« Ne financez pas la colonisation ! » L’appel des ONG belges

Si vous n’adhérez pas à l’occupation israélienne et aux violations massives des droits humains qui l’accompagnent, n’y participez pas financièrement. Voilà en substance le message qu’entend faire passer le projet Don’t buy into occupation (DBIO) porté par une coalition de 17 organisations parmi lesquelles le CNCD-11.11.11 et son homologue flamand 11.11.11.

Par Nathalie Janne d’Othée

En publiant des rapports annuels sur les entreprises impliquées dans la colonisation israélienne ainsi que leurs relations financières avec les institutions financières (IFs) européennes, l’objectif de la coalition est de faire comprendre à ces dernières que leurs investissements dans les colonies israéliennes les impliquent dans les violations israéliennes du droit international. Publié le 13 septembre 2021, le premier rapport a ainsi identifié 137 entreprises impliquées, dont une belge, Solvay, ainsi que les institutions financières qui y sont liées.

Implication des entreprises dans la colonisation

Comme l’a souligné le HCDH en 2018 : « Compte tenu du poids du consensus juridique international concernant la nature illégale des colonies elles-mêmes, et de la nature systémique et omniprésente de l’impact négatif sur les droits de l’homme qu’elles provoquent, il est difficile d’imaginer un scénario dans lequel une entreprise pourrait s’engager dans les activités énumérées d’une manière qui soit compatible avec les Principes directeurs et le droit international 1».

En 2013, à la suite d’une mission d’enquête, le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies publiait un rapport sur les nombreuses violations des droits humains qui accompagnent la colonisation israélienne du Territoire palestinien occupé. Le rapport soulignait l’importance de l’implication des entreprises commerciales dans ces violations2. Á la suite de ce rapport, le Conseil a donc adopté, en mars 2016, la résolution 31/36, qui demande au Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies (HCDH) de “produire une base de données de toutes les entreprises commerciales impliquées dans les activités détaillées au paragraphe 96 du rapport susmentionné, qui sera mise à jour chaque année3. Après de nombreux atermoiements, le HCDH a enfin publié la base de données en février 2020. Néanmoins, de nombreuses entreprises impliquées dans la colonisation n’y figuraient pas et la mise à jour annuelle prévue dans la résolution 31/36 du CDH, et techniquement prévue en février 2021, n’a pas encore été réalisée.

Afin de pallier les limites de la base de données et d’en activer la mise à jour, le rapport DBIO liste 137 entreprises impliquées dans la colonisation israélienne, en reprenant celles qui figuraient déjà dans la base de données des Nations Unies et en y ajoutant d’autres, issues de la base de données de l’ONG israélienne Who Profits.

Solvay, seule entreprise belge impliquée

Solvay est la seule entreprise belge parmi les 137 listées dans le rapport. Solvay est une entreprise multinationale basée en Belgique qui travaille dans les secteurs de la chimie et des plastiques. En 2019, des produits Solvay ont été enregistrés sur le site de la construction d’un pipeline de contournement à Bardala dans le Nord de la vallée du Jourdain, conçu pour desservir les colonies israéliennes alentour. Comme documenté dans un rapport de 2020 de Who profits, le projet de contournement de Bardala transportera l’eau douce extraite des sources d’eau palestiniennes vers les colonies israéliennes voisines, en contournant les communautés palestiniennes. Les Palestiniens n’ont pas d’accès autonome aux sources d’eau en question. Le projet, proposé par l’entreprise nationale israélienne des eaux, Mekorot, est un mécanisme permettant de consolider l’emprise d’Israël sur les terres et les ressources naturelles palestiniennes. Son tracé et sa raison d’être ne font que renforcer l’occupation israélienne, au profit de l’entreprise de colonisation illégale et au détriment des communautés palestiniennes.

