La coopération scientifique entre l’Union européenne et Israël

Bulletin 50, décembre 2011

La coopération en matière de recherche et développement entre l’UE et Israël ne constitue qu’une des facettes de leur relation contractuelle, mais non des moindres. Elle a été initiée dans les années 80, et, répondant à un intérêt mutuel, elle a été renforcée les années qui suivent. Néanmoins, la participation de certaines entités israéliennes, qu’il s’agisse d’universités, centres de recherche ou entreprises, au programme de recherche européen soulève des questions éthiques sérieuses dans la mesure où ces entités, ou les projets qu’elles développent, et qui sont subventionnés par des fonds publics, participent directement ou indirectement aux violations du droit international dans les territoires palestiniens occupés. Au niveau belge, la coopération académique interpelle particulièrement.

Le cadre institutionnel

La coopération scientifique et technologique contractuelle entre l’Union européenne et Israël remonte à 1983. Elle s’inscrit alors dans le cadre de l’accord de coopération signé en 1975. C’est en 1996 que le premier accord bilatéral est conclu, seulement quelques mois après la signature de l’Accord d’association (1995), qui n’entrera pourtant en vigueur qu’en 2000. Il s’agit de l‘Accord de Coopération scientifique et technique entre la Communauté européenne et l’État d’Israël. Il permet  aux centres de  recherche, universités et entreprises israéliennes de participer à tous les programmes non nucléaires du Quatrième programme-cadre pour la recherche (1994-1998)  de  la  Communauté européenne. Pour la première fois, l’UE associe pleinement un Etat non européen à ses activités de recherche. Israël participe ensuite aux 5e, 6e et 7e programmes-cadres (PC). Ce dernier a été renouvelé le 16 juillet 2007.

Israël est considéré comme un pays « associé »,  ce qui signifie que les entités juridiques établies en Israël sont éligibles au PC aux mêmes conditions que celles établies dans les États membres. Des représentants d’Israël prennent part en qualité d’observateurs aux comités du 7e PC sans pour autant être autorisés à participer aux votes.

Israël paie une contribution au PC. Néanmoins, ce ne sont pas tant les avantages financiers qui sont recherchés mais bien la porte d’entrée que la participation d’Israël lui offre sur les marchés et les milieux de recherche européens et la plus-value tirée de la coopération au sein des consortiums.

Partenaire privilégié : l’intérêt européen

Israël participe donc au programme de recherche européen sur pied d’égalité avec les 27 Etats membres. Si ce n’est pas le seul Etat non membre à être « associé », c’est le seul situé en dehors de l’espace européen à s’être vu offrir ce privilège. L’intérêt de l’UE à poursuivre et à renforcer la coopération scientifique avec Israël est évident: les institutions de recherche israéliennes sont considérées comme étant parmi les plus novatrices ; le ratio d’ingénieurs et le nombre de brevets déposés sont parmi les plus élevés au monde ; le nombre de start-up par habitant est nettement au-dessus de la moyenne européenne.

Pour expliquer les performances en termes d’innovation d’Israël, on peut mettre en évidence :

–          La part du PIB allouée par le pays à la recherche et au développement (R&D). Les dépenses intérieures brutes (publiques et privées) de R&D en matière civile se montent à près de 5% du PIB, contre 2% en Belgique (données de l’OCDE), ce qui fait d’Israël le pays membre de l’OCDE qui investit le plus en la matière.

–          Les besoins induits par les guerres et opérations armées. La guerre du Kippour (1973) a par exemple marqué un tournant dans le développement des hautes technologies. Le renseignement israélien, pris de court, a alors réévalué ses besoins techniques et a investi massivement dans le renseignement électronique.

Ce qui a pour résultat que, dans les pays « associés » non membres de l’UE, Israël est celui qui a reçu le plus de subventions (en montants par habitant) et qui coordonne le plus de projets dans le cadre du 7e PC. De plus, depuis 2007, une partie du PC est dédiée à la recherche en matière de sécurité et cible plus spécifiquement les industries de défense. Israël est particulièrement performant dans ce domaine : au 1er novembre 2011, les entités de recherche israéliennes participaient à 23 projets sur 131 (Cordis.europa.eu).

