Le 19 juillet 2018, les autorités israéliennes arrêtaient Mustapha Awad, citoyen belge d’origine palestinienne, alors qu’il tentait de franchir la frontière entre la Jordanie et le Territoire occupé. Bien qu’il ne représentait, de l’aveu même de la justice, aucune menace, l’artiste militant fut condamné à un an de prison au motif de contacts mineurs avec le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), considéré comme terroriste par Israël. Libéré le 22 mars dernier, Mustapha cherche depuis lors à surmonter cette épreuve traumatisante et à reprendre une vie normale. Il a accepté de s’entretenir avec nous de son calvaire et de témoigner de la dure réalité des prisonniers politiques palestiniens.
Peux-tu nous résumer ton parcours personnel ?
Je suis né au camp de réfugiés d’Ain el-Helweh, au Liban. En 2003, j’ai reçu le statut de réfugié en Belgique, avant d’en obtenir la nationalité. Naturellement, comme beaucoup de réfugiés, je me suis engagé dans le militantisme. J’ai également cofondé un groupe de Dabké [NDLR Danse traditionnelle palestinienne]. Je considère que cela fait partie de mon engagement, car la Dabke est un moyen de nous battre pour la sauvegarde de notre culture.
Quelles ont été les conditions de ton arrestation ?
Je voulais voyager en Palestine, le pays de mes parents et grands-parents, dans lequel je n’étais jusqu’à présent jamais allé. A la frontière entre la Jordanie et la Cisjordanie, j’ai été arrêté par la police israélienne et qualifié de terroriste. J’ai été mis en détention dans une prison de Tel-Aviv, dans une cellule petite et froide.
Ensuite, j’ai été interrogé, interrogé, interrogé… Pendant des heures, j’ai dû rester assis sur une chaise en fer. Quand je m’endormais, ils me réveillaient brusquement, puis me questionnaient à nouveau, afin de me faire perdre ma concentration. Je leur répondais à chaque fois que je voulais seulement visiter mon pays d’origine, ce qui était la pure vérité.
J’ai dû vivre 25 jours dans ces horribles conditions. Je ne pouvais avoir aucun contact avec l’extérieur. J’ai eu droit à un avocat commis d’office, mais sans autorisation de le rencontrer. À chaque fois que j’étais envoyé au tribunal, ils s’arrangeaient pour que je ne puisse jamais le voir.
Comment s’est déroulée la suite de ta détention ?
Après les 25 premiers jours, et ma condamnation à un an de prison sous la fausse accusation de terrorisme, ils ont clos l’enquête et m’ont placé en régime régulier de détention avec les autres prisonniers politiques palestiniens, au pénitencier de Megiddo. Toutes les deux semaines, je devais aller au tribunal à Ramleh, près de Tel-Aviv. Le trajet pour s’y rendre, d’une durée de 12 heures, restera l’un de mes pires souvenirs. Il y faisait étouffant ; nous étions une vingtaine sur des sièges inconfortables en fer, sans permission d’accéder aux sanitaires.
À Megiddo, notre section était composée de 100 personnes, réparties en 10 cellules. Celles-ci étaient très petites, avec une seule toilette. Les douches, situées à l’extérieur, n’étaient accessibles qu’en journée. Ma section était constituée de 12 cellules, rassemblant 100 personnes. Les conditions de vie étaient très dures. Tout était très petit, à l’exception des murs, qui étaient très hauts.
Qu’est-ce qui t’a aidé à tenir le coup ?
Avant tout, la solidarité entre détenus. Les autres prisonniers sont devenus une famille pour moi. On se soutenait les uns les autres.
La lecture était aussi une activité précieuse, notamment les séances de lecture collective. Malheureusement, il n’y avait pas beaucoup de livres disponibles, et tous n’étaient pas également accessibles. Il était par exemple beaucoup plus facile d’avoir un roman qu’un manuel scolaire.
Tout le long de ma détention, je n’ai par contre pas été autorisé à avoir de contacts avec ma famille. Les seules fois ou j’ai pu avoir de leurs nouvelles, c’était à l’occasion des quatre visites du consul de Belgique.
À ce propos, quid de l’aide apportée par les services diplomatiques belges ?
