J’ai vu…

Bulletin 45

J’ai vu le Mur séparer un village palestinien en deux. Séparer les familles. Séparer des êtres humains d’autres êtres humains. InterdiAction d’aller voir sa tante de l’autre côté puisque les papiers ne sont plus adéquats. J’ai vu l’accès à une route bloqué par quelques tonnes de béton, juste comme ça, pour fermer, enfermer. J’ai vu la maison sur les hauteurs de Jérusalem d’où a été expulsée une famille palestinienne de 38 personnes il y a un an. Des colons ont pris leur place, et se passent la maison à tour de rôle régulièrement entre familles de colons. J’ai vu et compris le projet de judaïsation de Jérusalem. J’ai rencontré S., cette femme qui cache aux autorités israéliennes qu’elle habite à Beit Sahour (commune de Bethléem) avec sonA mari. Elle vit dans une sorte de clandestinité, dans son propre pays, pour pouvoir garder sa carte de résidente de Jérusalem. Pour elle et pour l’avenir de son fils de un an. Elle m’apprend aussi que quand les Israéliens retirent la carte de résident de Jérusalem, l’Autorité palestinienne ne peut lui donner de nouveaux papiers. C’est une forme de résistance de rester à Jérusalem à tout prix et de ne pas céder aux pressions et expulsions des Israéliens.

J’ai appris que l’Autorité palestinienne a fermé les bureaux du Hamas à Ramallah et interdit tout autre parti (que le Fatah) à Ramallah. J’ai entendu une jeune Palestinienne me dire que bientôt son pays deviendra un régime répressif comme ceux des autres pays arabes de la région.

J’ai vu de (jeunes) soldats israéliens faire le guet devant l’ « hospice autrichien » de la vieille ville dès la tombée de la nuit “parce que parfois il y a des fights entre des musulmans et des juifs dans ce quartier.”

A Tel Aviv, après m’avoir demandé mes origines, j’ai entendu un facteur israélien me dire “don’t go to Marocco, because turkish fish, because Muslims”. Cet émigrant frais émoulu sorti de je ne sais où n’était pas au courant qu’une grande partie de la communauté juive israélienne vient du Maroc.

J’ai entendu à Liège dans la file des contrôles un gamin belge demander à son père avec stupéfaction “Papa, y‘a des Arabes qui vont en Israël?”.

A Beit Sahour, j’ai assisté au dernier jour d’un camp d’été pour jeunes. Quelques-uns d’entre eux ont défilé devant le micro pour exprimer leurs excuses à propos d’erreurs commises durant le camp. Ce mouvement d’excuses a été lancé par Mohaned, un des responsables du camp, qui tient à inculquer la loyauté et le respect à ces jeunes. J’ai vu un des chefs responsables de ce camp avec un mégaphone et une énorme moustache qui dépasse sur ses lèvres, sans barbe, mais beaucoup d’autorité.

Au check point de Qalandia j’ai vu le mépris d’une jeune soldate vérifiant les passeports des passagers du bus palestinien. Son mépris était plus effrayant que sa mitraillette.

J’ai vu les nouvelles fresques sur le Mur, à l’effigie de Yasser Arafat et de Marwan Bargouti, sorte d’homme-espoir gardé précieusement sous les verrous israéliens. Dans le désert de Judée je suis passée devant une des plus grandes prisons israéliennes. J’ai imaginé la fournaise intérieure. A Nazareth j’ai vu un pigeon prenant son pied à picorer dans un énorme sac de jute à l’entrée d’un magasin. Dans cette ville j’ai entendu “Welcome to Israel. Buy a card with the church.” Là-bas dans le souk j’ai entendu les Palestiniens parler hébreu les uns avec les autres.

J’ai entendu des dizaines de “we are not allowed to”, mais j’ai aussi entendu des dizaines de “Welcome to Palestine”. Le sourire dans les yeux. Particulièrement à Hébron, le sourire et les welcome et un peu l’étonnement des gens de voir débarquer deux jeunes filles non fondues dans un groupe.

A la fameuse question -un peu tabou- sur la relation et/ou différence entre le Fatah et le Hamas, j’ai entendu un Palestinien nous répondre que les deux partis veulent le pouvoir, et le conserver une fois qu’ils l’ont obtenu, et continuer à faire du business et de l’argent.

J’ai aussi entendu Antar me dire “nothing changes”.

