On peut y acheter des vêtements turcs, des yaourts israéliens, des jouets ou encore du parfum à 60 € la bouteille. Suite à l’assouplissement du blocus israélien, le nouveau centre commercial de Gaza apporte un semblant de vie normale à ses habitants, mais se retrouve au cœur d’un débat sur la gravité de la situation humanitaire dans le territoire palestinien.
Sous l’œil des caméras des médias locaux, le centre commercial a été inauguré le mois dernier par Ahmed al-Kourd, ministre des Affaires sociales dans la Bande de Gaza. Il occupe le rez-de-chaussée et le premier étage d’un bâtiment existant de Gaza, reliés par un ascenseur – en panne – et des escaliers. Au rez-de-chaussée se trouvent un supermarché et un restaurant (actuellement fermé pour cause de Ramadan). L’étage comporte un magasin de jouets, plusieurs de vêtements et un autre de parfum et accessoires.
désinformation cynique “made in Tel Aviv”
Pour Israël, l’existence du centre et les produits qui y sont vendus prouve que les déclarations des organisations internationales et des Nations unies sur la souffrance des Palestiniens de Gaza et la crise humanitaire dans le territoire sont exagérées. « Cela dément clairement toutes les jérémiades sur la catastrophe humaine à Gaza », estime Yigal Palmor, porte-parole du ministre israélien des Affaires étrangères.
Dans ce même ordre d’idée, en mai, le service de presse du gouvernement israélien a même adressé un courrier électronique aux correspondants de la presse étrangère leur suggérant, pendant qu’ils couvrent « les supposées difficultés humanitaires à Gaza », de visiter la piscine olympique récemment ouverte dans le territoire, ainsi que le Roots Clubs, un restaurant de luxe, ajoutant ironiquement : « On nous a dit que le bœuf Stroganoff et la soupe à la crème d’épinards y sont hautement recommandés ». Ces méthodes de dénigrement sont largement reprises dans les blogs et sur les forums par les défenseurs de la politique israélienne.
l’amère réalité du terrain
Pour les Palestiniens, en revanche, l’ouverture du centre commercial et l’accès à des produits encore indisponibles il y a quelques semaines, ne doivent pas cacher la misère qui règne à Gaza, territoire toujours sous blocus israélien. Car la majorité des habitants de la Bande ne peuvent acheter les articles proposés dans ce centre commercial. « Les gens disent qu’il n’y a pas de problèmes puisque Gaza a de la mayonnaise et du ketchup », regrette Samir Ziara, un dentiste de 59 ans occupé à faire ses courses dans le centre. « Mais si on enferme quelqu’un dans une pièce et qu’on satisfait ses besoins de base, cela suffit-il à le rendre heureux? ».

Le directeur du centre commercial, Saladin Abou Abdou, rejette, lui, toutes les critiques et minimise le standing de l’endroit, alimenté par son propre générateur électrique et donc à l’abri des coupures d’électricité quasi-quotidiennes à Gaza. « Il n’y a aucun excès de luxe », assure-t-il. « La seule différence, c’est qu’ici on peut tout acheter en un seul endroit. Chose qu’on ne peut pas faire ailleurs » dans le territoire.
Dans les faits, l’économie de la Bande de Gaza n’a cessé de décliner depuis la victoire du Hamas en 2006. Environ 1/3 de la population active de la Bande est aujourd’hui sans emploi et 80% de la population dépend de l’aide alimentaire internationale. Si des biens de consommation courante entrent légalement, Israël empêche toujours les exportations et l’entrée de matières premières qui pourraient permettre aux usines de rouvrir.
Malgré l’assouplissement annoncé du blocus, M. Abdou affirme qu’environ 80% des produits vendus dans le centre commercial entrent à Gaza par les tunnels de contrebande creusés sous la frontière égyptienne qui assurent l’approvisionnement du territoire depuis trois ans. Oussama Saleh, 35 ans, estime que les Gazaouis n’ont jamais eu accès à autant de produits, mais souligne que peu d’entre eux ont les moyens de les acheter. Les Israéliens « allègent un peu le blocus, mais la crise ne se résume pas à ça », confie-t-il en poussant son chariot dans les rayons.
Julien Masri
D’après une dépêche AP