Qu’est-ce que la Nakba ?
La Nakba (« catastrophe » en arabe) renvoie au nettoyage ethnique des Palestiniens et à la destruction des communautés palestiniennes qui ont eu lieu lors de la création de l’Etat d’Israël en 1948.
Environ 85 à 90 % des Palestiniens qui vivaient dans ce qui est devenu Israël furent expulsés (quelque 700 à 800.000). Les quatre cinquièmes des villes et des villages palestiniens furent détruits ou repeuplés par des Israéliens juifs. Dans des villes comme Haïfa et Acre, les quartiers palestiniens furent vidés et réoccupés.
Le déplacement des Palestiniens était en bonne voie au moment de la déclaration unilatérale d’indépendance d’Israël. Entre le 30 mars et le 15 mai, quelque 200 villages palestiniens furent, selon les mots de l’historien israélien Ilan Pappe, “occupés et leurs habitants expulsés.” Ainsi, avant même que la guerre » israélo-arabe » n’ait commencé, environ la moitié du total final des réfugiés palestiniens avaient déjà perdu leur foyer.
Le nettoyage ethnique n’a pas seulement commencé avant mai 1948, il a aussi continué pendant quelque temps après ; l’expulsion des Palestiniens de Al-Majdal vers la Bande de Gaza, par exemple, n’a pas été totale jusqu’à la fin de 1950. Vidée de ses habitants palestiniens, Al-Majdal devint la ville portuaire israélienne d’Ashkelon.
Pourquoi les Palestiniens ont-ils quitté leurs foyers ?
La raison primordiale de l’évacuation de centaines de villages palestiniens en 1947-48 a été un mélange de violences et d’intimidations, un argument longtemps soutenu par les historiens palestiniens. Le travail d’historiens israéliens comme Benny Morris en a fourni des preuves supplémentaires ; selon Morris, sur à peu près les 400 villages palestiniens détruits qu’il a étudiés, “l’évacuation sur des ordres arabes” n’a été le facteur décisif dans le départ de la population que dans six cas.
Les massacres par les forces sionistes – dont il y a eu au moins deux douzaines – ont joué un rôle majeur pour répandre la terreur parmi les Palestiniens. Deir Yassin, où 100 à 120 villageois furent tués le 9 avril 1948, est l’atrocité la plus célèbre, mais il y en a eu beaucoup d’autres : à al-Dawamiya, en octobre 1948, plus de 100 villageois– hommes, femmes, et enfants – furent tués. ‘The Poem That Exposed Israeli War Crimes in 1948’, Ha’aretz, March 18, 2016, http://www.haaretz.com/israel-news/.premium-1.709439.
Dans beaucoup de villes et de villages, les Palestiniens furent expulsés sous la menace des armes, comme à Lydda et Ramla. Après que des centaines de personnes aient été tués dans la conquête des villes, on estime que 50.000 habitants furent forcés de partir à pied vers la Cisjordanie. Dans beaucoup d’autres villages, des colonnes de réfugiés furent la cible de tirs de mortiers pour “leur faire accélérer le train.”
Pourquoi les Palestiniens ne sont-ils pas retournés chez eux après la fin des combats ?
Les réfugiés palestiniens furent empêchés de retourner chez eux par la violence et par les lois. Dès juin 1948, David Ben Gourion – Premier ministre d’Israël – déclara à son cabinet que “aucun réfugié arabe ne doit être autorisé à revenir ». Il est resté fidèle à sa parole.
Les Palestiniens essayant de revenir furent qualifiés d’ « agents infiltrés » par les autorités israéliennes, et considérés comme une menace pour la sécurité. En 1956, près de 5000 réfugiés palestiniens essayant de revenir chez eux avaient été tués par les forces israéliennes ; la plupart moururent alors qu’ils essayaient de retourner chez eux, d’avoir accès à leurs récoltes ou à leurs propriétés perdues, ou recherchaient ceux qui leur étaient chers.
Pendant ce temps, le gouvernement israélien a fait rapidement adopter des lois qui à la fois s’appropriaient les biens et les terres des Palestiniens expulsés, et aussi les dépouillaient de la citoyenneté qui leur avait été attribuée en tant qu’habitants du nouvel Etat.
Pourquoi parle-t-on de « nettoyage ethnique » ?
Il n’y a pas de définition formelle du nettoyage ethnique dans le droit humanitaire international, et ce terme tire son origine des violences du début des années 1990 dans l’ancienne Yougoslavie. En 1994, un article du Journal européen de droit international a défini le but à long terme d’une « politique de nettoyage ethnique” comme “la création de conditions de vie qui rendent impossible le retour de la communauté déplacée.”
