Disarming Design from Palestine

Bulletin N°78
Par Catherine fache

Si la situation politique est figée, la création en Palestine est, elle, foisonnante et riche d’idées novatrices.

« Nous en avons assez d’entendre chaque jour les mêmes nouvelles sur les colonies, le mur de séparation, le droit au retour, les prisonniers… Solutions définitives et accords jamais exécutés : toutes ces nouvelles viennent par vagues dans lesquelles finalement nous nous noyons. Moi-même, je ne suis plus les nouvelles. Je ne lis plus les journaux. Ce que je fais avec ces journaux les rend peut-être plus utiles. J’en fais des bols. » déclare l’artiste Ahmed Nassar (Ramallah), auteur des « Old News from Palestine ». Ces bols réalisés en papier mâché à partir de vieux journaux ouvrent en 2012 le catalogue de « Disarming Design from Palestine ». 

Depuis lors, près de cinquante objets, alliant le design, le savoir-faire traditionnel et une dose non négligeable d’humour et d’ (auto)dérision, domaines dans lesquels les Palestiniens excellent, ont reçu le label « Disarming Design from Palestine ». Chaque objet éclaire – de façon désarmante – un aspect de la vie quotidienne des Palestiniens sous occupation. 

Annelys Devet a fondé et dirige « Disarming Design from Palestine ». L’histoire commence, il y a plus de dix ans, aux Pays-Bas, son pays d’origine, par une commande de cartes de Noël illustrant la Palestine. Annelys Devet est designer (elle vit en Belgique et dirige le département Design de l’Institut Sandberg à Amsterdam). A l’époque elle ne connaît pas (encore) la Palestine. Premier voyage. Rien ne ressemble à ce qu’elle imagine, explique-t-elle ; l’échelle est différente, celle du mur, par exemple. 

A la collection d’atlas subjectifs (Netherlands, Pakistan, Serbia, Mexico, Colombia, Hainaut, Brussels, etc.) qu’elle édite, elle ajoute un « Subjective Atlas of Palestine » (Subjective Editions, 2007). Une trentaine d’artistes, photographes et designers palestiniens posent des regards non conventionnels sur la cuisine, la musique, la poésie… D’Amsterdam à Amman, en passant par Ramallah, se multiplieront au fil des années les workshops où des étudiants et des artistes palestiniens travaillent avec des collègues internationaux. 

« Disarming Design from Palestine » est enregistré comme entreprise à but non lucratif à Ramallah et comme fondation aux Pays-Bas, avec un studio et un entrepôt à Bruxelles. Le label a reçu en 2016 le « Henry van de Velde Award », le plus important prix de design en Belgique, dans la catégorie Communication. 

Chaque réalisation résulte d’un dialogue et d’une coopération entre des artistes majoritairement palestiniens mais aussi néerlandais, allemands, etc. et des producteurs et artisans locaux dans des domaines aussi divers que la céramique, la sérigraphie, la broderie, le tissage, etc. Dans le catalogue, se côtoient le cuir et le miel, le bois et l’argent, ainsi que des variations sur les keffiyehs et autres foulards. Chaque partenariat prend un chemin distinct. 

Le label vise à diffuser des récits alternatifs sur la Palestine contemporaine et à réfléchir sur la fonction des pratiques créatives en situation de conflit. 

Brève exploration

A l’aspiration de bannir les pailles de nos verres, de même que d’autres objets en plastique à usage unique, répondent opportunément deux pailles zigzagantes en verre soufflé, “Straway“. Elles dessinent les routes aux multiples détours que les Palestiniens doivent parcourir pour se rendre d’une ville à l’autre, de Jérusalem à Ramallah ou de Ramallah à Bethléem. Elles expriment sans discours superflus la mobilité limitée et les pertes de temps aux checkpoints.

