Israël. Pour le gouvernement de Netanyahou, c’est le meilleur moment pour demander aux Palestiniens de reconnaître officiellement la narration sioniste.

Cette notion de reddition nous permet de comprendre comment Netanyahou peut suggérer que les Palestiniens sont « coupables » de l’ensemble de leurs tragédies. Il a raison sur un point : Tout comme une reddition met fin à une guerre, une telle reconnaissance par l’OLP serait mettre fin au conflit. Mais il aura du mal à trouver un partenaire arabe qui accepte une telle offre durant cette période du printemps arabe, qui est avant tout une question de droit à la dignité.

Hassan Jabareen

Hassan Jabareen est un avocat et le directeur général, fondateur et d’Adalah – Le Centre juridique pour les droits des minorités arabes en Israël.

Haaretz, vendredi 2 septembre 2011

Traduction : Julien Masri

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