par Majed Bamya
Comme beaucoup de Palestiniens autour de la planète, j’ai passé les dernières semaines à suivre les soulèvements dans le monde arabe à la télé, submergé d’espoir, d’enthousiasme, de conviction… et de frustration. J’ai grandi avec la conviction profonde que notre lutte pour la liberté n’était pas seulement une question de territoire. Nous combattions pour garantir qu’un certain nombre de valeurs humaines fondamentales prévalent. Nous combattions pour la justice, une véritable démocratie, la dignité. Dans notre quête, notre but était de libérer la Palestine de l’occupation, mais aussi de lui permettre de reconstruire les liens avec son essence : le pluralisme, l’humanité, la tolérance. Nous combattions contre le sionisme, une idéologie qui mène à l’exclusivisme et à l’exclusion, qui propage la négation et la destruction, les discriminations et l’apartheid. Et nous pensions qu’en nous battant pour le pluralisme en Palestine, et qu’en acceptant le pluralisme au sein du mouvement national, nous semions les graines de la démocratie dans toute notre région. Nous étions des démocrates sans État, et nous avions un message à transmettre.
Je suis un Palestinien… et je n’ai rien d’autre à dire
Mais les années passant, et notre maison, l’OLP, étant négligée et affaiblie par les divisions et la compétition, notre pluralisme ne fut plus une force, car nous étions incapables de dialoguer avec respect et de parler d’une seule voix. Nous avons douté des intentions et des programmes les uns des autres, nous avons critiqué les martyrs et les héros les uns des autres. Nous avons oublié notre drapeau commun et chacun a combattu pour sa propre couleur. Et de la démocratie, nous avons glissé vers la division interne. Après la Nakba et la Naska et la résurrection palestinienne. Après des années de lutte, après la Jordanie, le Liban et deux Intifadas. Après avoir imposé la cause palestinienne dans le monde entier. Après avoir perdu tant de nos dirigeants historiques et tant de nos résistants. Nous nous sommes trahis. Nous avons cessé de croire. Nous avons perdu foi en notre propre capacité à faire des miracles.
Tandis que je regarde ces révolutions si proches de nous, et pourtant si éloignées de nous, je ne puis que me demander, comment en sommes-nous arrivés à être les observateurs d’une histoire dont nous étions l’avant-garde. Le peuple palestinien s’est battu si longtemps et a fait tant de sacrifices qu’il est normal de ressentir de la fatigue et du désespoir. C’est arrivé par le passé et nous avons toujours vaincu. Nous avons disparu de la géographie et nous étions au bord d’être effacés de l’histoire. Et contre toute attente, nous avons construit un mouvement national qui a modifié toutes les équations passées.
Mais cette fois, c’est différent. Les gens continuent de se battre tous les jours pour leur dignité, leurs espoirs et leurs rêves, ils continuent de manifester contre le mur ; à Jérusalem, leur lutte pour leurs maisons est une lutte pour la présence palestinienne, et les Palestiniens restent en Palestine malgré le siège à Gaza et les activités de colonisation et le harcèlement des colons en Cisjordanie. Et les Palestiniens en Israël continuent de se battre contre les discriminations. Et les réfugiés continuent de nourrir leur identité palestinienne, même quand les organes politiques semblent les avoir oubliés. Mais où est notre espoir collectif ?
« Es-tu Gazaoui ou Cisjordanien, Jérusalémite ou Israélo-Palestinien, es-tu réfugié ou pas, es-tu… ? » Je suis un Palestinien de Jaffa, mes parents étaient des réfugiés palestiniens au Liban, un pays qu’ils ont quitté après l’invasion israélienne de 1982. Après 1948, certains membres de ma famille sont allés à Gaza, d’autres en Cisjordanie, d’autres en exil. Je suis né en exil et j’ai grandi à Ramallah, et j’ai fait mes études à Jérusalem. J’ai vécu ces dernières années en Europe. C’est une histoire palestinienne typique. Elle montre que notre identité est liée à notre cause, pas à la géographie.