La Nakba correspond à notre compréhension du nettoyage ethnique : l’intimidation et la violence ont été utilisées pour vider des centaines de villes et villages et leur habitants furent empêchés de revenir. En outre, les intentions de la direction sioniste antérieure à l’Etat, qui devint Ie premier gouvernement d’Israël, étaient claires.
Comme les recherches historiques l’ont montré, l’idée de « « transférer » tous les Arabes de Palestine ou une partie d’entre eux en dehors du futur Etat juif était largement répandue parmi les cercles dirigeants sionistes », longtemps avant la Nakba. En 1930, par exemple, le président du Fonds national juif déclarait : “S’il y a là d’autres habitants, ils doivent être transférés ailleurs. Nous devons prendre le contrôle des terres.”
Pendant la Nakba, encore, un ordre opérationnel commun donnait comme instruction aux forces israéliennes “de s’emparer des villages, de les nettoyer de leurs habitants (les femmes et les enfants devaient (aussi) être expulsés)” et “de brûler le plus grand nombre possible de maisons.” Quand on a demandé à Ben Gourion ce qu’il fallait faire des habitants de Lydda et Ramla, sa réponse fut brève : “Expulsez-les.”
En 1900, la population de la Palestine était environ à 4 % juive et à 96 % arabe, et en1947, les Arabes palestiniens constituaient encore plus des deux tiers de la population. Ainsi, comme le journaliste et historien israélien Tom Segev l’a dit, “’faire disparaître les Arabes se situait au cœur du rêve sioniste, et était aussi une condition nécessaire de sa réalisation.”
Commémore-t-on la Nakba en Palestine/Israël ?
Les Palestiniens, dont ceux de Cisjordanie et de la Bande de Gaza occupée, célèbrent le Jour de la Nakba le 15 mai. Beaucoup de citoyens palestiniens d’Israël célèbrent la Nakba le « Jour de l’Indépendance » officiel de l’Etat, qui change chaque année car fondé sur le calendrier juif.
Ce jour-là, les citoyens palestiniens, rejoints par un certain nombre d’Israéliens juifs, marchent vers le site d’un village détruit. Ceci n’est pas seulement une action de commémoration ; en effet, au moins un quart des Palestiniens qui vivent à l’intérieur des frontières d’Israël d’avant 1967 sont qualifiés de « présents absents », ils sont des déplacés internes de la Nakba et jusqu’à ce jour, sont empêchés légalement de revenir sur leur terre et sur leurs propriétés.
Ces dernières années, le gouvernement israélien a cherché à empêcher la commémoration de la Nakba par la communauté palestinienne, en faisant passer une loi qui “punit d’amende les entités qui, ouvertement, rejettent Israël en tant qu’Etat juif ou qui célèbrent le Jour de l‘Indépendance d’Israël comme un jour de deuil.” En janvier 2012, la Haute Cour de Justice a rejeté une pétition contre la loi, bien qu’elle porte atteinte à la “liberté d’expression.”
Est-ce que la Nakba n’est que de l’histoire ancienne » ?
Les réfugiés palestiniens continuent à exiger que leur droit, internationalement reconnu, à la fois au retour et à la restitution de leurs biens, soit respecté. Aujourd’hui, il y a environ 5,2 millions de réfugiés enregistrés par l’ONU (le nombre total de Palestiniens dans la diaspora est de 7,5 millions), dont 2 millions vivent en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza sous gouvernement militaire israélien – et à quelques milles de distance de leurs terres.
Les Palestiniens font référence aussi à une « Nakba continue », dans le sens où Ies politiques israéliennes de déplacement forcé et de colonisation ont continué et même pris de l’ampleur, au cours des décennies. Pendant la conquête israélienne en 1967 de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie, par exemple, quelque 300.000 Palestiniens ont fui ou ont été expulsés. Parmi ceux qui ont quitté la Cisjordanie, moins de 8 % furent autorisés par Israël à revenir.
Aujourd’hui, ce sont l’expulsion de familles palestiniennes par des colons israéliens à Jérusalem-Est occupée, ainsi que la démolition de maisons et le déplacement des Palestiniens dans diverses zones de Cisjordanie, dont la Vallée du Jourdain et le Sud des collines d’Hébron, qui en sont la manifestation.
Avril 2016
par Ben White, journaliste indépendant, auteur et militant des droits de l’Homme
Article paru sur le site Palestine solidarity campaign.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, AFPS