Bulletin 55, mars 2013
En ce début d’année 2013, nous avons invité Leila Shahid, Ambassadeur de Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg, à faire le point. La question israélo-palestinienne, bien que très présente dans l’actualité, nécessite toujours une réflexion avec une mise en perspective historique. Le conflit israélo-palestinien est un véritable nœud gordien pour l’avenir de la Méditerranée et les enjeux qui découlent de sa solution ou non-solution sont énormes sur les plans sécuritaire, militaire et politique pour cette région et le reste du monde. Surtout après le Printemps arabe et les récentes élections américaines et israéliennes.
Hocine Ouazraf : Un des événements les plus importants de l’année 2012 a été l’admission, aux Nations Unies, de la Palestine comme Etat non membre. Pourquoi avoir choisi cette stratégie ?
Leila Shahid : C’est effectivement une stratégie qui vient ponctuer la fin d’un cycle. En 2011, le Président Abbas avait choisi d’aller devant les Nations Unies pour obtenir un siège d’Etat membre à part entière. C’est en effet le lieu qui dit le droit et qui se doit de le mettre en œuvre. Malheureusement, en raison des pressions américaines, nous n’avons pas obtenu les neuf voix nécessaires au Conseil de sécurité. Nous avons donc été, en 2012, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, un organe moins soumis aux pressions politiques et nous avons demandé le statut d’Etat non membre. Des pressions ont été exercées de la part d’Israël et des Etats-Unis notamment sur les Etats de l’Union européenne pour voter contre notre requête ou s’abstenir. Cependant, 138 Etats ont voté en faveur de notre requête, parmi lesquels 14 Etats de l’Union européenne, 9 contre et 41 abstentions. Il y avait donc, et il faut l’admettre, une unanimité.
Pourquoi aller aux Nations Unies ? Il faut rappeler que l’OLP négocie depuis plus de vingt ans et que la personne qui a été en charge de ces négociations est l’actuel Président Abbas. Après 20 ans, il est de notre devoir de faire un bilan de ces négociations. Avant tout, rappelons que les accords d’Oslo ont permis aux Palestiniens de revenir vers la mère patrie. L’OLP était un mouvement de libération nationale en exil et qui a mené la lutte depuis l’extérieur. Ensuite, nous avons arraché le droit de créer nos institutions étatiques. Malheureusement, après l’assassinat de Rabin, le processus dit d’Oslo s’est effondré et la poursuite de la colonisation a bloqué le processus de création d’un véritable Etat souverain. Pour toutes ces raisons, nous nous sommes alors adressés aux parties tierces, c’est-à-dire la communauté internationale, pour qu’elle assume sa responsabilité de protection du peuple palestinien et se porte garante du respect de ses droits à l’autodétermination et à la souveraineté. Ce retour vers les Nations Unies est historique à plus d’un titre. Ce sont les Nations Unies qui ont créé l’Etat d’Israël un 29 novembre 1947 ! Cette reconnaissance de la Palestine fixe, par ailleurs et si Israël le souhaite réellement, les paramètres d’une future négociation politique, à savoir : les frontières de 1967, Jérusalem-Est comme capitale du futur Etat palestinien, le retour négocié des réfugiés palestiniens et l’illégalité des colonies. Le statut d’Etat observateur non membre n’est pas seulement symbolique. Il ouvre en effet des droits comme l’adhésion au Statut de Rome créant la Cour pénale internationale, mais aussi à toutes les conventions internationales, notamment les Conventions de Genève. La direction palestinienne étudiera en temps voulu quand elle adhérera aux autres conventions internationales et quand elle ira devant la Cour pénale internationale et ce, en fonction de différents paramètres.
HO : Parmi les évolutions importantes que connaît la région, il y a récemment eu des élections en Israël. Qu’attendent les Palestiniens de la nouvelle direction politique israélienne ?
LS : Les élections israéliennes sont complexes. Il faut noter que les élections en Israël ont une caractéristique, elles sont toujours anticipées. Par ailleurs, sur les 30 partis qui se sont présentés, seuls deux d’entre eux ont inclus dans leur programme la question des relations avec les Palestiniens. Les travaillistes eux- mêmes n’ont pas évoqué les Palestiniens ! Comme si le Mur enfermait les Palestiniens mais aussi les Israéliens dans une prison psychologique de déni de réalité. Netanyahou, qui a basé toute sa campagne sur un discours populiste de la peur, pensait que des élections anticipées allaient le renforcer. Sa formation a perdu 11 sièges. Les autres formations ont réussi à imposer un agenda politique relatif aux questions sociales. Yair Lapid, grande nouveauté des élections, est lui aussi timide sur la question. Peut-être est-ce par calcul politique ? En fait, je ne vois pas dans l’immédiat de changement de politique majeur surtout si Netanyahou revient aux affaires.
