Michel Khleifi, cinéaste belgo-palestinien

“La blessure du peuple palestinien” est au coeur de l’oeuvre cinématographique de Michel Khleifi.

Cet automne, la Cinémathèque royale de Belgique organisait une rétrospective des films récemment restaurés de Michel Khleifi, précisant dans le programme que “son cinéma militant, observateur et poétique, décrit le quotidien du peuple palestinien, entre exil, mémoire et occupation” et que “ses films font de lui un grand cinéaste de la lutte, de l’émancipation et de la liberté.”

A l’occasion de cette rétrospective, Cinematek et Courtisane (plateforme gantoise pour les arts cinématographiques et audiovisuels) publient “Michel Khleifi. Mémoire fertile”[1], une compilation de textes et d’interviews parus entre 1981 et 2019 qui résument la carrière du cinéaste.

Michel Khleifi est belge. Israélien aussi (il est né à Nazareth en 1950). C’est Il est l’un des cinéastes palestiniens les plus reconnus.

A l’âge de 20 ans, il s’exile à Bruxelles, “pour fuir la violence. Et raconter des histoires.” Il étudie le théâtre puis le cinéma à l’INSAS (Institut National Supérieur des Arts du Spectacle) où il sera ultérieurement professeur. Entre 1977 et 1980, il participe pour la RTBF à la réalisation de nombreux documentaires en Israël/Palestine; il s’y emploie à diminuer la part des entretiens politiques au profit de situations qui expriment la complexité de la réalité.

Son premier film, en 1980, “Mémoire fertile”, est aussi le premier long métrage d’un cinéaste palestinien réalisé dans les frontières d’avant 67. Il y dresse le portrait de deux femmes, de deux générations différentes mais également écrasées sous un double joug, celui de l’occupation et celui des contraintes d’une société patriarcale. Khleifi complexifie le regard, il s’interroge “Les Palestiniens sont-ils seulement des victimes ou sont-ils à la fois victimes et bourreaux?”

La filmographie de Khleifi comporte aujourd’hui dix films (de 1980 à 2009) qui sont tous, à l’exception de “L’ordre du jour” (1993) d’après le roman éponyme de Jean-Luc Outers, reliés à la Palestine.

François Dubuisson met les films de cette époque en perspective : “Alors que durant les années 1960 et 1970, le cinéma palestinien est étroitement lié aux organisations palestiniennes et se conçoit principalement dans une perspective révolutionnaire, à partir des années 1980 émerge un cinéma palestinien plus personnel, produit par des auteurs singuliers, menés notamment par Michel Khleifi (Noce en Galilée, 1987; Cantique des pierres, 1990)[2]

Dans “Noce en Galilée” (1987), le cinéaste aborde à nouveau la double oppression de l’occupation israélienne et de l’autorité patriarcale archaïque du pouvoir local. Le film fut couronné à Cannes du Prix de la critique internationale[3].

“Le conte des trois diamants” (1995) se déroule entièrement à Gaza. La réalité quotidienne (couvre-feu, emprisonnements, répression de la résistance, etc.) est la toile de fond d’un récit onirique.

Dans “Zindeeq” (2009) “entre lyrisme assumé et engagement politique revendiqué” (Sandrine Marques, Le Monde, 2/10/1012), le personnage, alter ego de Khleifi lui-même, déambule, le temps d’une nuit, dans les rues quasiment désertes de Nazareth.

“Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël” (2003) tient davantage d’un documentaire où des rencontres se succèdent. Dans un road-movie de 4h30, Khleifi parcourt, avec l’Israélien Eyal Sivan, le tracé théorique des frontières telles que les prévoyait la Résolution 181 de l’ONU en 1947. Dans ce “Divan public”, comme le titrait Libération, « L’écœurement domine face à un tel déballage de haine et de mépris de part et d’autre » (Christophe Ayad, 30/6/2004). Contesté par d’aucuns pour de supposés parallèles, voire plagiats de scènes de “Shoah” de Lanzmann, le film fut “déprogrammé” lors d’un festival à Paris en 2004. Cette censure fut elle-même très largement contestée.

“Certaines images de l’art résistent mieux que les pensées savantes face à la réalité”, disait récemment l’historien israélien Shlomo Sand à Leïla Shahid dans une conversation radiophonique qui interrogeait : “Le cinéma peut-il se jouer de la guerre ?” (France Culture, 3/4/2019).

S’il ne reste quasiment aucune trace de la plus grande part des nombreuses réalisations palestiniennes du début du 20e siècle (l’OLP a perdu, en quittant Beyrouth en 1982, la totalité de ses archives audiovisuelles, détruites ou confisquées par l’occupant israélien), la conservation et l’archivage sont devenus une préoccupation majeure. La restauration des films de Khleifi par la Cinémathèque de Bruxelles en est un exemple). A la Columbia University de New York, Hamid Dabashi, collègue et ami d’Edward Saïd, a commencé en 1990 à acquérir des films palestiniens pour les inclure dans ses cours. Deux festivals ont découlé de ses recherches ainsi que le livre “Dreams of a Nation: On Palestinian Cinema” (2006). Géré par le Center for Palestine Studies, le projet “Dreams of a Nation” continue à “étendre et préserver ses archives dans le but de constituer la plus grande collection de cinéma palestinien possible – longs et courts métrages ainsi que  documentaires – et de fournir une base de données rigoureuse documentant le cinéma palestinien”. Michel Khleifi et ses films sont repris sur le site web[4](http://palestine.mei.columbia.edu/dreams-of-a-nation) qui répertorie les nombreux cinéastes palestiniens et les non moins nombreux films conservés et numérisés.

 

Catherine Fache

[1] Disponible à la Cinematek, Bozar, Bruxelles.

[2] François Dubuisson, Le conflit israélo-palestinien : une saga cinématographique, in Olivier Corten et François Dubuisson, Du droit international au cinéma, Présentations et représentations du droit international dans les films et les séries télévisées, Paris, Pedone, 2015, pp. 135-185.

[4] http://palestine.mei.columbia.edu/dreams-of-a-nation

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