Le transfert forcé des détenus palestiniens – pourquoi cela importe

Blog +972 | Publication 19 décembre 2015

 

Le droit international est clair sur le fait que les détenus ne doivent pas être transférés à l’extérieur d’un territoire occupé – à la fois pour permettre à leurs familles de leur rendre visite et pour prévenir le transfert forcé de population. Mais ce n’est pas tout ce qui est en jeu.

Par Gerard Horton

 

Les mineurs palestiniens détenus à l’intérieur du système militaire israélien de détention doivent être détenus dans des établissements situés en Palestine, et non pas en Israël, conformément au droit international, comme l’UNICEF l’a recommandé dans son rapport de 2013, Mineurs en détention militaire israélienne (2013).

Les derniers chiffres publiés par l’Administration pénitentiaire israélienne (IPS) indiquent que, depuis que l’UNICEF a fait cette recommandation, le pourcentage de mineurs palestiniens transférés vers des établissements pénitentiaires en Israël a en fait augmenté. Aggravant les choses, les autorités militaires ont informé l’agence de l’ONU qu’elles n’avaient aucune intention de changer de politique.

Est-ce que cela importe ?

Pour répondre à la question – est-ce important ? – il est intéressant de brièvement examiner les dispositions légales qui interdisent le transfert et comprendre pourquoi elles ont d’abord été jugées nécessaires. L’article 76 de la Quatrième Convention de Genève (la Convention – voir aussi l’article 49) interdit expressément le transfert de personnes protégées inculpées ou condamnées pour des infractions, hors du territoire occupé.

Il est inutile d’examiner si oui ou non la Convention s’applique au conflit israélo-palestinien ou le statut de la Palestine comme territoire occupé puisque ces deux questions ont été d’autorité tranchées par le Conseil de sécurité de l’ONU par des résolutions juridiquement contraignantes plaçant la question au-delà de toute contestation raisonnable.

Les articles de la Convention sont accompagnés d’un commentaire fourni par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), dont le rôle inclut le contrôle du respect de la Convention par les parties belligérantes. Le commentaire indique clairement que l’interdiction de transférer des personnes protégées hors du territoire occupé, pour une raison quelconque, découle de l’expérience de la Seconde Guerre mondiale lorsque les transferts de masse en Europe étaient monnaie courante.

Déterminés à éviter de répéter ces expériences, les auteurs de la Convention ont voté à l’unanimité en faveur de l’interdiction de la déportation ou du transfert illégaux, y compris le transfert des détenus et a désigné cette pratique comme une « violation grave » de la Convention requérant des sanctions pénales sévères comme moyen de dissuasion.

Afin d’apprécier combien, pour certains signataires de la Convention, cette pratique illégale du transfert de l’expulsion des personnes protégées était grave, les législateurs ont adopté des lois qui prévoient que toute personne qui commet ou aide, encourage ou amène la perpétration par toute autre personne d’une « infraction grave » est passible d’emprisonnement pour une durée ne dépassant pas 30 ans en cas de condamnation.

De même, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, auquel la Palestine a adhéré plus tôt cette année, énumère la déportation ou le transfert illégaux ainsi que la détention illégale de personnes protégées comme crime de guerre exigeant une lourde sanction.

Toute personne qui envisage cette question avec un esprit ouvert sera curieuse de savoir comment les autorités israéliennes justifient une politique qui a débuté en 1967 et qui affecte actuellement entre 7000 et 8000 détenus, y compris des mineurs, chaque année.

L’explication peut être trouvée dans deux décisions de la Cour suprême rendue en 1988 (cas Sejadia) et 2010 (cas Yesh Din). Dans les deux cas, la Cour a rejeté les requêtes déposées au nom des détenus sur la base de la primauté du droit interne israélien (qui autorise le transfert) sur les dispositions du droit international (qui interdit le transfert) lorsque les deux organes de droit se trouvent en contradiction directe avec l’autre – comme dans ce cas. Cependant, la position adoptée par la Cour est insoutenable au regard du droit international, en vertu de l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui stipule qu’une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’une obligation d’un traité.

 

Mais encore une fois, pourquoi toute cette affaire ?

Mettant de côté la question de savoir si cette politique rend plus difficile pour les familles palestiniennes de Cisjordanie les visites à leurs proches détenus dans des centres de détention en Israël, la question est importante car une violation de cette ampleur de la Convention et de cette durée sape la crédibilité de l’organisation juridique internationale et de ses institutions avec des implications négatives pour la primauté du droit dans la région et au-delà.

Les crimes de guerre présumés doivent soit être étudiés sans crainte ni faveur partout où ils se produisent, ou nous devons accepter le risque que l’inaction finira par détruire l’organisation juridique établie à la fin de la Seconde Guerre mondiale et abandonner toutes les leçons que nous pouvons avoir apprises de ce conflit .

Un groupe d’avocats a récemment soulevé ces préoccupations dans une lettre à diverses missions diplomatiques. Nous croyons que cette lettre mérite une réponse, car contrairement à la plupart des questions liées au conflit israélo-palestinien, celui-ci ne comporte pas de litige de fait. Il est également évident que si la politique et la loi continuent à échouer à livrer des solutions justes, les sociétés vont inévitablement chercher des réponses ailleurs.

 

Gerard Horton est avocat et co-fondateur de « Surveillance de la Cour militaire ».

Traduction : Julien Masri

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