Je voudrais maintenant aborder les élections américaines. Obama va-t-il faire mieux pour la paix lors de son deuxième mandat ? Les mandats sont courts, il doit donc se fixer des priorités. Il ne voudra pas se pencher à nouveau sur cette question étant donné l’échec de sa politique moyen-orientale, lors de son premier mandat. Je crois qu’il était sincère quand il disait vouloir voir l’Etat de Palestine admis aux Nations Unies lors de son premier mandat. Mais il a dû reculer du fait des pressions et de sa volonté de se représenter. Il avait pour cela besoin des voix de l’électorat pro-israélien américain et de ceux qu’on appelle les chrétiens sionistes. En fait, il a fait preuve de faiblesse. Au niveau international, il a affirmé sa volonté de se centrer principalement sur l’Asie. Mais face à l’actualité, Obama a été obligé de réagir. C’est ce que nous avons vu au moment de l’offensive israélienne en novembre 2012 contre Gaza où il a dépêché son ministre des Affaires étrangères sur place, craignant une déstabilisation de la région.
La question israélo-palestinienne reste donc centrale aux États-Unis. S’il le voulait, Obama pourrait rompre avec l’héritage unilatéraliste de Bush et travailler de concert avec les Européens et les Arabes. On peut aisément imaginer que ces trois parties soient à l’origine d’une initiative de paix et qu’ils accompagneraient les protagonistes du conflit dans sa mise en œuvre. La Ligue arabe est très active sur le dossier israélo-palestinien ces derniers mois, après avoir eu un rôle diplomatique quasi insignifiant dans le passé. Mais il faut attendre de voir quelle sera la politique de John Kerry, nouveau secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, qui s’est toujours intéressé à la question du Proche-Orient. L’Union européenne essaye de remettre les droits de l’Homme au cœur de sa politique de voisinage dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, mais elle doit tenir compte du dossier palestinien qui reste un nœud gordien. Mais malgré leur bonne volonté, ces trois acteurs sont handicapés par la politique de Netanyahou qui poursuit une politique des faits accomplis sur le terrain et dont l’arrogance va en augmentant. Celui-ci pourrait choisir la fuite en avant en déclenchant une guerre contre l’Iran.
HO : Quel a été l’impact des Printemps arabes sur la question palestinienne ?
LS : La presse européenne a sous-estimé l’impact des révolutions arabes sur la question israélo-palestinienne. Des personnalités médiatiques comme Bernard-Henri Lévy se sont félicitées de l’absence de référence à la Palestine dans les manifestations. Mais il n’a rien compris. Ces révolutions modernes et complexes sont le fait de mouvements sociaux n’appartenant à aucune obédience ou parti politique. Ce qui faisait leur force mais a marqué aussi leurs limites, d’où leur échec lors des scrutins. Leur but était clair : délégitimer les pouvoirs en place. Leurs premières revendications concernaient leurs droits de citoyens, ce qui ne veut pas dire que la question palestinienne était mise de côté. Ce que la presse appelle le Printemps arabe, moi, je l’appelle l’Intifada arabe. L’Intifada, que ce soit en Palestine ou ailleurs, ne connaît pas de frontières. La société civile arabe forme une unité. Et la Palestine fait partie de cette société civile arabe qui milite pour une société de citoyenneté participative, qui construit sa propre démocratie, peut influer sur des questions, notamment la question palestinienne et changera le rapport de force vis-à-vis d’Israël.
HO : Comment voyez-vous le mouvement de solidarité internationale aujourd’hui ?
LS : Notre victoire aux Nations Unies est aussi sa victoire.
Dans ce nouveau monde post-guerre froide marqué par les idéologies extrémistes, la primauté du droit devrait permettre d’assurer un recul de ces idéologies au profit de valeurs universelles. Il faut faire en sorte que des valeurs laïques nobles soient au fondement de la solution des conflits, une sorte d’universalité des valeurs C’est dans cet esprit que doit s’inscrire les mouvement de solidarité internationale avec le peuple palestinien mais aussi avec les acteurs du Printemps arabe en Egypte, en Syrie et en Tunisie. Ce qui ne semble pas être le cas d’Etats à l’image des Etats-Unis qui considèrent le rapport de force comme base de solution du conflit israélo-palestinien et qui veulent se débarrasser du corpus du droit alors que les mouvements de solidarité plaident la primauté du droit comme mode de résolution du conflit. C’est pour cette raison que les sociétés civiles sont aujourd’hui de véritables acteurs politiques. Elles sont à l’origine du revirement du vote belge et européen aux Nations Unies en faveur de la Palestine ! Des actions citoyennes comme le Tribunal Russell sur la Palestine participent de cette dynamique.
Entretien mené par Hocine OUAZRAF