J’ai vu des gamins répéter la danse traditionnelle palestinienne dans un centre de jeunes au camp de réfugiés de Al-Azzeh (près de Bethléem). J’ai vu la fierté dans leurs yeux et leurs corps. Moins de deux kilomètres carré mais un centre culturel. Au premier étage, un Italien construit un jeu pour la journée des jeux de rue du samedi. Dans le salon de Mohaned qui nous invite à manger puisqu’on arrive à l’heure du repas, une jeune suédoise dans le fauteuil. Les yeux de la maman de Mohaned sont sublimes. La fierté de cette femme de nous apprendre que sa fille étudie à Londres. La douceur de ces gens, la douceur de Mohaned qui nous confiera plus tard qu’il n’est qu’un bad boy, et qu’il ne se mariera jamais. Pour pouvoir garder sa liberté. Et parce qu’il se dispute tout le temps avec ses petites amies.C’est en prison qu’il a rencontré Ahmed. C’est en prison qu’Ahmed a fait ce portrait du Che avec des cailloux, et qui trône à présent dans son bureau de l’AIC (Alternative Information Center) à Beit Sahour.

J’ai compris que dans la situation géographique actuelle, avec le Mur et les colonies partout, accepter 22% de la Palestine historique n’est pas possible pour la création d’un Etat.

J’ai donc compris la croyance en un (seul) Etat. Un Etat normal, comme les autres pays du monde. Un Etat, deux administrations? Les détails on voit après. J’ai compris le droit inaliénable du retour des réfugiés. Laisser le droit.
J’ai vu des soldats à presque tous les coins de rue dans la vieille ville de Hébron.

Dans les hauteurs de cette ville, j’ai vu Micha, un jeune Israélien qui se bat pour les droits des Palestiniens. Il n’a pas fait l’armée. Je n’ai pas eu de détails sur les tenants et aboutissants de son refus de servir. Il habite dans une maison d’où une famille palestinienne a été expulsée. Il rénove le toit et la maison et est présent pour protéger les Palestiniens qui y revivront. Etaient présents dans cette maison quelques Israéliens comme lui et beaucoup d’internationaux. J’ai vu la police israélienne lui demander de partir. J’ai assisté à une très longue discussion-négociation entre la police et Micha en hébreux, puis en russe entre un Palestinien et un des deux policiers. Ce palestinien parlait couramment le russe, appris à l’université. Une famille de colons (ceux qui avaient appelé la police) nous a filmés. J’ai éprouvé une certaine frayeur quand j’ai vu apparaître les soldats de derrière les buissons, à quelques mètres de nous, leurs mitraillettes en joue.

Au check point de Bethléem j’ai vu les Palestiniens montrer leurs empreintes digitales simultanément que leur passeport.

J’ai appris par une militante israélienne que “grâce” aux systèmes hi-tech de surveillance du Mur (financés par des compagnies étrangères), une jeune soldate peut être assise dans son salon à Tel Aviv, devant son ordinateur, avec un joystick, voir si quelqu’un s’approche du Mur, et tirer. Cette abomination “grâce” à un mouvement féministe de l’armée (!). J’ai appris par cette même militante que le soir même de l’attaque de la flottille humanitaire pour Gaza il y a eu une manifestation israélienne de contestation au port d’Ashkelon et que ce rassemblement n’a pas été relayé dans les médias israéliens. Et que la plupart des Israéliens pensent que l’armée s’est défendue contre des terroristes turcs qui transportaient des armes.

J’ai vu l’Occupation, le Mur, les soldats; j’ai compris l’humiliation quotidienne des Palestiniens. J’ai compris la colonisation. Une nouvelle colonie engendre une nouvelle route pour les colons engendre une nouvelle interdiction pour les Palestiniens. Engendre un morceau de terre en moins.

Durant ces quelques jours en Palestine, j’ai été choquée, écœurée, et en colère. Parce que je n’ai pas tout à fait compris pourquoi la société israélienne laisse son Etat occuper un pays, avec toutes les –affreuses- conséquences que cette occupation amène. Je ne comprends pas pourquoi des êtres humains imposent une telle situation à d’autres êtres humains. A mon retour, j’ai eu droit aux questions de la sécurité israélienne à l’aéroport. Ces jeunes et jolies filles ne m’ont pas demandé où j’avais été. Ayant de la famille en Israël, elles se sont acharnées à vérifier mon niveau de judaïté. Ecœurement final.

Deborah Rouach

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