En 2014, le SPF Affaires étrangères belge avait publié, avec d’autres chancelleries européennes, des Messages communs aux entreprises sur les risques légaux liés à des activités dans les colonies israéliennes. Au vu de l’implication dans la colonisation d’un fleuron belge comme Solvay, et cela après leur publication, l’efficacité de ces messages peut être mise en doute, ce qui n’est pas étonnant si l’on considère le peu de publicité qui leur est faite, notamment par les agences régionales d’appui à l’exportation comme l’Awex. Une campagne de promotion de ces messages serait donc nécessaire ainsi que leur mise à jour afin d’intégrer l’existence de la base de données des Nations Unies ou encore les risques liés à l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis dans le Territoire palestinien occupé par le bureau de la Procureure de la Cour pénale internationale et qui inclura vraisemblablement le crime de guerre que constitue la colonisation du TPO.

Que peuvent faire les institutions financières ?

Si pousser les entreprises à se désinvestir des colonies est un des objectifs du projet DBIO, celui-ci vise avant tout à sensibiliser et faire bouger les institutions financières européennes qui ont des liens financiers avec ces entreprises. Les investisseurs ont en effet des obligations en termes de respect des droits humains et doivent utiliser les leviers à leur disposition pour faire cesser ces violations en poussant les entreprises dans lesquelles ils investissent à cesser, « prévenir, atténuer et traiter le préjudice ». Selon un rapport publié à l’occasion du 10e anniversaire des Principes directeurs des Nations Unies en juin 2021, si un investisseur ne dispose pas d’un levier suffisant pour influer sur le comportement d’une entreprise bénéficiaire impliquée dans la colonisation, il doit envisager un désinvestissement de celle-ci.

Parmi les institutions financières qui ont des liens avec une de 137 entreprises listées et qui sont basées en Belgique, on retrouve le groupe KBC, Argenta ou encore la banque Degroof Petercam. Afin de les sensibiliser à leurs obligations en termes de respect des droits humains, la Belgique devrait mettre à jour ses messages aux entreprises en y incluant un volet spécial sur la responsabilité des institutions financières.

Le rapport DBIO choisit également de mettre en avant l’implication importante de BNP Paribas dans des entreprises liées à la colonisation. Sur la période allant de 2018 à mai 2021, BNP Paribas a participé à des prêts ou à des souscriptions pour 27 des 137 entreprises analysées. L’État belge étant actionnaire de BNP Paribas à hauteur de 7% de son capital, il doit inciter la banque à se désinvestir de ces entreprises afin d’éviter toute complicité avec le crime de guerre que constitue la colonisation ou avec les violations des droits humains qui y sont liées et ce, en respect de l’engagement repris dans son Code de conduite de 2018.

 

Bonnes pratiques
De nombreuses institutions financières ont déjà décidé de désinvestir de certaines entreprises commerciales impliquées dans des activités liées aux colonies israéliennes.
La dernière en date et une des plus importantes est KLP, le plus grand fonds de pension norvégien. Voici ce qu’a annoncé le fonds de pension, « À compter de juin 2021, KLP et KLP Funds (KLP) ont décidé d’exclure 16 entreprises de leurs portefeuilles d’investissement dans le cadre d’un désinvestissement fondé sur la diligence raisonnable. Selon l’évaluation de KLP, il existe un risque inacceptable que les entreprises exclues contribuent à la violation des droits humains dans des situations de guerre et de conflit en raison de leurs liens avec les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée. KLP a également exclu précédemment des entreprises ayant des liens avec la barrière de Cisjordanie ou les colonies israéliennes. »
Parmi les entreprises visées par le désinvestissement de KLP, on retrouve les grandes banques israéliennes souvent pointées du doigt pour leur rôle financier moteur dans la colonisation israélienne. Bien que la majorité des entreprises visées soient israéliennes, on retrouve également quelques entreprises internationales dont Alstom, une multinationale française active dans le secteur des transports, ou le géant américain de la téléphonie mobile, Motorola.

Légende photo : Construction d’un pipeline israélien visant à acheminer de l’eau vers les colonies du nord de la Vallée du Jourdain en contournant les communautés palestiniennes, juin 2019. La société belge Solvay fut impliquée dans le projet.

Crédit : Who Profits.

1

UN Office of the High Commissioner for Human Rights, A/HRC/37/39/, § 41. See ‘Key sources’, p.37.

3

Conseil des droits de l’Homme, 31e session ordinaire, (29 February to 24 March 2016), Résolution sur les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé (A/HRC/RES/31/36), Point 17.

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