À chacune de mes rencontres avec le consul, il m’assurait qu’il faisait ce qu’il pouvait. Cependant, il ajoutait aussitôt qu’il ne pouvait rien faire de politique, et qu’il faisait confiance à la justice israélienne. Comme vous pouvez l’imaginer, c’était très dur à entendre pour moi : comment faire confiance à un système qui n’assure aucune forme d’équité à l’égard des Palestiniens, qui emprisonne les enfants et qui torture ? De son propre aveu, tout ce qu’il pouvait faire était de tenter de m’assurer de bonnes conditions de détention. Finalement, il était comme un facteur pour moi. Rien de plus.
Les conditions de ton retour ont été particulièrement confuses…
Je devais initialement être relâché le 24 février. À cet effet, ils m’avaient placé dans un centre de libération. Je n’avais pas mon passeport, mais j’avais reçu un laissez-passer. Le 23 février, le consul m’avait dit la veille que je serais en Belgique le lendemain. Tout se profilait bien…
Mais le 24 au soir, ils sont venus et ont dit que je ne retournerais pas en Belgique. Le Shin Bet (NDLR : le Service de sécurité intérieure israélien) s’était en effet opposé à ma libération.
Mon avocat m’a dit que je pouvais faire appel. Après une semaine, j’ai donc pu retourner devant le tribunal de Nazareth. L’audience a duré une heure et demie. On a discuté de ma situation. Les représentants des services de sécurité ont jugé que j’étais trop dangereux. Ils ont donc refusé, mais mon avocat a fait appel pour la seconde fois, ce qui a fonctionné. J’avais donc le droit de sortir de prison !
Comme il n’y a pas eu d’appel du Shin Bet, le 24 mars, j’étais libre de rentrer en Belgique.
Le jour J, on m’a cependant dit que mon laissez-passer n’était plus valide ! J’ai dû rappeler le consulat, mais ils n’ont pas répondu. J’ai ensuite appelé mon avocat, qui m’a renvoyé vers l’ambassade, laquelle m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire en l’absence du consul. Privé de laissez-passer, j’ai donc dû retourner en prison… Finalement, le consul s’est manifesté le mardi avec le laissez-passer, et j’ai pu rentrer en Belgique le lendemain. Je lui ai demandé où il était passé à ce moment si crucial. Il m’a dit que c’était un long week-end pour eux…
Cette semaine était extrêmement stressante, j’avais beaucoup de douleurs au dos et au cou à cause des conditions de détention. Je n’avais rien à faire, rien à manger, et je vivais toujours sous la menace d’une décision d’appel du Shin Bet.
Comment s’est passée ta réadaptation à la vie normale ?
À mon retour, j’avais perdu ma maison, mon travail, tout ce que j’avais. Je n’avais plus d’adresse, et j’ai dû tout recommencer depuis le début. C’était très difficile pour moi. J’ai heureusement reçu beaucoup d’aide de ma famille et de mes amis. Ma mère belge m’a recueilli jusqu’à ce que j’aie un nouveau domicile. J’ai de nouveau une adresse. Mais je n’ai toujours aucune rentrée financière, car je n’ai pas droit au chômage.
J’ai toujours des douleurs qui m’empêchent de dormir, et le souvenir de la détention ne s’efface pas du jour au lendemain. Je crois en moi, mais il est clair que revenir à une vie normale prendra du temps.
Cette expérience douloureuse a-t-elle eu une influence sur ton militantisme ?
Oui, bien sûr. Je connais désormais de l’intérieur la « Palestine des prisonniers ». Je n’ai pas découvert mon pays d’origine comme je l’avais prévu, mais cette expérience m’a permis de le connaître mieux d’une autre façon, car je l’ai vu par les yeux de ceux qui se sont battus pour le faire exister.
J’ai été détenu 8 mois et 9 jours. J’ai vu des prisonniers qui étaient là depuis plus de 20 ou 25 ans. L’un d’eux était même là depuis 1985. J’ai vu des enfants détenus, des personnes malades, atteintes de cancers… J’ai pu voir leur souffrance. Je pense que c’était important de vivre cette histoire de manière personnelle pour pouvoir raconter à tout le monde la réalité concrète des prisonniers palestiniens.