L’éthique et le respect des droits de l’Homme

Les accords de coopération scientifique posent trois problèmes majeurs. Premièrement, celui d’entretenir des relations normalisées avec l’Etat d’Israël et ce, malgré sa politique à l’égard du peuple palestinien depuis plus de 60 ans. Ensuite, de subventionner des entreprises et centres de recherche qui sont responsables, directement ou indirectement, de violations du droit international. Finalement, de soutenir des projets qui permettent à ces entreprises  et universités de développer ou d’améliorer des technologies qui sont ensuite utilisées à des fins d’oppression du peuple palestinien.

Le premier point ayant été traité à de nombreuses reprises dans ce périodique, nous ne traiterons que des deux derniers au travers d’exemples.

Ahava

Ahava est une entreprise israélienne de cosmétiques spécialisée dans les produits à base de boues de la mer Morte. Depuis 1998, Ahava a reçu des subventions de l’UE pour un montant d’un million d’euros (Réponse à la question parlementaire 6190/2011). Si son siège social est situé en Israël, ses projets de recherche sont mis en œuvre dans la colonie israélienne de Mitzpe Shalem, en Cisjordanie occupée, où se trouvent ses usines et ses laboratoires et ce, en violation de la Quatrième convention de Genève. Non contente de subventionner une entreprise qui exploite les ressources palestiniennes, l’UE participe au développement économique des colonies et assiste donc Israël dans la pérennisation d’une situation illégale.

Israel Aerospace Industries (IAI)

IAI est une entreprise israélienne leader sur le marché de la technologie aéronautique militaire et commerciale qui collabore étroitement avec l’armée israélienne. IAI participe à 18 projets financés par le 7e PC et notamment au projet OPARUS, initié en 2010, qui bénéficie d’une subvention de 11,9 millions d’euros pour le développement de drones (avions sans pilote). Le but du projet est de développer une architecture de surveillance destinée à améliorer la sécurité aux frontières de l’Europe. Selon Human Rights Watch, les drones armés fabriqués par IAI (les « Herons ») ont été utilisés par Israël dans l’opération Plomb Durci, au cours de laquelle 1.400 Palestiniens, majoritairement des civils, ont été tués. Par ailleurs, IAI fabrique des systèmes de surveillance qui sont intégrés à la structure du mur de séparation dont le tracé a été déclaré illégal par la Cour internationale de Justice. L’entreprise est également associée au partenariat public-privé Clean Sky, dont le but est d’améliorer les performances environnementales de l’industrie aéronautique, via la réduction du bruit des avions. Ce partenariat autorise IAI à breveter les technologies développées sous couvert environnemental, alors que les  implications militaires potentielles sont évidentes.

Elbit System

Elbit est la plus importante société d’armement israélienne. Ses drones ont également servi pendant l’opération Plomb Durci. Elbit a participé à 4 projets de recherche européens depuis 2008, parmi lesquels le projet TASS, dont le but est de développer des équipements de surveillance et de monitoring dans les aéroports. Cette même technologie est utilisée par l’armée israélienne dans les check-points et pour détecter les mouvements aux alentours du mur de séparation. Cette implication lui a valu d’être exclu par la Norvège d’un de ses fonds de pension.

Que répond l’UE à ces critiques?

L’UE a été interpelée sur ces différents cas. Pour Ahava, la Commission européenne soutient qu’elle « n’a connaissance d’aucune disposition du droit de l’UE lui interdisant de financer des activités menées au titre du 7e PC dans les colonies israéliennes établies dans les territoires occupés ». En clair, les règles de participation actuellement en vigueur obligent le bénéficiaire à être établi en Israël mais pas à circonscrire ses activités à son lieu d’établissement…

Quant à Elbit et IAI, l’UE renvoie à l’article 6 du 7e PC. Celui-ci prévoit que « toutes les actions de recherche menées au titre du 7e PC sont réalisées dans le respect des principes éthiques fondamentaux» à savoir, entre autres, la règle de droit et des droits de l’Homme. Par ailleurs, l’UE se réfère aux procédures qu’elle a mises en place afin de s’assurer que les projets soutenus (et non les entreprises) respectent les principes éthiques et qu’ils n’ont pas d’application militaire potentielle. Pourtant, ces procédures n’ont pas empêché le financement des projets mentionnés plus haut. C’est là tout l’enjeu du prochain programme-cadre (Horizon 2020), qui est en discussion actuellement à la Commission et au Parlement européens. Il convient d’interpeller les instances européennes et notre gouvernement sur les deux questions suivantes :

–          certains projets subsidiés ont, contrairement à ce que prétend la Commission, une application militaire potentielle ;

–          les entités qui mènent à bien ces projets, si elles ne respectent pas les droits de l’Homme et le droit international, ne doivent plus pouvoir bénéficier de fonds publics européens.

