Les antisionistes sont-ils des antisémites masqués ?
Lettre ouverte conjointe de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique et l’association belgo-palestinienne à la rédaction du Vif- l’Express en réaction au dossier
publié dans son numéro du 6/12/2018 intitulé « Enquête sur le nouvel antisémitisme »
Les vieux préjugés antisémites du type « les Juifs sont puissants », voire « dominent les médias et la finance et donc contrôlent le monde » sont-ils encore d’actualité ? Oui. Tue-t-on encore des Juifs parce que juifs ? Oui. L’antisémitisme est-il en recrudescence ? Sans doute, comme de nombreuses autres formes de racisme visant des minorités, un peu partout dans le monde. Cette recrudescence s’explique-t-elle en partie par le pourrissement du conflit israélo-palestinien ? Certainement.
Mais comment l’expliquer ?
Les dirigeants de l’État d’Israël se présentent comme les représentants politiques des Juifs du monde entier desquels il est exigé de soutenir « leur » État, quels que soient ses choix politiques. Pour ceux-ci et ceux qui les soutiennent partout dans le monde, seules des critiques légères peuvent être acceptées. Mais pas le fait de remettre en question le fondement sioniste de cet État, c’est-à-dire le fait qu’il doit être considéré comme « État juif ». Ce qui implique pourtant forcément la discrimination de ses citoyens non juifs, qui constituent au moins 20 % de sa population. Ceci sans compter les plus de 4 millions et demi d’habitants non juifs des territoires occupés et colonisés par cet État depuis 51 ans (!) qui ne bénéficient pas de la citoyenneté israélienne et sont donc privés de l’ensemble des droits que la citoyenneté confère, ni le déni des droits des millions d’exilés et de leurs descendants, pourtant reconnus par le Droit international .
Pour les défenseurs d’Israël en tant qu’« État juif » (autrement dit les sionistes), exiger l’égalité des droits pour tous les habitants qui vivent sous la domination israélienne et donc la fin des discriminations entre Juifs et non Juifs relève de l’« antisionisme radical », qu’ils assimilent à de l’antisémitisme.
Il faut pourtant rappeler que le sionisme est longtemps resté une idéologie très minoritaire parmi les Juifs européens et quasi ignorée des communautés juives non européennes. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre mondiale qu’une majorité des Juifs européens, traumatisés par le judéocide, ont adhéré au projet sioniste. Mais encore aujourd’hui, pour des raisons politiques et/ou religieuses, de nombreux Juifs refusent toute allégeance à l’« État juif ». Nombre d’entre eux s’affirment même antisionistes car ils refusent qu’un État discrimine gravement des millions de personnes en leur nom.
Mais les dirigeants israéliens et leurs soutiens extérieurs, défenseurs d’Israël en tant qu’« État juif », font tout pour faire croire à l’opinion publique que tous ou quasi tous les Juifs du monde soutiennent « leur » État. Les Juifs antisionistes sont systématiquement dénigrés, traités d’ « ultra-minoritaires », de « traitres » et/ou de « malades mentaux animés par la haine d’eux-mêmes » et/ou de « Juifs en partance » voire de « faux Juifs ».
Dans ce contexte, on comprendra que de nombreuses personnes, victimes de la propagande sioniste, sont persuadées que tous les Juifs soutiennent « leur » État. Certains pensent même que tous les Juifs du monde détiennent la nationalité israélienne en plus de celle de l’État dans lequel ils vivent. De plus, l’État d’Israël s’est approprié, en le plaçant sur son drapeau, le « Maguen David » (« Bouclier de David », plus communément nommé « Étoile de David), un symbole juif[1], bien antérieur à la naissance du projet politique sioniste. Cela contribue encore à augmenter la confusion entre judaïsme et sionisme.
Certains des onze « exemples » qui accompagnent la définition de l’antisémitisme de l’IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance), que le gouvernement israélien et les organisations sionistes s’évertuent à faire adopter par les plus hautes instances mondiales ajoutent encore à la confusion. Exemples :« Nier au peuple juif son droit à l’autodétermination, par exemple en affirmant que l’Etat d’Israël est un État raciste » ou « des comparaisons, par dessins, de la politique israélienne contemporaine aux actes nazis ».
