Près de 95 % de l’eau pompée dans la bande de Gaza est polluée et impropre à la consommation. Cet avertissement a été récemment publié par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, l’Autorité palestinienne de l’eau, le Service public de l’eau des communes côtières et les organisations d’aide internationale. Ils estiment qu’il faudra au moins 20 ans pour réhabiliter le réseau d’eau souterrain de Gaza et tout retard dans le traitement du problème conduira à une dégradation supplémentaire de la situation et pourrait donc prolonger le processus de réadaptation pour des centaines d’années. Depuis le début de son siège sur la bande de Gaza, en juin 2007, Israël a interdit l’entrée des équipements et matériels nécessaires pour améliorer la qualité de l’eau et des systèmes de traitement des eaux usées. L’interdiction a été maintenue en dépit du récent assouplissement du siège.

Les raisons de la pollution de l’eau à Gaza
La crise de l’eau dans la bande de Gaza apparue après le pompage excessif des eaux souterraines de l’aquifère de la côte. On estime que la quantité d’eau pompée annuellement dans la nappe est à peu près le double de la quantité d’eau qu’elle peut renouveler. Le pompage excessif dure depuis plusieurs décennies, à partir du moment où Israël a contrôlé la bande de Gaza, jusqu’à la période de contrôle de l’Autorité palestinienne et maintenant sous le gouvernement du Hamas. Ce pompage provoque la pénétration d’eau salée dans le réseau des eaux souterraines. En outre, le mauvais entretien des installations de traitement des eaux usées à Gaza, qui s’est aggravé après le siège et les dommages causés aux installations de traitement des eaux usées dans la ville de Gaza durant l’opération « Plomb durci », conduit à une toute nouvelle pollution de l’eau souterraine par des eaux usées ainsi qu’à une plus grande salinité. Un autre facteur de pollution vient des sites d’élimination des déchets dans la bande de Gaza, qui ne sont pas correctement gérés. Après l’opération « Plomb durci », ces sites ont reçu d’énormes quantités de déchets – plus de 600.000 tonnes – y compris de l’amiante, des déchets médicaux, les huiles et les carburants.
La consommation d’eau à Gaza
La consommation quotidienne d’eau par habitant dans la bande de Gaza est de 91 litres, légèrement supérieure à celle de Cisjordanie, où le chiffre est de 73 litres, mais inférieure au minimum de 100 litres recommandés par l’Organisation mondiale de la santé. Par comparaison, la consommation quotidienne par habitant en Israël est de 242 litres dans les zones urbaines et 211 litres dans les zones rurales.

Ampleur de la pollution
Le directeur du contrôle de la qualité au Service publique de l’eau des municipalités côtières de Gaza, l’ingénieur Majed Ghanem, a déclaré à B’Tselem que l’examen effectué à la fin 2009 dans 180 puits ont révélé que, dans 93 % d’entre eux, le niveau de chlorure (qui indique la salinité de l’eau) est de 1.000 à 2.000 mg / litre, quatre à huit fois plus élevé que les 250 mg / litre recommandés par l’OMS. L’eau avec un tel niveau de chlorure est impropre à la consommation. Selon Ghanem, la pollution affecte également la couleur de l’eau et est la cause de sa mauvaise odeur.
En outre, un examen effectué par le Programme des Nations Unies pour l’environnement sur un certain nombre de puits dans la bande de Gaza a révélé que la concentration de nitrates était six fois plus élevée que le niveau de 50 mg recommandé par l’OMS. Ce niveau élevé de nitrates peut provoquer de l’anémie chez les enfants et la méthémoglobinémie (syndrome des bébés bleus) chez les nourrissons, ce qui est susceptible de conduire à l’étouffement et la mort. Une étude publiée en 2007, dans laquelle un échantillon de 340 enfants de Gaza ont été examinés, a révélé que près de la moitié d’entre eux souffraient des symptômes inquiétants de ce syndrome.
L’Autorité palestinienne de l’eau estime que près de 40 % de l’incidence des maladies dans la bande de Gaza sont liés à l’eau potable polluée. Selon les organisations humanitaires internationales, 20 % des familles de Gaza ont au moins un enfant de moins de cinq ans qui souffre de diarrhée à cause de l’eau polluée. Une étude de l’ONU publiée en 2009 estime que la diarrhée est la cause de 12 % des décès d’enfants dans la bande de Gaza. Le manque d’eau potable est susceptible de causer une malnutrition chez les enfants et nuire à leur développement physique et cognitif.
La pollution de l’eau affecte aussi la production agricole de la région. Selon Ghanem, le lait donné par les vaches dans la bande de Gaza est pollué et les cultures agricoles qui caractérisaient autrefois la région, comme les oranges, ont diminué en quantité et en qualité.