Et ce, afin que les procédures qui existent soit reformulées et renforcées.

La  coopération universitaire : l’exemple de l’ULB et de Technion

La coopération scientifique passe aussi par la coopération universitaire. L’ULB coopère avec  trois universités israéliennes dans le cadre de six projets de recherche. Il s’agit de l’Institut Weizmann, de l’Université de Tel Aviv et de l’Institut Technion. Sans entrer dans un débat sur le bien-fondé du boycott académique ou sur les applications potentielles des projets développés, la simple présentation des universités israéliennes suffit à mettre en évidence les problèmes éthiques graves posés par ces coopérations.

Prenons l’Institut Technion. 70% des ingénieurs israéliens sont issus de cette université spécialisée dans les sciences appliquées et l’informatique. Selon son site web, 80% des entreprises israéliennes cotées au NASDAQ ont à leur tête un ancien élève de Technion ce qui donne une idée de son importance pour l’économie israélienne. Sa création, qui remonte à 1924, a été décidée en 1901 lors du 5ème congrès sioniste. Il s’agissait alors de « former des ingénieurs ayant pour mission d’élaborer les infrastructures du futur Etat juif » (001 Business & Technologies N°2095).  Plus grand centre de recherche appliquée du pays, elle sert de creuset à l’armée israélienne qui y puise ses spécialistes et qui développe, en collaboration avec l’Institut, sa technologie militaire. Elle a également créé, aux mêmes fins, un centre de recherche avec Elbit System. De là sont nés, par exemple, le bulldozer télécommandé D9, une technique de détection de souterrains, et les drones cités plus haut. En plus de sa collusion évidente avec l’armée, Technion octroie un traitement préférentiel aux soldats (notamment en leur réservant des bourses), ce qui par ailleurs discrimine de facto les étudiants palestiniens qui, eux, ne font pas l’armée. Les étudiants réservistes qui ont participé à l’opération Plomb Durci se sont vus attribuer des avantages supplémentaires, comme un bonus financier. Certaines formations que suivent des étudiants à l’armée leur sont créditées au titre de cours. Il arrive que l’armée paie directement à l’Université les frais universitaires en échange de quoi les étudiants, une fois diplômés, travaillent pour l’armée. Enfin, des programmes permettent aux étudiants qui s’engagent à étudier dans certains domaines spécifiques de postposer leur entrée à l’armée.

Comment agir ?

L’UE finance des entreprises et des instituts de recherche israéliens qui sont responsables de violations des droits de l’Homme et du droit international dans les territoires occupés. Elle met à leur disposition des consortiums qui leur permettent de développer des technologies avec lesquelles ces violations sont commises. Cette assistance, qui engage sa propre responsabilité, est payée à coup de fonds publics, qui sont versés au titre de participation au 7e PC par les Etats membres et donc aussi par la Belgique.  Nous, société civile belge, avons donc un rôle primordial à jouer : celui d’interpeller nos ministres, fédéraux (Affaires étrangères, Politique scientifique) et communautaires (Recherche et Enseignement supérieur) ainsi que les autorités académiques de nos universités publiques avec un message clair : nous refusons que notre argent soit utilisé pour permettre à Israël de développer des technologies grâce auxquelles il opprime et tue des Palestiniens et pille leurs ressources.

Katarzyna Lemanska

Coordination Européenne des Comités et Associations pour la Palestine.


Cet article se focalise sur la recherche civile, la recherche militaire n’entrant pas dans le cadre du programme de recherche de l’UE

Les autres pays « associés » non-membres de l’UE sont : la Suisse, la Norvège, l’Islande, le Lichtenstein, la Turquie, l’ancienne république yougoslave de Macédoine, la Serbie, l’Albanie, le Monténégro, la Bosnie-et-Herzégovine et la Moldavie

L’ULB n’est pas la seule université à collaborer avec des universités israéliennes. La VUB participe à 7 projets de recherche, la KUL à 27, l’Université de Mons à 2, l’ULG à 6, l’UCL à 8, les Facultés Notre-Dame de la Paix à 5, … (Cordis.europa.eu)

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