Comment combattre l’antisémitisme ?
Pour combattre efficacement l’antisémitisme, il est nécessaire d’établir une distinction claire entre judaïsme et sionisme ainsi qu’entre antisémitisme et antisionisme. Car la confusion entre ces notions renforce des préjugés concernant les Juifs. Non seulement celui selon lequel tous les Juifs auraient la nationalité israélienne et soutiendraient les choix politiques des gouvernements israéliens, mais aussi celui selon lequel les Juifs seraient puissants et secrètement organisés au point d’imposer leur volonté aux grands de ce monde. Le relatif succès de ce dernier s’explique par l’impunité dont jouit depuis si longtemps le prétendu « État des Juifs ». S’appuyant sur le sentiment de culpabilité des Européens vis-à-vis du judéocide que l’Europe n’a pas empêché et, plus récemment, sur la peur de l’« islamisme » régnant sur notre continent, le mouvement sioniste a en effet réussi à imposer l’idée dans l’opinion publique occidentale de la légitimité de l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État juif, malgré les énormes discriminations qui en découlent pour les habitants non juifs de la Palestine-Israël. Il en découle que, depuis sa création, Israël a bénéficié d’une coupable indulgence de la part des dirigeants occidentaux vis-à-vis de ses innombrables violations des décisions de l’O.N.U. et du Droit international aux dépends des Palestiniens. C’est ce qui fait que, pour ceux qui sont perméables à la théorie raciste du « complot juif international » le monde occidental peut apparaître « soumis aux Juifs ».
Pas de lobby pro-israélien ?
Affirmer, comme le fait Marie-Cécile Royen (p. 31), qu’« il n’y a pas de lobby israélien à la manœuvre » est une contrevérité flagrante. Toute personne un tant soit peu informée sait aujourd’hui à quel point les lobbies qui soutiennent l’État d’Israël quelle que soit la politique qu’il mène sont puissants, particulièrement aux États-Unis[2]mais aussi en Europe[3].
Les partisans du boycott d’Israël sont-ils antisémites ?
Dans ce dossier, Joël Kotek jette la suspicion d’antisémitisme sur ceux qui soutiennent la campagne citoyenne BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) initiée en 2005 par 171 associations palestiniennes pour contraindre l’État d’Israël à respecter enfin le Droit international. Cette campagne citoyenne non violente a été lancée après 57 ans de déni des droits des exilés palestiniens, 57 ans de discriminations graves envers les Palestiniens citoyens d’Israël et 38 années d’occupation et de colonisation des territoires conquis par l’armée israélienne. Et après le refus de l’État d’Israël de démanteler la « barrière de séparation » construite en Cisjordanie occupée, dont, pour cette raison, le tracé a été déclaré illégal par la Cour internationale de justice de La Haye.
Joël Kotek accuse les partisans du BDS de pratiquer le « deux poids deux mesures » car ils n’auraient pas la même attitude face à d’autres États ayant conquis des territoires par la force. Outre le fait que Joël Kotek ne sait rien des autres engagements militants des partisans du BDS, peut-il nommer un seul autre territoire occupé dont les habitants appellent aujourd’hui au boycott de l’État occupant ? Et connaît-il d’autres situations d’occupation et de colonisation d’une telle durée ?
L’accusation d’« antisémitisme » est le seul « argument » qui reste à ceux qui veulent, envers et contre tout, empêcher toute pression envers un État qui bafoue pourtant sans cesse depuis qu’il existe, et de plus en plus gravement, le Droit international ainsi que les Droits humains les plus élémentaires.
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[1]N B : ce vieux symbole a été utilisé depuis longtemps par bien d’autres groupes humains.
[2]Cf. MEARSHEIMER, J.J. et WALT, S.M., Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, La Découverte, 2009 et BELIN, C., Jésus est juif en Amérique. Droite évangélique et lobbies chrétiens pro-Israël, Fayard, 2011.
[3]Cf. par exemple CRONIN, D., Europe – Israël. Une alliance contre nature, La Guillotine, 2012.
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