Effets du siège et de l’opération Plomb Durci
Depuis le début du siège, Israël a interdit l’entrée des équipements et des matériaux qui peuvent être utilisés pour améliorer la qualité de l’eau et son goût ou de développer et de réhabiliter les infrastructures d’eau et les installations de traitement des eaux usées à Gaza. L’interdiction est restée en vigueur même après le récent assouplissement des restrictions et malgré la décision du Conseil des ministres d’autoriser l’entrée de matériaux de construction pour des projets qui ont été approuvés par l’Autorité palestinienne et sont supervisés par des organisations internationales. Les équipements nécessaires comprennent des pompes à eau, tuyaux, des générateurs, des ordinateurs, du ciment et du chlorure. Israël considère ces matériaux comme des biens à double usage susceptibles d’être utilisés à des fins militaires et interdit donc leur entrée.
Le Service public de l’eau des communes côtières de Gaza demande actuellement 1.250 tonnes de ciment uniquement pour la reconstruction des réservoirs d’eau. Le passage de Sufa, entre Gaza et Israël, qui sert, entre autres choses, au transfert de matériaux de construction, est fermé depuis mars 2009. Le règlement des organisations internationales leur interdit d’acheter, pour les projets de réhabilitation, du ciment de contrebande entré dans Gaza par des tunnels.
Le manque de matériaux de construction et de pièces de rechange a également conduit à une plus grande perte d’eau du réseau d’approvisionnement de Gaza. Avant le siège, la perte était de 30 % de la quantité d’eau fournie aux consommateurs, causée généralement par les fuites dans les tuyaux. En 2009, la perte atteignait 47 %, selon les chiffres du Service public de l’eau des communes côtières.
La centrale électrique de la bande de Gaza a partiellement fonctionné depuis qu’Israël l’a bombardée en juin 2006. Il y a aussi une pénurie de combustible industriel nécessaire pour faire fonctionner la centrale, à la suite des différends qui ont surgi entre l’Autorité palestinienne et le Hamas regardant son financement, ce qui a entraîné des pannes de courant fréquentes. Les pannes ont empêché les installations de traitement des eaux usées de terminer le cycle de traitement de 14 jours et ont aussi diminué la fréquence d’approvisionnement en eau des foyers. Selon les chiffres de l’ONU, l’eau est fournie aux foyers dans la ville de Gaza pendant quatre à six heures une fois tous les cinq jours, et dans le reste de la bande de Gaza pendant quatre à six heures une fois tous les trois jours. En raison de la faible pression, l’eau n’atteint pas les étages supérieurs des grands immeubles.

Lors de l’opération « Plomb durci », Israël a endommagé les installations de traitement des eaux usées de la ville de Gaza, ces eaux usées non traitées menant à l’inondation des vastes terrains agricoles. Selon le Service public de l’eau des communes côtières, 30 kilomètres de conduites d’eau, 11 puits, des réservoirs d’eau et 6.000 la maison ont été endommagées pendant l’opération et l’ensemble des dommages concernant l’eau et les installations de traitement des eaux usées s’élève à 4,65 millions d’euros.
La plupart des eaux usées de Gaza coule maintenant dans la mer Méditerranée, parfois des eaux usées brutes et parfois après un traitement partiel. Les organisations internationales ont conclu que la portion de côte près de laquelle les eaux usées s’écoulent est polluée et impropre à la baignade. Un traitement des eaux usées adéquat aurait permis l’utilisation des eaux usées traitées à des fins agricoles et la réduction du pompage des eaux souterraines.
Effet de la situation économique sur la consommation d’eau
En raison de la mauvaise qualité des eaux, de nombreux habitants de Gaza sont obligés d’acheter de l’eau traitée dans des installations exploitées par des entrepreneurs locaux ou d’utiliser des appareils de dessalement domestiques. La qualité de l’eau fournie de cette façon n’est pas contrôlée et le manque de pièces de rechange ou d’alimentation électrique régulière leur cause aussi beaucoup de tort.
Comme le traitement de l’eau contre des polluants tels que les nitrates et les chlorures est très coûteux, le coût du mètre cube d’eau traitée s’élève à 50 shekels (environ 10,37€ en août 2010), 10 fois plus élevé que le prix payé par les ménages en Israël. Beaucoup de Gazaouis ne peuvent se permettre ce luxe : le taux de chômage à Gaza a atteint 39 % en 2009 et la pauvreté en 2007 était de 43 %. En 2007, les dépenses d’une famille moyenne à Gaza s’élevait à un peu plus de 2.000 shekels par mois (349€ en novembre 2007).
Recommandations du Programme des Nations Unies pour l’Environnement
Pour éviter l’effondrement de l’économie de l’eau de Gaza, le programme des Nations Unies pour l’environnement a recommandé, il y a un an, que le pompage de l’eau de l’aquifère de la côte de Gaza cesse. Le Programme a également suggéré qu’Israël et l’Egypte, pays qui partagent l’eau de l’aquifère, formulent un plan d’action commun – comprenant d’autres sources d’approvisionnement en eau, entre autre des installations de dessalement – pour faire face à la crise de l’eau à Gaza. Le programme a également recommandé qu’une enquête épidémiologique soit menée pour étudier les effets de la consommation d’eau polluée par la population de Gaza, en particulier par les enfants.
Pour faire face à la grave crise de l’eau dans la bande de Gaza, Israël doit immédiatement permettre l’entrée des matériels et des équipements nécessaires pour restaurer et développer les conduites d’eau et le traitement des eaux usées. De plus, toutes les parties – Israël, l’Autorité palestinienne, le gouvernement du Hamas, et l’Egypte – doivent prendre des mesures pour arrêter la détérioration rapide de l’état du réseau souterrain d’eau de l’aquifère côtier, qui dessert les résidents de la bande de Gaza, et trouver d’autres sources d’eau potable pour ces résidents. En outre, Israël doit prendre des mesures pour assurer une répartition juste et équitable des ressources en eau partagées par Israël et les Palestiniens.
23 août 2010
traduction : Julien Masri