Les entraves quotidiennes aux déplacements sont souvent illustrées parmi les objets de « Disarming Design », depuis le « Checkpoint Bag » aux multiples poches qui dissimule une clé qui n’est visible qu’aux rayons X, jusqu’à la « Checkpoint Brush », une brosse qui peut effacer la poussière des chaussures, ainsi que les souvenirs liés aux difficultés du voyage, et, pourquoi pas, effacer du paysage les checkpoints eux-mêmes. « Hide & See Travel Pouch » est un étui en cuir pour les passeports divers et les nombreux documents dont les Palestiniens doivent se munir pour voyager.

La question des empreintes digitales, sans cesse contrôlées par l’occupant, est abordée sur un tee-shirt “I am an Arab“: le poème de Mahmoud Darwish “Carte d’identité” (1964)est calligraphié en blanc sur fond noir en forme d’empreinte digitale. Sur un autre tee-shirt « Proudly Made », 21 étiquettes « Made in Palestine » sont cousues sur le devant, à l’extérieur ! Affirmation bienvenue face à l’usurpation mensongère de la culture palestinienne par Israël. La poésie n’est jamais loin. Elle est évidente dans “Poetic Nights“. Ces oreillers sur lesquels est sérigraphiée une citation d’un poème de Mahmoud Darwish sont destinés à protéger les rêves. L’occupation est en effet présente à tout moment et dans chaque détail, et donc aussi dans les rêves.

La collection est vaste, de ces objets à la fois poétiques et politiques, empreints de provocation. 

Malgré les obstacles à surmonter pour l’exportation de produits provenant de Palestine (frais de transport, taxes, etc.), la collection est présentée et vendue non seulement localement mais aussi internationalement à travers des boutiques éphémères, des expositions et une boutique en ligne. [1]

Hosh Jalsa 

Depuis cet été, “Disarming Design” est installédans le centre historique de Birzeit, dans une ancienne maison d’architecture ottomane, «Hosh Jalsa», également connue sous le nom de «Dar al Nasser». De nombreuses activités autour du design (conférences, débats, ateliers) y sont organisées, autour d’un café social, d’une bibliothèque, d’ateliers de travail, d’une galerie, ainsi que d’une maison d’hôtes et d’un espace de résidence. 

“Disarming Design” explique : “En Palestine, de nombreux artisans sont actifs, mais à cause de la situation et de leurs positions souvent très marginalisées, ils manquent de travail. Avec notre projet, nous nous focalisons sur la coopération entre le design contemporain et l’artisanat local. Il y a une plus grande indépendance vis-à-vis du marché et une marge de manœuvre pour exprimer votre propre identité. A «Hosh Jalsa», nous souhaitons créer les conditions d’une expérience d’apprentissage centrée sur l’indépendance économique, politique et artistique. Comment l’action artistique dans une réalité conflictuelle peut-elle être utilisée pour mener des recherches sur cette réalité? Comment peut-on, en tant que concepteur, co-concevoir activement l’impact politique, économique et social d’un design? Quelles sont les conditions et le potentiel pour cela dans le contexte palestinien?”

Une école de design

“Disarming Design”, sur la base de l’expérience acquise, voudrait développer une école de design alternatif. “Ce programme réfléchit sur ce que le design peut signifier dans des contextes conflictuels. Il permettra aux designers palestiniens et internationaux de collaborer, y compris avec des artisans locaux, afin d’étudier ce que le design peut signifier pour “l’autonomisation” et comme forme poétique de résistance.” Une campagne de financement participatif est en cours pour le lancement de ce projet.[2]

Catherine Fache


[1]http://www.disarmingdesign.com

Les articles sont disponibles en Belgique : 

– Wiels, Avenue Van Volxem 354, 1190 Bruxelles

– “Disarming Design” Entrepôt. Hoogstraat 151, 1600 Sint-Pieters-Leeuw (Ouvert seulement sur rendez-vous). 

et à Birzeit : Disarming Design Office, 24, Municipality road (ouvert tous les jours sauf le vendredi)

[2]https://www.kisskissbankbank.com/en/projects/support-design-support-disarming-design-from-palestine/tabs/description

 

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