Portrait d’une artiste et militante palestinienne : Laila Shawa

Bulletin 55, mars 2013

« Je crois qu’un des rôles des artistes contemporains est de transmettre, à travers l’art, une réflexion sur leur temps et de communiquer cette réalité aux spectateurs. Durant une période de quatre ans et depuis le début de la première Intifada, j’ai cherché la méthode et le moyen avec lesquels décrypter le dialogue brut apparaissant sur les murs de Gaza, entre les différentes factions palestiniennes et leurs occupants israéliens ». C’est en ces mots que Laila Shawa décrit son projet « Walls of Gaza » (1992), une installation qui se décompose en trois séries : sérigraphies, photolithographies imprimées sur papier et œuvres associant photographie et peinture acrylique. En partant des représentations réalisées à l’époque par les habitants de Gaza sur les murs de la ville et qui sont vouées à être recouvertes (si pas détruites) par l’occupant israélien, Laila Shawa reconstruit un dialogue, violent, entre l’occupant et l’occupé. En les prenant en photo, elle les fige dans le temps, leur permet de dépasser la destruction matérielle en les inscrivant dans un patrimoine culturel indestructible. Le thème principal de cette œuvre est celui de l’enfance et du traumatisme. Elle le reprendra quelques années plus tard dans « Children of war, children of peace » (2002), qui répète l’image d’un enfant sur des murs de couleurs différentes : si l’horizon est devenu plus lumineux avec les espoirs portés par le processus de paix en 1993, la misère, la violence, les traumatismes vécus sont restés les mêmes. L’absence de changement vient finalement assombrir l’optimisme initial.

Née à Gaza en 1940, Laila Shawa descend d’une des plus anciennes et prestigieuses familles gazaouies. Son père a notamment été maire de la ville de 1971 à 1982. A la fois militante et artiste, elle réalise des œuvres qui traduisent de manière intense son engagement politique et les réalités sociopolitiques de la Palestine et du Moyen-Orient. Elle étudie l’art au Caire puis en Italie et en Autriche. Elle enseigne à Gaza jusqu’en 1967 puis s’installe à Beyrouth, qu’elle quitte au début de la guerre civile. Elle rentre alors à Gaza où elle collabore à la création du Centre culturel Rashad Shawa. Elle s’installe définitivement à Londres au moment du déclenchement de la première Intifada. Malgré l’exil, son identité gazaouie imprègne ses œuvres : «J’appartiens au monde et en même temps j’appartiens à un lieu précis, Gaza. Et ce lieu est en permanence nié, détruit, ruiné, enfermé. Comment ne pas prendre cela en compte?». La série « Trapped : a female suicide bomber » (2011), par exemple, nait de son questionnement sur les femmes martyres en Palestine. Elle exprime une réalité toute en nuances, qui est à la fois violente et dérangeante. Une des pièces de la série consiste en une vidéo prise par des caméras de surveillance israéliennes où l’on voit une jeune femme qui, après avoir raté sa tentative d’attentat, tombe dans l’hystérie. Loin d’imposer son interprétation ou une interprétation unique, elle bouscule, interroge le spectateur. Elle provoque la réflexion sur la signification politique et sociale d’un geste qui incarne la violence ultime. Elle y mêle la question identitaire liée à la condition féminine : la femme, par l’accomplissement de ce geste, se pose en égale de l’homme. Elle inscrit l’œuvre dans un contexte global où il arrive que la femme soit abusée, en tant que femme, par l’homme et la société, et en tant que personne, par l’occupation. Enfermée par l’occupation, immobilisée dans un rôle social conditionné qui plus est par le contexte politique, elle se retrouve coincée dans une ceinture d’explosifs qu’elle n’arrive pas à déclencher. Submergée par l’angoisse, elle sombre dans l’hystérie. Par peur de mourir ou de rester en vie ? Laila Shawa laisse la question ouverte.

Les techniques qu’elle mélange, les couches qu’elle superpose et la variété de couleurs qu’elle utilise confèrent à son œuvre toute la richesse qui la caractérise. Elles lui permettent d’aborder des thèmes tels que l’occupation, la violence, le traumatisme, la misère, l’enfermement, la mémoire et la peur sous leurs différentes facettes – politique, sociologique et culturelle – tout en exprimant avec subtilité les ironies, les hypocrisies, les angoisses et les contradictions d’une réalité étouffante.

Katarzyna Lemanska

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