Je suis un Palestinien. Des mots simples qui doivent être incarnés. Nous avons toujours ça en nous. L’espoir, la volonté de lutter une fois encore malgré des décennies de sacrifices, la capacité de surmonter nos divisions et de refaçonner notre unité. Mais pour que tout ceci soit possible, nous avons besoin de faire ce que d’autres ont fait en Tunisie et en Égypte et ailleurs dans le monde. Affronter nos peurs, choisir nos luttes et donner du pouvoir au peuple. Nous devons le faire maintenant, tandis que les roues de l’histoire tournent, et au lieu d’être sur le véhicule, nous sommes dessous !
Il y a des idées, des expériences et des exemples de la résistance palestinienne dans le monde entier. Il y a tellement à apprendre des autres peuples qui se sont levé pour défendre leurs droits. Les dirigeants politiques devraient cesser de penser que les populations ne peuvent pas comprendre, ou qu’elles sont par définition déraisonnables. Une population qui est impliquée dans la prise de décision comprend les compromis, et l’efficacité, et l’approche stratégique. Une population qui n’est pas impliquée dans la prise de décision se tourne vers les idéologies et les simplifications. Voyez combien les révolutions en Tunisie et en Égypte furent raisonnables. En dépit des difficultés passées et futures, et les périodes transitoires incertaines, les gens de ces pays continuent de faire tout leur possible pour préserver l’équilibre fragile d’une révolution qui cherche l’espoir et pas le chaos. Et alors qu’ils rendaient possible l’impossible, ils étaient prêts à faire des compromis sur les outils, pas sur les objectifs.
La question principale maintenant est de comment changer l’équilibre du pouvoir sur le terrain, comment affronter cette occupation et l’injustice qu’on nous a imposée il y a six décennies ? Le premier élément de toute équation est de restaurer notre unité, non pas fondée sur des discours creux ou des slogans, mais sur une compréhension profonde de notre appartenance commune, le respect du pluralisme palestinien, le respect des droits de l’homme, et travailler vers une démocratie authentique où le pouvoir ne peut être ni saisi ni détourné, et où tous les organes politiques rendent des comptes au peuple, de façon régulière. Les Palestiniens veulent être totalement impliqués dans le processus de prise de décision. Parce qu’ils ont fait d’énormes sacrifices dans leur recherche de liberté, ils ne peuvent tolérer que cette liberté soit réduite par des gens qui sont supposés les représenter, eux et leur combat. L’unité est un sujet trop sérieux pour qu’il soit laissé à des partis politiques qui en discutent en coulisses, et selon des programmes non déclarés, ou centrés sur le partage du pouvoir. L’unité et la démocratie ne peuvent être confiées qu’aux peuples, ils doivent les rechercher et les protéger, car ce sont les conditions primordiales du succès de toute lutte pour la justice, et tout débat sur ces questions et toutes les décisions doivent être entrepris avec l’implication totale du peuple.
En Palestine et à l’étranger, il est temps que les peuples agissent et personne ne pourra les arrêter. Un pouvoir qui craint son propre peuple ne mérite pas de durer et c’est quelque chose que toutes les entités politiques et tous les États devraient comprendre. Nous sommes prêts, une fois encore, à nous lever contre l’occupation israélienne, sous ses différentes formes : le siège, les colonies, l’exil, les checkpoints, les démolitions des maisons, les discriminations. Nous sommes prêts, une fois encore, à nous battre pour protéger notre cause, à être fidèles à notre passé, et à préparer la route pour un autre futur. Nous sommes prêts… et nous attendons un signal pour aller au-delà d’un destin, d’une terre et d’une résistance fragmentés, et pour lancer une lutte commune pour la liberté ! Mais à regarder de près, je pense que j’ai vu un signal.
Je regarde ma télévision et je vois des foules de gens dans les rues, chantant et manifestant pacifiquement. Ils ont quelques slogans, beaucoup d’humour et une volonté imbrisable. Ils brandissent un drapeau et une cause, malgré leurs différences. Ils défient leur peur et surmontent leurs divisions pour s’assurer que la liberté l’emporte. En quelques semaines, ils ont fait ce que personne d’autre n’a été capable de faire pendant des décennies. Ils n’ont pas attendu des réformes, ou des partis politiques, ou des syndicats ou des ONG pour lancer directement le jeu. Les gens sont descendus dans les rues, et ils savaient que tout le monde devraient les suivre.
Je n’ai rien d’autre à dire… et il nous reste tellement à faire !